ChatGPT a deux ans: quels seront les prochains bouleversements?

L’adoption des outils d’IA tel ChatGPT commence à s’accélérer dans le monde du travail, mais aussi dans les classes. © PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

ChatGPT a relancé l’engouement et les interrogations sur l’intelligence artificielle. En seulement deux ans, la société mère OpenAI a fait chavirer toutes les balances dans la tech mondiale. Et soulevé d’innombrables questions sur l’éthique, le business et même l’énergie. Quels sont les prochains bouleversements à attendre?

Force est de constater que depuis le lancement de cette intelligence artificielle conversationnelle, on ne parle plus que d’elle. Dans les médias, dans le monde du travail ou dans certains cénacles politiques. Cette IA générative, capable de répondre aux questions de ses utilisateurs a d’ores et déjà marqué un tournant décisif dans l’univers technologique et sociétal. Plus qu’un simple outil, la technologie développée par OpenAI, et reprise par d’autres ensuite, a démontré la puissance des modèles de langage génératifs et leur potentiel pour transformer des pans entiers de la société. En seulement deux ans, ChatGPT est passé du statut de curiosité à celui d’acteur clé sur la scène tech mondiale… poussant les géants du web bien en place comme Google, Microsoft ou Apple à accélérer leurs innovations et à se repositionner.

“Avec ChatGPT, OpenAI n’est pas l’inventeur de l’intelligence artificielle, mais bien le démonstrateur, souligne Stéphane Distinguin, fondateur de EY Fabernovel, catalysant une prise de conscience collective de la puissance et des défis de l’IA.” Aujourd’hui, alors que l’adoption de ces outils commence à s’accélérer dans le monde du travail (et dans les classes !), les questions s’amoncellent : après deux ans… où en sommes-nous ? Et “what’s next” ? Quels sont les impacts réels et à venir de ces technologies ? Quels défis éthiques, économiques et énergétiques se posent ? L’avenir de l’IA suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétude. Analyse de la suite en six points.

1. Le monde du travail

Les études et les avis d’experts se multiplient pour dénombrer les jobs impactés, les opportunités, les effets positifs sur la productivité. Selon la manière d’analyser les possibilités de l’IA générative, certains s’inquiètent tandis que d’autres se réjouissent. L’IA générative trouve déjà sa place dans le secteur du travail. “L’intégration de l’IA dans nos métiers n’en est qu’à ses débuts”, constate Stéphane Distinguin. L’IA pourrait transformer les métiers de la connaissance, mais la répartition des gains de productivité reste une question clé. Reste que si ChatGPT et consorts ont révolutionné certaines pratiques, l’impact global de l’IA sur la société dans son ensemble reste faible. “Il est même quasi nul, soutient Laurent Alexandre, entrepreneur et expert de l’IA. L’effet disruptif à grande échelle n’a pas encore eu lieu. Ce n’est pas comme l’arrivée de l’ampoule ou du chemin de fer : l’IA est une technologie intangible qui est plus complexe et bouge encore très vite. Beaucoup d’entreprises peinent à se réorganiser autour de l’IA en raison d’une force d’inertie importante.” Pourtant, avec 25 % du code de Google écrit par l’IA, l’influence de cette dernière sur le travail quotidien est indéniable. Même si une transformation sociétale radicale reste incertaine. L’avenir nous dira si les résistances humaines et organisationnelles freineront durablement son adoption généralisée.

