Ambiance toxique: “Ne partez pas du principe que tout va bien et qu’il ne se passe rien dans votre entreprise”

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Quelles sont les conditions qui favorisent les comportements toxiques sur le lieu de travail ? Et comment garantir un environnement de travail sain et sûr ? Caroline Koetsenruijter et Hans van der Loo, deux spécialistes de la sécurité psychologique au travail, ont écrit un livre sur le sujet. “Ne partez pas du principe que tout va bien et qu’il ne se passe rien dans votre entreprise”, met en garde Caroline Koetsenruijter.

“Toute l’équipe du professeur Van Hoof de la VUB a démissionné à cause d’une direction toxique. “Le directeur de Plopsa, Steve Van den Kerkhof, a été licencié après des accusations de comportement indésirable. “Le nouveau directeur sportif de l’Antwerp, Marc Overmars, a harcelé plusieurs collègues féminines en leur envoyant des messages “inappropriés”. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le nouveau livre de Caroline Koetsenruijter et Hans van der Loo, deux autorités en matière de sécurité psychologique au travail, est en phase avec l’actualité.

Les comportements toxiques au travail – et cela peut aller des blagues sexuelles débilitantes jusqu’aux pneus crevés – nous sommes prompts à les voir sous l’angle “d’actes de délinquance” qui rendent la vie infernale à des victimes sans défense. Mais pour parvenir à des solutions, les auteurs affirment qu’il faut se concentrer sur les éléments qui alimentent ce chaos toxique. Une fois qu’ils sont identifiés, on peut travailler à la création d’un lieu de travail où chacun se sent en sécurité. Il s’agit là d’une tâche considérable, dont le livre se veut un point de départ.

L’environnement de travail toxique implique-t-il toujours un facteur de puissance, de hiérarchie ?

CAROLINE KOETSENRUIJTER. “Il y a les intimidateurs. Ils se livrent à un abus de pouvoir: humiliations, injures, brimades. C’est à ce moment-là qu’un manager devrait intervenir, mais il ne le fait pas. Parce qu’il s’en moque. Parce qu’il n’aime pas les complications. Alors qu’une personne dans cette position est responsable de la sécurité de ses employés”.

HANS VAN DER LOO. “Il est faux de croire qu’il s’agit toujours d’intimidateurs. Dans la moitié des cas de comportements transgressifs, les dirigeants ignorent les problèmes de leurs employés.”

La réponse classique aux brimades et au harcèlement est de s’affirmer davantage.

CAROLINE KOETSENRUIJTER. “Quand vous envoyez des employés suivre une formation sur la résilience ou autres, vous leur en faites porter l’entière responsabilité. Comme si, après une telle formation, l’employé allait dire au directeur financier : “Chaque fois que je veux aborder un sujet, vous m’interrompez ou vous levez les yeux au ciel”. Les gens ne font pas cela.

Il vaut mieux que les dirigeants reconnaissent qu’une position de pouvoir augmente le risque de déraillement et qu’ils doivent donc non seulement tolérer la contestation, mais aussi l’intérioriser”.

HANS VAN DER LOO. “Le pouvoir rend un peu fou. Pour vouloir exercer le pouvoir, il faut avoir certains traits de caractère. Le manque d’empathie est l’un d’entre eux. Et une fois que vous êtes dans cette position supérieure, cela se renforce. Personne ne l’admettra de lui-même. Un cadre doit alors être créé. Tout comme un athlète de haut niveau est entouré d’entraîneurs qui lui indiquent les pièges à éviter.”

Est-ce qu’il arrive aussi que le patron soit victime d’intimidation ?

CAROLINE KOETSENRUIJTER. “Et oui. Le cas typique est celui d’un nouveau manager à qui un employé dit : “Je ne travaille jamais le lundi, parce que c’est le jour où je vais voir mon père. Et si vous pensez, après avoir passé une semaine ici, que vous allez changer cela, vous découvrirez à qui vous avez affaire”.

Certains facteurs peuvent indiquer qu’une atmosphère est toxique.

CAROLINE KOETSENRUIJTER. “Les chiffres des ressources humaines permettent à eux seuls de déduire beaucoup de choses. Si l’absentéisme dépasse 4 %, c’est le signe que quelque chose ne va pas en termes de charge psychosociale. D’autres indicateurs sont une rotation élevée du personnel ou de nombreuses demandes de mutation. Des différences hiérarchiques importantes sont également un facteur de risque. Y a-t-il beaucoup de travailleurs temporaires, d’indépendants ou de stagiaires ? Car ces personnes sont deux fois plus susceptibles d’être rabaissées, malmenées ou moquées”.

HANS VAN DER LOO. “On observe aussi souvent des comportements transgressifs dans les entreprises en pleine mutation, où la charge de travail est élevée. Ce sont des environnements où les dirigeants osent se permettre beaucoup de choses. Il en va de même dans les organisations où les normes sont floues. Dans le secteur artistique, par exemple, où, par définition, les limites sont repoussées. Tel directeur de casting dira : “Vous devez vous déshabiller maintenant, parce que lorsque vous êtes nu, vous chantez mieux”.

De nombreux exemples cités dans votre livre se déroulent au bureau. Le harcèlement dans la construction, dans une usine ou dans l’armée est d’un autre ordre.

