Sam Altman, le boss de ChatGPT a-t-il pété les plombs ?
Sam Altman voudrait réunir 7.000 milliards de dollars pour réinventer toute l’industrie des semi-conducteurs. Or, quand l’Europe a imaginé son “Chips Act” pour doper la production de puces en Europe, elle s’est réjouie de mobiliser… 100 milliards pour ce secteur.
Plus ambitieux que Mark Zuckerberg ? Aussi surprenant qu’Elon Musk ? A 38 ans, Sam Altman devient progressivement le nouvel homme fort dans la Silicon Valley. Le patron et cofondateur d’OpenAI, la firme derrière le célèbre chatbot d’intelligence artificielle ChatGPT, alimente sans cesse l’actualité. Après la tentative échouée de son conseil de le débarquer de la tête d’OpenAI, l’homme a été renforcé dans son rôle de visionnaire de l’intelligence artificielle. Il est désormais considéré par de nombreux observateurs comme l’un de ceux qui changera à tout jamais la face de la technologie… mais aussi celle de l’humanité.
En effet, depuis un peu plus d’un an, ChatGPT a réussi à transformer le créneau, déjà populaire avant lui, de l’intelligence artificielle. Le chatbot mis en place par Sam Altman bouleverse même totalement l’échiquier des géants de la tech. Son IA générative capable de créer, sur demande, tous types de contenus a fait trembler l’ensemble des acteurs de la tech. De Google à Microsoft, en passant par Facebook ou Amazon, tous ont vu arriver OpenAI avec beaucoup d’appréhension.
Les positions de Microsoft et Google s’en sont d’ailleurs vues totalement bouleversées: en investissant pas moins de 10 milliards de dollars dans OpenAI, la firme fondée par Bill Gates s’est repositionnée en innovateur. A l’inverse, Google multiplie les sorties pour regagner du terrain sur les technologies d’IA qui excitent actuellement la planète. Aujourd’hui, OpenAI, valorisée à 80 milliards de dollars d’après le New York Times, mène la danse. Cette start-up (à la base un projet à but non lucratif) est parvenue non seulement à se faire un nom dans l’intelligence artificielle en assez peu de temps (seulement sept ou huit ans), mais surtout à imposer son rythme à tous les grands acteurs de la tech. Quant à son patron, Sam Altman, ses prévisions laissent pantois : il se dit convaincu d’arriver à lancer une intelligence artificielle générale, soit une IA dont les capacités dépassent celles de l’être humain. Et cela dans un avenir “raisonnablement proche”…
Des GPU en masse
Mais cela ne suffirait pas à Sam Altman dont les ambitions semblent de plus en plus étonnantes. Non content de prévoir une nouvelle levée de fonds en milliards de dollars pour OpenAI, il a récemment dévoilé un projet potentiellement plus ambitieux. Selon le Wall Street Journal, l’homme espérerait mobiliser entre 5.000 et 7.000 milliards de dollars pour refaçonner l’industrie des semi-conducteurs (puces). Ceux-ci sont en effet déterminants pour le développement de l’IA. C’est sur ces puces graphiques (GPU) que sont entraînés les modèles d’intelligence artificielle qui nécessitent des capacités de calculs gigantesques. Or, ces semi-conducteurs coûtent cher et seules quelques sociétés à travers le monde sont en mesure de les fabriquer, comme TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company). Ce secteur explose d’ailleurs littéralement: il suffit de voir le succès de Nvidia dont la valorisation boursière à dépassé celle d’Alphabet (Google) et Amazon !
Non content de flairer l’opportunité de se positionner sur un marché porteur, Sam Altman entend surtout dominer et diriger l’infrastructure qui va permettre tous les développements de l’IA dans les années à venir. Et donc permettre à OpenAI d’aller encore plus loin. “Sam Altman montre qu’il pense qu’aujourd’hui, le plus gros défi de l’intelligence artificielle n’est pas un problème de données, mais une question de capacité informatique. Il faut dire qu’en ce qui concerne les données, on déploie désormais de la donnée synthétique, c’est-à-dire de la donnée produite par de l’intelligence artificielle qui peut alimenter les IA en plus des données humaines. Pour Altman, il faut avant tout plus de puissance pour pouvoir continuer à faire progresser l’intelligence artificielle. Or, la pénurie mondiale est importante et ne semble pas se résorber. Cela risque de freiner son développement.” Voilà pourquoi Altman veut agir en amont, réorganiser l’industrie des puces GPU et, au passage, mettre la main dessus.
Si au début du mois de février, la rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre qu’Altman ambitionnait de réunir jusqu’à 7.000 milliards de dollars, certains médias comme The Information font marche arrière. L’homme n’aurait fait qu’évaluer à ce montant les besoins mondiaux en matière de puces. Sam Altman n’a, de son côté, rien démenti. Et le patron d’OpenAI serait d’ailleurs en train de réaliser un tour du monde pour trouver des fonds. Il aurait ainsi rencontré le gouvernement des Emirats arabes unis, Masayoshi Son (le boss de Softbank) et les dirigeants de TSMC.
Mais qu’il souhaite mobiliser lui-même cette somme faramineuse ou pas, l’enjeu est désormais connu de tous. Et l’ampleur du chantier aussi… L’annonce des 7.000 milliards de dollars nécessaires pour arriver à son objectif pose un certain nombre de questions.
