La Belgique, sous haute tension sociale, avant un séisme majeur

Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le conflit chez Delhaize et les entraves aux expressions sociales justifient la manifestation de ce lundi. Un bras de fer qui écartèle la Vivaldi fédérale, déchire les partenaires sociaux et… annonce un bouleversement politique en juin 2024.

La Belgique d’Alexander De Croo n’est pas encore la France d’Emmanuel Macron, avec ses vagues sociales régulières et ses expressions violentes. Les réformes modérées, voire inexistantes, de la Vivaldi n’ont pas le même impact brutal que la réforme des pensions chez nos voisins. Mais des indices témoignent d’une tension sociale importante chez nous aussi, entre le conflit sans issue chez Delhaize, les velléités de réprimer les « casseurs » lors des manifestations et les discours politiques évoquant la nécessité de sanctionner les chômeurs pour augmenter le taux d’emploi.

La manifestation syndicale de ce lundi a lieu dans ce contexte étrange où il n’y a pas de grande réforme politique qui fâche. Le principal adversaire, c’est un groupe devenu international qui cristallise un malaise plus général : en décidant de franchiser ses magasins, Ahold Delhaize ouvre la voie à une dégradation des conditions de travail, clament les syndicats. En clair : « Ce qui arrive chez Delhaize pourrait arriver partout. » La médiation sociale ne donne rien. Le dialogue de sourds est patent, face à un patronat confronté à des hausses de coûts importantes, qui pestent sur le manque de réformes structurelles et cette indexation automatique des salaires qui mine la compétitivité.

Le climat est miné entre partenaires sociaux. Il est plus que délicat entre les partis politiques.

Menaces sur le droit de grève

Le conflit chez Delhaize et le climat social divisent, en coulisses, la Vivaldi fédérale. Tandis que le président du PS, Paul Magnette, annonce que son parti participera à la manifestation de ce lundi et que son vice-Premier Pierre-Yves Dermagne conteste les méthodes de Delhaize, les libéraux sont dans une autre optique, défendant l’évolution voulue par le groupe et criminalisant les opposants.

Primo, le MR rappelle régulièrement qu’il n’y a pas lieu de diaboliser les franchises. Secundo, le vice-Premier Open VLD Vincent Van Quickenborne a dégainé un projet de loi visant à sanctionner les « casseurs » lors des manifestations qui ne passe pas auprès des syndicats et à l’aile gauche du gouvernement. Ecolo a demandé qu’on rediscute le texte. Il pourra être amendé en commission.  

« La mobilisation collective, c’est un des fondements de la démocratie, plaidait Marie-Helène Ska, secrétaire générale de la CSC, dans Le Soir. Et nous constatons des limitations de plus en plus importantes à cette capacité de mobilisation collective. » Les huissiers envoyés par Delhaize pour empêcher la fermeture des magasins ou le recours à des sociétés de gardiennage ont empoisonné un débat déjà délicat. Quant au projet de l’Open VLD, dit la syndicaliste, il « met dans le même panier des organisations démocratiques, des mouvements collectifs divers et quelques individus extrêmes. »

S’il ralentit le mouvement, Vincent Van Quickenborne n’en démord pas : il portera son texte contre les « casseurs ». « Il ne s’agit pas de restreindre le droit de manifester mais de le protéger contre des casseurs criminels, a-t-il défendu. Il ne s’agit pas d’actions de grève. Il ne faut pas confondre : un vandalisme éventuel lié à un piquet de grève ne peut donner lieu à une interdiction judiciaire. »

Dialogue de sourds, là aussi.

Blocages à tous les étages

La Belgique d’Alexander De Croo n’est pas la France d’Emmanuel Macron. Ces tensions sociales et politiques restent canalisées dans un cadre de concertation, de mobilisation feutrée ou de compromis politique. Le système belge reste plus pacifique, bien qu’en voie de polarisation, que les affrontements frontaux auxquels on assiste à Paris ou dans d’autres villes françaises.

Le pendant de cela, c’est un blocage qui risque d’être contre-productif. Le bras de fer chez Delhaize est gelé, les réformes ambitieuses voulues par la Vivaldi sont quasiment à l’arrêt et l’attractivité de notre pays dégringole. Les populismes montent à vitesse grand V dans les sondages: Vlaams Belang en Flandre et PTB en Walonie et à Bruxelles engrangent sur le désarroi.

En toile de fond, le débat se durcit dans les mots. Si rien ne bouge, les élections du 9 juin 2024 risquent bien de provoquer un séisme dont on risque bien de sortir avec autre chose qu’un consensus par le plus petit dénominateur commun. Chaque jour qui passe, le scénario se précise d’un choc majeur dans un an. Ou d’un statu quo qui risque de faire pourrir la situation davantage encore.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content