HANS VAN DER LOO. ” C’est à dessein que nous avons moins insisté sur ce point. Sinon, il aurait été facile de rejeter notre argument en disant : Eh bien, dans l’industrie, il s’agit de personnes peu qualifiées, il ne faut pas s’en étonner. Nous voulons justement montrer que cela se produit partout. Dans les universités, les laboratoires, les hôpitaux. L’autre jour, j’ai entendu parler d’un spécialiste médical qui avait été promu uniquement pour le faire sortir du service où il se comportait mal”.

Quand un fait est-il considéré indésirable ? La limite d’une personne n’est pas celle d’une autre personne.

CAROLINE KOETSENRUIJTER. Les cas que nous appelons “code rouge” sont très clairs : coups de pied, morsures, coups, jets d’objets, agressions physiques. Des mesures sévères sont alors inévitables. Les menaces ne sont pas en reste : “Je vais te casser les jambes”, “Tu vas te retrouver en fauteuil roulant”…

“Dans la catégorie en dessous, on trouve les brimades, le dénigrement et les fausses accusations. La différence entre les brimades et les taquineries, c’est que les taquineries vont et viennent, alors que les brimades ont toujours la même cible. Ce qui est typique des brimades, c’est qu’elles vont en s’amplifiant. Cela commence par le fait que j’efface un rendez-vous de l’agenda de Hans, haha drôle, et cela va jusqu’à voler sa veste au portemanteau. Tout le monde voit ce qui se passe, tout le monde voit la situation s’aggraver, mais personne ne fait rien. C’est aussi un code rouge”.

HANS VAN DER LOO. “Le code orange, par exemple, c’est quand quelqu’un perd la tête. Cela peut arriver. S’il y a une tendance répétitive et que c’est toujours la même personne qui reçoit des remarques discriminatoires, alors on passe au code rouge.”

Devrait-on pouvoir demander des comptes à quelqu’un pour quelque chose qui s’est passé il y a 20 ans ?

HANS VAN DER LOO. “Revenir vingt ans en arrière n’a de sens que s’il s’agit du début de quelque chose qui se poursuit aujourd’hui. Au début de MeToo et de l’affaire Weinstein, tous les incidents des années 1990 ont été passés au crible. À juste titre. Si vous voulez mon avis, une période de cinq ans me semble raisonnable”.

CAROLINE KOETSENRUIJTER. “Et aussi parce qu’après cinq ans, il est presque impossible d’établir les faits. Une personne a une très bonne mémoire, l’autre non. Le message de notre livre est le suivant : s’il vous plaît, arrêtez le Naming et Shaming. Pour nous, il ne s’agit pas tant de rétribution ou de punition, mais de comprendre comment quelque chose a pu si mal tourner”.

HANS VAN DER LOO. “Parce que sinon, c’est un peu trop facile. Une affaire est révélée, le coupable est jeté en pâture et tout redevient comme avant.”

CAROLINE KOETSENRUIJTER. “Il vaut mieux en tirer des leçons pour l’avenir. Et je ne parle pas de mesures ad hoc comme le fait de ne se réunir qu’avec la porte ouverte. Le fait qu’un comportement toxique puisse exister dans votre organisation est le symptôme de quelque chose de plus profond. Dans ce cas, il convient d’examiner non seulement l’auteur et la victime, mais aussi la culture d’entreprise et ceux qui étaient au courant mais qui ont détourné les yeux. Il ne faut donc pas tout mettre sur le dos de la proverbiale pomme pourrie, mais regarder l’ensemble du panier. Peut-être que celui-ci est pourri aussi”.

Parlons des témoins.

HANS VAN DER LOO. “Dans un premier temps, en tant que témoin, vous pouvez offrir à la victime une oreille attentive. L’étape suivante consiste à se demander ensemble : que faire ? Une victime a besoin d’alliés. Le soutien des autres est très important lorsqu’une personne décide enfin de passer à l’action et de s’adresser à un supérieur, au médecin du travail, à la personne de confiance ou même à l’auteur de l’agression.

Que peut faire un confident ?

CAROLINE KOETSENRUIJTER. “Le rôle du confident est d’écouter, de soutenir et d’orienter. Il ne s’agit pas de résoudre le problème. La responsabilité de garantir un environnement de travail sûr incombe à l’employeur.”

En tant qu’entrepreneur ne disposant pas d’une équipe de RH, que conseillez-vous de faire dans ce cas-là ? Supposons que j’aie une entreprise de 20 employés.

HANS VAN DER LOO. “C’est la même méthode que pour une grande entreprise. D’abord, vous réalisez une sorte d’évaluation, ou vous demandez à un membre du personnel attentif de le faire : dans quelle mesure l’entreprise doit-elle faire face à des problèmes de toxicité ? Entre les employés, mais aussi avec les clients. Ne partez pas trop vite du principe que tout va bien. Deuxièmement, procédez à une analyse des risques. Y a-t-il d’importants déséquilibres de pouvoir ? Y a-t-il beaucoup de contrats précaires ? Des travailleurs saisonniers peut-être ? Ceux-ci sont en effet plus vulnérables aux abus de pouvoir. La culture d’entreprise repose-t-elle sur une vision claire ? Ou est-elle très vague? Et si quelque chose de désagréable s’est produit, quel comportement peut aider à éviter que cela ne se reproduise à l’avenir ? En répondant à ces questions, vous aurez déjà parcouru un long chemin”.

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