Le savoir-faire wallon détonne à Las Vegas

Avec une édition 2024 dominée par l’IA, le Consumer Electronics Show de Las Vegas est à un moment charnière de son existence. Vingt-et-une entreprises belges y étaient présentes, essentiellement représentées sous le label “ Digital Wallonia ”. Quels sont les fleurons de l’innovation technologique made in Belgium ?

Pour sa 57e édition qui s’est tenue du 9 au 12 janvier à Las Vegas, le Consumer Electronics Show (CES), le plus grand salon de la tech, a été dominé par la vague de l’intelligence artificielle. Relancée l’an dernier par le phénomène ChatGPT, l’IA se faufile désormais dans tous les secteurs et dans tous les produits. De la voiture aux smartphones, en passant par les puces électroniques, la nouvelle génération d’ordinateurs portables, les machines à laver ou les dispositifs médicaux, les innovateurs du monde entier ont présenté de nombreux produits d’IA embarquée, c’est-à-dire directement intégrée dans les appareils. Et même dans le nouvel écran de télévision translucide de Samsung, dont tout le monde parle au CES, car il s’agit du “premier écran MicroLED transparent au monde”. Similaire à une vitre, aussi fine qu’un smartphone, cette TV next gen affiche une qualité d’image aussi brillante et contrastée que sur une TV 4K. Mais quand vous l’éteignez, la lucarne redevient translucide. Désormais, l’écran n’est là que quand vous le voulez…

Dans les allées bondées du CES, les entreprises et jeunes pousses venues présenter une part de rêve technologique se comptent par milliers. Grands groupes et start-up du monde entier – y compris venus de Chine, qui a fait en 2024 son grand retour au salon depuis la période pré-covid –, ont présenté à près de 130.000 visiteurs les mille et une manières de déployer l’IA, et notamment l’IA générative, dans le quotidien des entreprises et du grand public. Parmi les 3.500 exposants du salon, l’Europe et les régions ne sont pas en reste. Ça et là, les pavillons allemands, italiens, néerlandais et même ukrainiens attirent des centaines de visiteurs et de professionnels de l’industrie. Sous la bannière ‘FrenchTech’, la délégation française est massive : pas moins de 170 start-up tricolores sont venues tenter leur chance dans le Nevada. Un vrai rouleau compresseur au branding digne d’une “appellation d’origine contrôlée”. Et le drapeau belge ? Il flotte aussi au Consumer Electronics Show, pour la sixième fois déjà, mais exclusivement dans sa version wallonne.

Nous avons une présence 
annuelle sur 22 salons dans 
le monde, mais le CES reste 
une vitrine absolue. C’est un 
élément déclencheur.” – Guy Vanpaesschen (Awex)

Un “branding” qui porte 
ses fruits

Depuis 2018, l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (Awex) a en effet pris l’habitude d’envoyer une délégation à Las Vegas pour y présenter ce qui se fait de mieux au sud du pays. Cette année, six start-up et sept PME wallonnes étaient de la partie. Vingt-et-une entreprises belges au total, si l’on compte les sociétés bruxelloises et flamandes venues exposer sur fonds propres, sur d’autres stands. “C’est devenu une constante : chaque année, l’Awex emmène une quinzaine d’entreprises, avec notamment toutes des start-up pour lesquelles ce salon à Las Vegas est une première”, confie Guy Vanpaesschen, digital economy business developer à l’Awex et responsable de la mission wallonne. Son ambition ? Placer la Wallonie sur la carte mondiale des technologies, sous le sigle “Digital Wallonia”. “13 représentants, cela peut paraître peu. Mais par rapport à la taille de la Région, ce n’est pas le cas. Si on compare avec la délégation de la ‘French Tech’, on a proportionnellement la même taille.” Et d’insister, lucide : “S’il est difficilement compréhensible que Bruxelles et la Flandre snobent le CES, pour la Région wallonne, c’est une priorité. Nous avons une présence annuelle sur 22 salons dans le monde, souligne Guy Vanpaesschen, mais le CES reste une vitrine absolue. C’est un élément déclencheur pour la plupart des entreprises qui cherchent à internationaliser leur réseau, signer des contrats ou accéder aux investisseurs”.

Pour les mettre en avant, l’Awex a réservé deux stands labellisés “Digital Wallonia” – l’un pour les start-up au cœur de l’Eureka Park, l’autre au Venetian Expo pour les PME. Deux lieux extrêmement prisés pour lesquels l’agence wallonne a débloqué un budget de 200.000 euros. “L’année dernière, la Belgique a été sacrée ‘championne de l’innovation’ au CES et cela nous a donné une certaine crédibilité, affirme Guy Vanpaesschen. On ne peut donc pas se permettre d’avoir un stand cheap. Mais pour la Région, l’investissement est très vite rentabilisé.” Pour être présentes, les jeunes pousses belges doivent d’ailleurs passer plusieurs filtres de sélection et disposer au moins d’un prototype physique à présenter. “Il faut aussi avoir un message bien ciselé, savoir qui on veut voir et préparer un pitch de 90 secondes”, poursuit le responsable.