2.Les équilibres dans la tech

Ce n’est rien de le dire : le succès d’OpenAI avec ChatGPT redessine la carte du pouvoir dans la tech. Cette organisation sans but lucratif, destinée à s’assurer d’un développement éthique de l’IA, a posé les bases d’une toute nouvelle dynamique entre géants de la tech, devenant elle-même un acteur majeur (en plus d’avoir été transformée en vraie entreprise commerciale). Et son patron, Sam Altman, est passé du statut de quasi inconnu à richissime visionnaire de l’intelligence artificielle. Il a imposé à tout le secteur de la tech de se (re)positionner. Microsoft a massivement investi dans ChatGPT pour préempter la technologie et l’intégrer dans ses produits, passant pour un pionnier du créneau. Google a dû suivre la tendance et rattraper le coup. Apple a aussi dû développer ses modèles d’IA pour booster son téléphone comme l’a fait Samsung avant lui. Facebook a continué ses investissements massifs dans l’intelligence artificielle et le spécialiste des puces Nvidia s’est imposé en grand champion de la technologie (et grand vainqueur boursier) grâce à ses chips adaptées. Mais rien n’est figé et toutes les cartes n’ont pas encore été distribuées. Et d’autres grands noms sont en embuscade. Elon Musk qui était à l’origine de la création d’OpenAI développe sa start-up xAI dans laquelle, on vient de l’apprendre par le New York Times, la fabricant de processeurs Nvidia pourrait investir des sommes faramineuses. “La bataille industrielle autour de l’IA est absolument incroyable, note Laurent Alexandre. Pour se donner une idée : en 2024, à dollar constant, Facebook a dépensé plus pour l’achat de puces GPU pour l’IA que les budgets du programme Manhattan en 1940-1945. C’est dément.” Dans cette compétition, que l’on pourrait qualifier de “guerre des IA”, les gagnants auront la capacité de définir les standards et règles de l’intelligence artificielle.


3. Un modèle économique à trouver

Les investissements dans l’intelligence artificielle sont colossaux, pourtant le modèle économique des IA génératives demeure incertain. OpenAI, par exemple, perd encore plusieurs milliards de dollars chaque année, malgré la mise en place d’un abonnement à 20 euros par mois. L’une des grandes questions concerne l’éventuelle facilitation de l’IA. “Les LLM (large language models, ndlr) deviendront-ils des commodités, des services appelés par des API (application programming interfaces, ndlr), comme l’eau ou l’électricité, ou s’affirmeront-ils comme les points d’entrée de nos usages, tous nos usages comme l’espère Apple ?”, s’interroge le fondateur de EY Fabernovel. On voit pour l’instant deux tendances se dessiner. D’une part, l’intégration de l’IA dans des produits plus larges comme la suite bureautique de Microsoft ou dans les logiciels Adobe pour les améliorer et leur donner plus de valeur aux yeux des utilisateurs. D’autre part, l’intelligence artificielle comme un produit en tant que tel avec des tas de services qui se développent et des abonnements qui sont proposés par les acteurs comme OpenAI.

La vraie question est : quels usages vont s’imposer ? On sait qu’OpenAI vient de lancer la fonctionnalité “ChatGPT Search” permettant aux utilisateurs d’obtenir des réponses en langage naturel, directement connectées au contenu du web, en citant les sources des infos et en partageant des liens sources. Une concurrence directe à Google que d’aucun voient perdre la bataille du search (mais rien n’est moins sûr). Quoi qu’il en soit, Laurent Alexandre note que l’absence d’un modèle défini, à ce stade, n’est pas un souci. “Certes, le modèle n’existe pas aujourd’hui, glisse l’expert. Peut-être que Microsoft va réussir à rentabiliser ses investissements, mais on ne le sait pas. Chez Google, l’IA est un anti-business model puisque qu’elle diminue potentiellement l’usage du moteur de recherche. Les usages vont sans doute se déplacer mais on ne sait pas encore comment. Et ce n’est pas un souci : au lancement du web, on n’avait pas non plus le business model. Et faut-il rappeler que les observateurs ont raillé les pertes d’Amazon pendant des années…”

Grâce au succès de ChatGPT, Sam Altman, patron d’OpenIA, est passé du statut de quasi inconnu à richissime visionnaire de l’intelligence artificielle. (Photo by Jason Redmond / AFP) © AFP

4. Disparition des interfaces et triomphe des robots ?

Quelle forme aura l’intelligence artificielle demain ? Aujourd’hui, il s’agit de messageries plus ou moins proches d’une application comme WhatsApp. Mais la manière dont nous interagissons avec l’IA est aussi une question de design. “Va-t-on assister à la disparition de l’interface ? interroge Stéphane Distinguin, d’EY Fabernovel. L’IA ne se contente plus d’exécuter des commandes, elle dialogue, suggère et s’insère dans des processus. Concevoir ces interactions va bien au-delà de l’UI/UX (user interface/user experience, ndlr) traditionnel : il s’agit de créer une expérience qui semble proche de l’humain sans tomber dans l’illusion. Ce défi de design se complexifie dans des domaines comme l’éducation ou la santé, où les erreurs ne sont pas de simples désagréments mais peuvent nuire à la confiance, voire causer des dommages.” Aujourd’hui, l’IA est essentiellement textuelle, mais les ambitions des géants de la tech pourraient mener vers des interactions plus naturelles et intuitives, peut-être sans interface visible. En premier lieu, la voix avec des outils de type Siri dopés à l’intelligence artificielle. La question se pose : un jour, l’IA pourrait-elle être aussi intégrée que l’électricité, “comme un robinet dont on ne se soucie plus de la source” ?