Ringardiser l’Europe ?
D’abord, certains pourraient penser que le boss d’OpenAI ringardise totalement l’Europe et particulièrement Thierry Breton et son “Chips Act”. Le commissaire européen a, de fait, mis en place un grand plan pour repositionner l’Europe sur la carte des semi-conducteurs en ramenant chez nous des usines et en tentant de mobiliser des fonds: 43 milliards d’euros de fonds européens seraient consacrés à cette ambition, complétés par 47 milliards de fonds privés. Soit un grand plan à … 100 milliards d’euros. Septante fois moins que les besoins évoqués par Altman. Mais Laurent Alexandre, fin observateur de ce créneau, tempère. “On ne parle pas de la même chose, précise-t-il. Le projet européen concerne les puces CPU et pas les puces GPU qui sont celles sur lesquelles tourne l’IA. L’Europe a donc bien fait de développer des partenariats pour l’installation d’usines Intel et TSMC. Cela lui permet de rattraper un peu son retard dans le domaine, même si elle ne devient pas propriétaire de la technologie et qu’elle n’a pas de puces de nouvelle génération. Sur le créneau de l’intelligence artificielle, on voit grâce à des start-up comme Mistral qu’il est possible d’avoir en Europe des modèles d’IA. Par contre, à ce stade, nous n’aurons pas l’autonomie européenne dans l’IA puisque pour y parvenir, il faudrait aussi disposer d’un cloud et des puces GPU. Nous n’avons pas ces deux derniers éléments.”
Ensuite, le montant pharaonique interroge. Si c’était bien son ambition, Sam Altman serait-il en mesure de réunir seul un tel montant ? Dans un récent dossier, le quotidien français Les Echos en doute : il soulève que sur les marchés, les entreprises américaines n’ont levé “que” 1.440 milliards de dollars et que le marché de la dette n’a fourni au maximum “que” 2.275 milliards de dollars ces dernières années (c’était en 2020). Il continue: “les fonds souverains qui gèrent quelque 11.400 milliards de dollars ont investi l’an dernier 125 milliards de dollars tous secteurs et pays confondus”. Et d’ajouter que “l’industrie gère certes près de 6.000 milliards de dollars d’actifs en private equity et 2.680 milliards d’euros en venture, selon Preqin (société privée de données d’investissement). Toutefois, sa “réserve” de cash, si elle croît, est limitée au regard des objectifs de Sam Altman: elle ne dépasse pas 2.300 milliards de dollars”. Bref: ce ne serait pas gagné.
Mais le fondateur d’EY Fabernovel, Stéphane Distinguin, ne se montre pas aussi catégorique. Il ne faut pas voir le projet de levée d’Altman comme une levée de fonds classique en mode pré- et post-money, analyse-t-il. Il a montré avec OpenAI et ses collaborations avec Microsoft qu’il réinvente totalement le concept de levée de fonds en intégrant du capital, de la dette, mais aussi de la commande privée, publique, etc. Il s’agit d’un modèle intéressant mais très compliqué dans lequel des industriels peuvent notamment préempter de la technologie…”
Un solide coup d’avance
Le fondateur d’EY Fabernovel pointe par ailleurs que “Sam Altman a le mérite de remettre tout le monde face aux ambitions et à la nécessité d’accompagner ce mouvement. Sept mille milliards de dollars, si l’on y regarde de près, ce n’est pas si fou. C’est l’ambition pour un projet comme celui-ci. Certes, c’est deux fois la valorisation d’Apple… Mais l’enjeu n’est-il pas plus important qu’Apple?”
Entre les lignes, on pourrait donc comprendre que le boss d’OpenAI a déjà deux coups d’avance sur la plupart de l’humanité en matière d’IA s’il parvient, comme il le pense, à développer une “IA générale”. C’est aussi ce que pense Laurent Alexandre. “Si l’on voit le projet à 7.000 milliards avec les yeux d’aujourd’hui en 2024 et une industrie de l’IA qui n’est pas très grande, les montants sont énormes et démesurés, reconnaît-il. Par contre, si l’on se place dans la perspective d’une IA générale (puis d’une super IA), on est face à une transformation radicale de l’économie mondiale car une super IA serait capable de fabriquer de nouveaux médicaments en quelques heures. On verrait apparaître de nouveaux matériaux, de nouveaux logiciels. On assisterait à une explosion de la technologie et de la médecine. Bref, nous serions face à une économie mondiale qui se structurerait davantage autour de l’IA. Dans cette vision, les entreprises qui seront capables de développer de la super IA afficheront des valorisations non plus en milliers de milliards mais en dizaines de milliers de milliards. La valorisation des super IA sera tellement considérable que 7.000 milliards pour fabriquer des puces GPU ne serait pas aussi énorme…”
En réalité, la vision de Sam Altman est celle d’un monde de demain où la “super IA” aura totalement changé la face du monde. Une révolution comme l’humanité n’en a jamais connu, avec des bouleversements économiques mais aussi sociaux et politiques. Et dans ce cadre-là, les 7.000 milliards nécessaires à une nouvelle structuration de l’industrie des semi-conducteurs ne seraient donc pas si délirants…
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