Gary Shapiro – BELGA PHOTO JUAN GODBILLE

Des expertises aux avant-postes de l’innovation

Quels sont les fleurons de l’innovation technologique made in Belgium ? Les secteurs représentés sont variés : solutions de recharge pour véhicules électriques, medtech, foodtech, IA, reconditionnement de téléphones, compression d’images, etc. Dans le pavillon réservé aux start-up, on retrouve notamment Ajinomatrix, un pionnier de l’innovation sensorielle qui, grâce à l’IA, permet de digitaliser les odeurs et les goûts. L’objectif pour cette start-up rebecquoise ? “On vient ici pour rencontrer des partenaires, des clients, de futurs investisseurs et aussi pour pitcher”, explique Stéphane Courtois, CFO d’Ajinomatrix. Le pitch, c’est l’un des temps forts pour les 1.400 start-up présentes à Las Vegas, parmi diverses compétitions et prix. “Je viens de le faire en 90 secondes devant des investisseurs potentiels, car nous allons bientôt lever des fonds”, explique Daniel Kwintner, market expansion advisor chez Ajinomatrix. Les start-up belges qui viennent pitcher ici doivent certes croiser le fer avec des concurrents parfois mieux financés, mais leur savoir-faire se fait de plus en plus remarquer. “Certaines sont contactées dans la journée”, glisse Guy Vanpaesschen.

Parmi les autres pépites belges présentes au salon, inMersiv Technologies, basée à Waterloo, mise sur une solution spectaculaire qui immerge les personnes souffrant de troubles anxieux, de dépression ou de maladies neurodégénératives dans un environnement zen virtuel. “Nous avons développé SAM, une capsule d’immersion autonome et multisensorielle à 360°, confie Diana Borcescu, cofondatrice et CEO d’inMersiv Technologies. Ici, pas besoin de casque de réalité virtuelle ou d’écran : l’expérience est immersive et interactive mais se fait dans un environnement photoréaliste de 16 m² grâce à un projecteur breveté. C’est aussi interactif qu’un jeu vidéo : on peut interagir physiquement avec les différents éléments qu’on voit à l’écran mais chaque expérience a une vocation thérapeutique et est adaptée au profil du patient.” Avec son concept très visuel et accrocheur, la start-up n’a pas seulement l’ambition de signer des contrats sur le sol américain, mais aussi de convaincre de nouveaux investisseurs.

Innovation made 
in Belgium

Un étage plus haut, place aux scale-up et aux PME. On retrouve des habitués de l’événement, comme la spin-off de l’UCLouvain, E-Peas, qui a récemment ouvert un bureau dans la Silicon Valley. Ou encore la société Phoenix AI qui propose une solution d’analyse d’images vidéo et de stockage local des données. Autre point d’attention : l’entreprise PainGone, venue présenter un dispositif permettant de lutter contre la douleur sans recourir à des médicaments. “Un marché crucial aux Etats-Unis, depuis la crise des opioïdes”, pointe un représentant de l’Awex. Pour TImi, qui propose une plateforme pour automatiser l’analyse de données, c’est une première. “Nous avons la chance d’avoir pu développer des marchés en Afrique et en Amérique du Sud, mais on veut se créer un réseau et prendre la température sur le marché américain”, confie Thomas Van Heugen, sales manager de TImi.

Désormais, on s’est fait un nom Et pour cette édition du CES, notre agenda de rendez-vous affiche presque complet.” – Katty Van Mele (Intopix)

Du côté des PME, on retrouve une autre habituée : IntoPIX, une entreprise de Mont-Saint-Guibert qui propose de nouveaux systèmes de compression de fichier. “Nos codecs sont présents dans l’industrie automotive, au cinéma, mais aussi dans les derniers appareils Nikon. Pour l’anecdote, c’est un contact qui s’est fait lors de notre première participation au CES, il y a six ans, explique Katty Van Mele, director business development chez IntoPIX. Aujourd’hui, 80 % de notre marché se situe en Asie, aux Etats-Unis et au Canada. Seuls, nous n’aurions jamais pu pénétrer ces marchés. Mais désormais, on s’est fait un nom. Et pour cette édition du CES, notre agenda de rendez-vous affiche presque complet.” Preuve que l’innovation made in ­Belgium a sa place dans le temple de l’innovation.


Un CES “ Unveiled ” à Bruxelles ?

Pour la deuxième année consécutive, le stand wallon a été inauguré mardi matin 9 janvier par Gary Shapiro (photo), le CEO de la Consumer Technology Association américaine, qui organise le CES. “Ce n’est pas n’importe qui au niveau de l’électronique et des nouvelles technologies”, insiste Guy Vanpaesschen de l’Awex. “Pour l’image de l’industrie technologique wallonne, c’est très positif. C’est une preuve de confiance et une reconnaissance du savoir-faire et du degré d’innovation wallon.”

En octobre dernier, Gary Shapiro avait fait l’aller-retour en une journée depuis Amsterdam jusqu’à Bruxelles pour s’entretenir avec le Premier ministre Alexander De Croo, une commissaire européenne et le haut management de l’Awex. “Il l’a fait de manière très spontanée, avec beaucoup d’intérêt et une idée qui se précise…”, confie le représentant de l’Awex. L’ambition est en effet d’accueillir dans la capitale belge une édition du “CES Unveiled” à l’image de ceux déjà organisés à ­Amsterdam, Paris, New York et Tokyo. Cette manifestation organisée en amont du show géant de Las Vegas réunit pendant une demi-journée les start-up locales, mais aussi de grands groupes industriels, des journalistes, des analystes et des investisseurs.

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