Le succès d’OpenAI avec ChatGPT redessine la carte du pouvoir dans la tech.OpenAI perd encore plusieurs milliards de dollars chaque année, malgré la mise en place d’un abonnement à 20 euros par mois.

Et dans un second temps, pas forcément si éloigné : le triomphe des robots. Car la robolution est bien en marche. On voit sans cesse apparaître des images des nouvelles prouesses des robots du moment. Et les patrons de la tech investissent massivement dans les boîtes de robotique. Citons la levée de fonds à 675 millions de Figure aux États-Unis ou l’intention d’Elon Musk de lancer son robot humanoïde, d’ici 2025. Ou encore la mise en place, par Nvidia, d’une usine plateforme matérielle et logicielle pour la construction de robots humanoïdes intégrant l’IA. Comme le pense Laurent Alexandre, on pourrait bien voir arriver des robots ouvriers… plus intelligents qu’Einstein.


5. Ethique et contrôle

L’IA pose les défis éthiques que l’on connaît mais qui ne cessent de croître. Les biais des modèles, les risques de surveillance et les potentiels usages militaires de l’intelligence artificielle suscitent des inquiétudes croissantes. Les régulateurs tentent d’imposer des limites pour éviter des dérives, mais l’innovation rapide dépasse souvent les capacités de contrôle. Laurent Alexandre souligne l’incertitude quant à l’avenir de l’IA et notamment l’intelligence artificielle générale qui a longtemps fait fantasmer les observateurs (et les fans de science-fiction). “Aujourd’hui, le consensus des experts se dirige vers un dépassement de l’intelligence humaine dans un avenir assez proche, constate-t-il. Même Yann LeCun de chez Facebook qui était dubitatif revoit progressivement sa position. En quatre ans, le consensus est passé d’un dépassement en 2100 à.. 2032.” Avec les risques et les craintes que cela suscite en termes sociétaux. Les deux lauréats du prix Nobel de physique n’ont-ils pas déclaré craindre que l’IA… puisse anéantir l’humanité? Alors que Demis Hassabis, prix Nobel de chimie voit, lui, l’intelligence artificielle permettre de guérir toutes les maladies…

6. La course à une IA durable

Enfin, il est impossible de parler d’IA sans évoquer son empreinte énergétique. Pour analyser des données, l’IA a besoin de tourner sur des serveurs, puissants et gourmands. Les centres de données consomment énormément d’électricité et certaines études estiment que l’intelligence artificielle consomme 30 fois plus qu’un moteur de recherche classique. Au point que certains estiment que l’IA représentera, à elle seule, 3 à 4% de la consommation d’énergie mondiale. On voit d’ailleurs que les acteurs de l’IA et du web se tournent de plus en plus vers… le nucléaire. “Qui aurait imaginé, en 2024, que les beatniks californiens deviendraient les premiers supporters du nucléaire ?”, ironise Stéphane Distinguin. Microsoft a, de son côté, fait relancer un réacteur nucléaire en Pennsylvanie. Et tous, de Google à Microsoft, regardent de près les SMR (small modular reactors) qui seraient plus faciles à développer et moins chers. Un basculement inattendu, alors que les grands acteurs de la tech ont longtemps misé sur le renouvelable. Pour Laurent Alexandre, la transition vers des énergies renouvelables est compliquée pour les géants de la tech, qui peinent à atteindre leurs objectifs en matière de durabilité. Le défi énergétique sera de plus en plus présent dans le développement de l’IA, poussant peut-être les entreprises vers des solutions telles que le nucléaire pour alimenter leurs infrastructures. L’IA sera-t-elle un levier pour une croissance durable ou un fardeau énergétique insoutenable ?

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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