Pourquoi les travaux d’intérêt général pour les chômeurs de longue durée pourraient être une fausse bonne idée

MR Engagés Prévot Bouchez
Maxime Prévot (Engagés) et Georges-Louis Bouchez (MR) - BELGA PHOTO LAURIE DIEFFEMBACQ © Belga
Baptiste Lambert

Alors qu’on se dirige vers la fin des allocations de chômage après une période de deux ans au niveau fédéral, les Régions seront chargées d’organiser l’après. En Wallonie, l’idée d’imposer des travaux d’intérêt général en cas de refus d’un job semble se dessiner. Mais de quoi parle-t-on ? Et n’est-ce pas une fausse bonne idée ?

Bénéficier d’allocations de chômage à vie, c’est terminé, en Belgique. Les cinq partis qui négocient une Arizona à l’échelon fédéral semblent s’accorder sur ce point. Il faut dire qu’il s’agit d’un système tout à fait unique en Europe. L’idée est de pouvoir donner plus au départ, mais moins longtemps, avec un couperet, qui est censé exercer une pression supplémentaire sur le chômeur de longue durée.

Par contre, il règne un certain flou sur ce qui se passe après cette période de deux ans. Logiquement, le chômeur glisserait vers le CPAS, avec une allocation forcément revue à la baisse. Le premier problème est que cela ferait porter le poids des allocations de chômage sur les communes et les régions, qui chapeautent les CPAS. La Wallonie et Bruxelles, en grande difficulté financière, ne se tireraient-elles pas, dès lors, une balle dans le pied ?

Vers des travaux d’intérêt général obligatoires ?

Au sud du pays, la nouvelle majorité s’est laissé une marge de manœuvre pour appliquer cette éventuelle mesure du fédéral dans la DPR. Mais rien n’est encore très clair à ce stade. Toutefois, au vu des déclarations des uns et des autres, il semble que des travaux d’intérêt général pourraient s’imposer pour les irréductibles.

Le nouveau ministre-président wallon, Adrien Dolimont (MR), a été très clair dans sa première interview, accordée à LN24 : “On considère qu’à partir du moment où l’on ne répond pas aux attentes par rapport à la remise à l’emploi et que l’on n’arrive pas à être remis à l’emploi après deux ans, il est logique que les pouvoirs publics qui continuent à aider la personne soient en attente d’un service en retour. Je pense qu’il faut le rendre obligatoire, il faut que ce soit contraignant. La solidarité va dans les deux sens, elle doit aussi être responsabilisante pour les personnes que l’on aide.”

Adrien Dolimont (MR), le nouveau ministre-président wallon – BELGA PHOTO HATIM KAGHAT

Durant la campagne, le MR et son président, Georges-Louis Bouchez, n’en avaient pas fait mystère. Ils voulaient imposer des travaux d’intérêt général, aux demandeurs d’emploi qui refusaient deux emplois ou deux formations pour des métiers en pénurie : “Ceux qui (hors personnes malades ou incapacité de travailler) persistent dans leur volonté de ne pas travailler, ils devront alors faire des travaux dans l’intérêt de la collectivité”, ajoutait le libéral, sur RTL-TVi, en mai dernier.

Les Engagés, par contre, n’étaient pas si explicites, et leur programme ne faisait d’ailleurs aucune mention des travaux d’intérêt général pour les chômeurs de longue durée. Dans le chapitre dédié au “droit à l’emploi”, le parti de Maxime Prévot entendait plutôt rendre un emploi obligatoire, au mieux dans le secteur privé, mais le plus couramment dans le secteur public ou associatif. Pour être tout à fait clair : il s’agissait d’un emploi payé, ce qui pourrait être une nouvelle charge importante pour les finances wallonnes.

En Flandre, le VDAB (Forem flamand) se laisse depuis 2023 la possibilité d’imposer des travaux d’intérêt général aux chômeurs de longue durée. Ces derniers conservent leurs allocations et sont payés 1,30 euro de l’heure, mais ne peuvent dépasser le quota de 64 heures par mois, pour une période de 6 mois. Il n’existe encore aucun chiffre officiel, mais d’après la VRT, fin 2023, sur 37.000 chômeurs flamands de longue durée, seules 5 personnes intégraient ce programme. Il semble que le VDAB rechigne à utiliser cette mesure décidée par la précédente coalition. À voir si celle qui se dessine (N-VA, cd&v et Vooruit) étendra son application.

Une fausse bonne idée ?

Au niveau wallon, l’économiste Philippe Defeyt ajoute une autre mise en garde. Il ne voit pas très bien en quoi exiger des travaux d’intérêt général, par exemple dans l’entretien de biens publics ou dans le secteur de la santé, pourrait remettre les chômeurs de longue durée sur la voie du travail.

Il en veut pour preuve les chiffres les plus récents de l’ONEM concernant les chômeurs de longue durée : 36,8% des chômeurs de longue durée – soit au total 42.000 personnes – ont travaillé au moins une fois depuis que la barre des 2 ans de chômage a été franchie. Il s’agit principalement de petits boulots ou de l’intérim qui ne permettent pas de sortir le chômeur de longue durée des statistiques. Pourquoi ? Parce qu’il faut travailler 3 mois de suite sans allocations de chômage pour que le compteur du chômage soit remis à zéro. Pourquoi les travaux d’intérêt général réussiraient là où le travail intérim n’y arrive pas, s’interroge l’économiste ?

Philippe Defeyt estime que le débat est ailleurs, notamment sur ces 42.000 chômeurs de longue durée : “Comment se fait-il que ces parcours ne débouchent pas plus et plus rapidement sur une insertion durable sur le marché du travail ? Ceci devrait amener à s’interroger sur l’espoir que certains mettent dans les travaux d’intérêt général. Peut-on vraiment penser que, par exemple, ‘passer du temps avec des personnes âgées en maison de repos’ débouchera, avec le temps, plus facilement et plus rapidement sur une insertion durable que des ‘vrais’ jobs de courte durée successifs ?”

L’économiste ajoute que les chômeurs de longue durée “seraient peut-être plus nombreux à travailler si les allers-retours chômage-emploi, en particulier pour les jobs de (très) courte durée, étaient moins lourds en démarches administratives et présentaient moins de risques en matière de revenus. Dans le débat sur les pièges à l’emploi, cette dimension est trop souvent ignorée.”

Un dernier élément doit être pris en compte : la concurrence des pouvoirs publics vis-à-vis des entreprises d’insertion. Une main-d’œuvre quasi gratuite pourrait phagocyter des emplois existants payés à plein pot, qui plus est dans le secteur privé, alors que la Wallonie déborde d’emplois issus du non-marchand.

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