Thibault Léonard, le sauveur de l’édition belge
Venu du numérique, le CEO du groupe Lemaître a repris La Renaissance du livre et Les Editions du Perron, après Mardaga. Un choix intuitif et émotionnel, mais pas uniquement. “Même dans des secteurs en déclin, il peut y avoir des marques en croissance!”, plaide Thibault Léonard.
Thibault Léonard est un entrepreneur audacieux. Diplômé de Solvay et de la London School of Economics, le président du groupe Lemaître est aussi un gestionnaire “carré”, qui ne laisse rien au hasard et aime mettre en place des outils pour simplifier les processus de production ou de communication. En quelques mois, ce trentenaire s’est imposé comme le sauveur de l’édition belge en mode papier, même s’il n’aime pas qu’on le surnomme de cette façon.
Après avoir déjà repris Mardaga fin 2016, il est venu au secours de deux fleurons en liquidation, Les Editions du Perron et La Renaissance du livre. Il y impose des méthodes de gestion professionnelle. Tout en conservant une dose de romantisme et de patriotisme. “C’est incroyable, le caractère émotionnel qui entoure le livre, constate-t-il. Et si je n’intervenais pas, ces maisons risquaient de disparaître.”
“Disons que je suis carré…”
L’aventure Renaissance du livre n’était pas programmée, loin s’en faut. “C’est l’économiste Bruno Colmant, dont un livre était en gestation chez l’éditeur, qui nous a convaincus d’y aller, raconte-t-il. Moi, pour être honnête, je m’étais toujours dit: La Renaissance du livre, jamais! Pas à cause de son catalogue mais en raison de la réputation de son ancien patron. Ce dossier, on me l’avait proposé deux ou trois fois ces dernières années, via des intermédiaires: je répondais que je ne voulais même pas l’ouvrir. Bruno Colmant m’a rassuré en me disant qu’en cas de faillite, le risque d’avoir des cadavres dans les placards était réduit. Il m’a poussé dans le dos.”
Si l’on doit réimprimer un livre, même moi je sais où est le PDF pour l’envoyer à l’imprimeur.
Deux semaines après, l’homme ne regrette rien. Même s’il dort peu. “C’est un boulot colossal! Nous avons structuré un certain nombre de choses chez nous, qui ne le sont pas du tout dans d’autres maisons d’édition. Nous avons un outil sur lequel on archive les contrats, tous les droits d’auteur sont générés automatiquement… Quand on a repris Mardaga, c’est moi qui m’occupait de ça, c’était horrible, cela prenait un temps fou! A La Renaissance, où il y a 400 titres en stock, à part des scans des contrats des deux dernières années, tout est sur papier. La première semaine, nous avons repris la distribution des livres numériques: on s’est rendu compte que dans les 250 fichiers récupérés, il y en avait 180 avec des erreurs empêchant de les rendre disponibles.” Bref, il faut réparer, adapter, changer…
Thibault Léonard assume: “Disons que j’aime les choses carrées”. “Nous essayons de chercher l’excellence dans tous nos processus, exlique-t-il. Si l’on doit réimprimer un livre, même moi je sais où est le PDF pour l’envoyer à l’imprimeur. Ce n’était pas le cas il y a trois ans. Faire vivre le catalogue du passé est important pour l’auteur, mais ce fonds représente aussi une part importante du chiffre d’affaires. Le listing de nos auteurs est à jour en permanence. Lorsqu’on l’a demandé au curateur pour La Renaissance, il nous a dit qu’il n’existait pas. Pendant le week-end, deux personnes ont repassé tous les contrats en revue pour l’établir. Un tel fichier permet de créer une communauté: il ne faut pas négliger le rôle des auteurs, ce sont les ambassadeurs de la maison.”
“Quand on parle de digital, prolonge-t-il, on pense e-book, mais il s’agit avant tout de la capacité à changer notre manière de travailler. Nous avons effectué ces investissements en nous disant que le jour où l’on devrait faire une reprise, cela nous simplifierait la vie.” Sans imaginer que ce serait si rapide. Le reprise de La Renaissance du livre reste toutefois un défi majeur. Mardaga n’a pas repris le personnel, épuisé par des années de galère, et doit reconstruire tout un écosystème.
