Après Bruxelles, la Wallonie : pourquoi le gouvernement doit mettre un sérieux coup de frein aux primes à la rénovation

Cécile Neven (MR) -BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Baptiste Lambert

Ce vendredi, l’exécutif met fin au système de primes actuel “qui a dégénéré par manque de suivi et de monitoring clair”. Une attaque indirecte à l’encontre du précédent ministre de l’Énergie, l’écologiste Philippe Henry. C’est aussi une situation qui fait drôlement penser à la prime Renolution, à Bruxelles, sous l’égide d’Alain Maron (Ecolo). Mais Ecolo réplique : “Le Gouvernement MR-Engagés sème le chaos dans le secteur et met un coup de frein à la transition”.

Le gouvernement wallon aurait sans doute préféré un autre cadeau de Saint-Valentin. Mais dès ce 14 février, à la veille du Salon Batibouw, les coupes drastiques dans les primes à la rénovation seront réalité. Jusqu’à moins 60% en moyenne. Une période transitoire est toutefois mise en place jusqu’à fin février pour ceux qui auraient déjà engagé des montants. Ensuite, un système temporaire persistera jusqu’au 1er septembre 2026, en vue de mettre un système de prime beaucoup plus simple, lisible et tenable. En Wallonie, il coexistait plus de 120 primes dont les montants ont été augmentés de 40% en 2023 par rapport à 2019.

En conséquence, une véritable bulle incontrôlée s’est créée. Si l’on en croit le gouvernement wallon, le système actuel aurait provoqué un surcoût de 352 millions d’euros, rien que pour 2025, avec un arriéré des dossiers à traiter de 322 millions d’euros. En effet, il faut savoir que les dossiers mettent en moyenne un à deux ans avant d’être traités par l’administration. En tout, pour cette année, le coût aurait donc été de 674 millions d’euros. Impayable pour la Wallonie. “C’est 6 à 7 fois le budget annuel initial”, a déclaré Cécile Neven (MR), la ministre wallonne de l’Énergie et du Logement, ce matin sur La Première. “Alors que le dérapage était déjà constaté, mon prédécesseur a augmenté le montant des primes”, a regretté la libérale.

“Éviter un moratoire, comme à Bruxelles”

“Nous devons aujourd’hui assumer une situation qui a, et j’assume le terme, dégénéré par manque de suivi et de monitoring clair. La solution mise sur la table aujourd’hui permet d’assumer les dossiers introduits et instaure un régime temporaire qui permettra d’éviter un dérapage incontrôlable. Nous avons un vrai respect de la parole publique et nous l’assumons, raison pour laquelle nous avons refusé un moratoire”, a déclaré Adrien Dolimont (MR), ministre-président wallon, en conférence de presse.

De son côté, sa collègue Cécile Neven a dit vouloir “à tout prix éviter un moratoire total, comme l’a fait Bruxelles, qui aurait signifié l’arrêt pur et simple de l’octroi de primes aux citoyens“. Elle ajoute qu’au-delà “du régime temporaire décidé aujourd’hui pour éteindre l’incendie, nous nous engageons à concevoir un système de soutien efficient et soutenable qui génère des effets leviers et qui évite les effets d’aubaine. Calibrer chaque mesure à l’aune des objectifs de la Wallonie et des moyens dont elle dispose, c’est la ligne dans laquelle je m’inscris depuis ma prise de fonction”.

Dans la capitale, le système de primes Renolution était effectivement devenu impayable, avec un succès et des dépenses qui allaient crescendo. Un bricolage budgétaire a finalement permis de sauver les primes pour 2024, mais ce n’est plus le cas en 2025, en attendant la formation d’un gouvernement.

“Un gouvernement d’un autre temps”

En ligne de mire, les précédents ministres de l’Énergie et du Logement wallons et bruxellois, les écologistes Philippe Henry et Alain Maron, ainsi que Christophe Collignon (PS). Il n’est d’ailleurs pas anodin que le parti Ecolo ait été le premier à réagir par communiqué. Les écologistes reconnaissent qu’une “simplification était nécessaire”, mais que “la modification réalisée par le gouvernement wallon à la hussarde s’apparente à une cure d’austérité sans vision. Un choix anti-social, anti-pragmatique qui sème le chaos dans le secteur  et met un coup de frein à la transition écologique!”

Ecolo tacle également le délai “irréaliste” accordé aux ménages qui auraient déjà entamé les premières démarches : “Après un flou entretenu par le Gouvernement pendant des mois, la réforme (qui reste provisoire) des primes énergie s’impose par ailleurs de manière brutale et déloyale. Toutes les personnes qui ont fait un audit récemment, à qui l’auditeur a annoncé des primes calculées sous l’ancien régime, sont supposées fournir un devis ou un bon de commande, et apporter la preuve du paiement d’un acompte avant… demain !”

Enfin, les écologistes s’inquiètent pour le secteur. “Pour pouvoir encore profiter du régime de primes actuel, les entreprises ont 15 jours pour finaliser des travaux, établir des factures pour 20% du budget total et envoyer tous les documents. Une aberration ! Quelle entreprise peut garantir cela sans bâcler le travail ? On met une pression insensée sur les professionnels du secteur.” Pour la députée wallonne Céline Tellier, “ce gouvernement d’un autre temps pénalise les familles et les professionnels du bâtiment. Et nous empêche de lutter efficacement contre les dérèglements climatiques. Le Gouvernement wallon aurait-il déjà oublié les inondations de 2021?”

Un secteur fragilisé, mais biberonné

Hasard du calendrier, la Fédération de la construction, Embuild, a communiqué sur la situation préoccupante des entreprises de construction et de rénovation. 7 sur 10 disent s’attendre à une nouvelle détérioration de leur situation en 2025. Les carnets de commandes sont moins remplis que d’habitude chez 69% des entreprises, tandis qu’ils sont plus remplis que la normale pour seulement 7% des sociétés.

Du côté des bonnes nouvelles, le gouvernement fédéral vient de rendre permanente la TVA à 6% pour la démolition-reconstruction de logements en vente. La sérieuse baisse des primes à la rénovation est une moins bonne nouvelle pour les entreprises wallonnes, c’est clair, mais elles doivent également pouvoir voler de leurs propres ailes. Un secteur biberonné à l’argent public n’est pas tenable indéfiniment.

D’autres voix sont encore plus critiques, comme Jean-Yves Huwart, auteur de plusieurs ouvrages sur les politiques publiques wallonnes. Selon lui, le régime temporaire qui perdure est encore de trop : “Conserver 300 millions de primes à la rénovation reste un gaspillage complet d’argent public, comme l’indiquent les études démontrant que la consommation d’énergie ne baisse pas après travaux. Les ménages augmentent juste leur confort.”

Le CEO spécialisé en coworking fait notamment référence à cette étude britannique réalisée auprès de 55.000 ménages et publiée en 2023. Elle tend à montrer que toutes les économies d’énergie disparaissent la 4e année après une rénovation. Il peut même y avoir un “effet de rebond” de la consommation afin d’obtenir plus de confort. Les rénovations d’isolation, par exemple, s’accompagnent souvent d’extension. Et les gens ont également tendance à moins faire attention, une fois qu’ils ont l’impression que leurs travaux sont amortis.

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