Conviction et consolidation
Le moteur de Thibault Léonard, c’est une forme de passion intuitive, encadrée par un pragmatisme à toute épreuve. Après avoir porté lePetitLittéraire.fr et créé Primento, dans l’univers numérique, il fait le grand saut du papier en 2016. “Quand j’ai appris que les éditions Mardaga étaient à reprendre, j’ai pris contact avec son responsable, André Querton. Quand je suis rentré le soir, j’en ai parlé à mon épouse pour lui dire que je regarderais le dossier. Elle a vu mon regard et elle m’a dit: ‘Je sais que tu as déjà pris ta décision, tu vas reprendre cette boîte’. Ce fut la même chose quand je lui ai annoncé que Les Editions du Perron se mettaient en liquidation, avec de beaux titres, qui font partie du patrimoine. En réalité, j’adore les défis et les projets. J’agis beaucoup à l’intuition, sans oublier, bien sûr, de réaliser une analyse chiffrée et un calcul des risques. J’aurais pu reprendre La Renaissance du livre en deux jours, mais j’ai quand même pris le temps de savoir ce qu’il y avait dans le dossier…”
Est-il convaincu qu’il reste une place pour l’édition sur un petit marché comme la Belgique francophone? “J’ai avant tout la conviction que les éditeurs ont un vrai rôle à jouer dans une démocratie, rétorque-t-il. Nous sommes des animateurs de débat, on fait évoluer des choses, c’est hyper important! Cet ADN m’a été transmis par André Querton. Et c’est vital pour une région et un pays. Bien souvent, suite à une acquisition par une entreprise étrangère, c’est tout un savoir-faire et des centres de décisions qui déménagent, ce qui est regrettable. Si j’avais été un géant de l’édition français, en rachetant Mardaga, je n’aurais sans doute pas pris une semaine avant de rapatrier tout en France et de changer de nom. Mais je suis attaché à cet ancrage local, c’est cohérent avec nos activités, même si nous réunirons tout dans nos bureaux à Bruxelles.”
Alors qu’on l’interpelle déjà au sujet d’autres reprises, ce jeune chevalier de l’édition temporise: il s’agit avant tout de consolider ces nouvelles acquisitions. “Nous jouerons sur la force des marques. La Renaissance du livre, c’est une marque très forte en Belgique, où elle réalise 80% de ses ventes, avec un pouvoir magnétique en dépit de turbulences pendant 15 ans. Tandis que Mardaga diffuse davantage en France. Nous ferons en sorte que tous les titres soient toujours disponibles. C’est notre mission. Il y a des livres qui ne vont plus se vendre, mais il y a parfois des pépites qui sortent du lot. Je n’ai pas l’impression d’avoir une approche révolutionnaire par rapport au secteur, j’appelle cela du bon sens paysan. Oui, je suis convaincu qu’il y a un avenir pour le livre! Ce n’est pas un secteur réjouissant actuellement, mais on peut dire cela pour beaucoup. Mais même dans des secteurs en déclin, il peut y avoir des marques en croissance!”
Patriotisme
Construit-il un univers? Dans son cas, l’intuition rejoint la vision: “Nous avons décidé en avril de recruter un directeur opérationnel pour renforcer le management. Cela a été bouclé mi-juillet, il devait commencer en septembre, mais je l’ai rappelé le 27 juillet pour lui demander s’il pouvait commencer plus tôt, en raison de ces opportunités à analyser. La priorité que l’on s’était fixée, c’était pourtant de consolider Mardaga non par des acquisitions, mais par le développement de nos activités e-book. Et ces deux dossiers sont arrivés… Ma femme me dit que c’est du patriotisme. Je ne sais pas si c’est ça, mais il est clair que faute d’intervention, tout ce catalogue serait passé aux oubliettes.” Oui, le livre a bien quelque chose d’émotionnel.
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