La Wallonie, cet éternel faux plan ?
“Wallonie-Flandre. Par-delà les clichés”, titrait le dernier livre de Thomas Dermine, secrétaire d’Etat à la Relance. Pourtant, certains clichés ont la vie dure quand il est question des (nombreux) plans pour redresser l’économie wallonne. Il subsiste aussi certains mythes, comme celui du rattrapage de l’économie wallonne par rapport à sa grande sœur flamande.
Début février, le ministre wallon de l’Economie, Willy Borsus (MR), et le bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette (PS), lançaient une invitation à la presse pour lui faire part “d’une nouvelle étape” dans la réhabilitation du site de Caterpillar à Gosselies.
Enfin un repreneur ? Non. La présentation d’un nouveau masterplan qui prépare le terrain d’une éventuelle réhabilitation du site. Le fruit de plusieurs mois de travail d’une task force – spécialité belge – qui a réparti le site industriel en trois secteurs pour remplir ses 93 hectares: la logistique/production, l’événementiel et les biotechnologies.
Les appels d’offres seront lancés dès ce mois de février, pour des résultats concrets dès le mois d’avril. C’est du moins ce que le monde politique promet. En septembre prochain, cela fera huit ans que le site de Caterpillar a cessé toute activité.
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Etablir des plans. La Wallonie fait ça à merveille. Le dernier en date est le Plan de relance. Un plan “inégalé” en termes de moyens, se vante souvent le gouvernement wallon. Il est sorti en 2021, après la crise sanitaire, et met sur la table pas moins de 7,3 milliards d’euros pour financer quelque 350 projets présélectionnés, dont 42 sont prioritaires, jusqu’à 2026. Cela représente quand même près de 7% du PIB.
Entre Noël et Nouvel An, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) a tenté d’objectiver les retombées de ce fameux plan, au niveau de la productivité à long terme. Coup de clairon : un gain de 0,7% de croissance d’ici à 2030 par rapport à une situation où ce plan n’existerait pas. Et l’Iweps prévoit que ce gain de croissance pourrait durer, puisqu’il serait encore de 0,58% en 2040. Pour l’auteur de l’étude, Frédéric Verschueren, ce boost “peut être considéré comme important”, nous confie-t-il. Car les “les mesures seront éteintes à ce moment-là”, mais les investissements, notamment dans les infrastructures, “continueront à produire leurs effets”. La question est de savoir s’il ne devrait pas s’agir d’un prérequis. Quarante-trois pour cent des investissements soutenus par le plan ne devraient pas jouer, à terme, de rôle sur la productivité des entreprises.
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Elio Marshall
Mais critiquer les plans wallons est aussi devenu une sorte de cliché. Pour éviter l’écueil du bashing bête et méchant, il nous faut également exhumer certains chiffres, singulièrement au niveau de cette fameuse croissance. Et ceux partagés par la Banque nationale, fin janvier, ne sont pas rassurants. Ils montrent que le rattrapage de l’économie wallonne par rapport à sa grande sœur flamande relève du mythe.
Tenez-vous bien : depuis 2019, la Flandre a vu son activité progresser de 6,5% contre à peine 1,9% pour la Wallonie. En élargissant la comparaison à 2010, l’économie flamande a crû en moyenne de 1,9% par an contre 1,2% pour la Wallonie. Depuis les années 1970, la Flandre a eu un meilleur taux de croissance trois années sur quatre. “Il n’y a donc pas de rattrapage wallon”, écrivait récemment Bart Van Craeynest, économiste en chef au Voka, le patronat flamand, dans un article d’opinion publié dans L’Echo.
Et si l’on se tourne vers l’avenir, ce n’est guère plus ensoleillé. Dès cette année, la croissance flamande sera supérieure de 0,2%, a calculé le Bureau du Plan. Pour la période 2025-2028, le trou se creuse encore un peu plus : 1,6% pour la Flandre contre 1,3% pour la Wallonie. L’excuse maintes fois brandie des inondations de 2021 ne peut pas tout expliquer.
Depuis 2019, la Flandre a vu son activité progresser de 6,5% contre à peine 1,9% pour la Wallonie.
Un dernier chiffre pour la route ? Il concerne l’emploi. En progression de 1% au nord du pays pour la période 2025-2028, contre 0,7% en Wallonie. Rappelons pourtant que le taux d’activité est de 77,2% en Flandre et même de 79,6% dans les pays voisins, contre 65,7% en Wallonie. Nous vous éviterons ici les développements sur les finances publiques du sud du pays.
“Le livre de Thomas Dermine est une insulte à la Flandre et à l’intelligence“, flinguait l’économiste Etienne de Callataÿ, dans nos colonnes. Le secrétaire d’Etat socialiste évoque notamment dans son ouvrage les raisons historiques qui expliqueraient le retard économique de la Wallonie : la fermeture des charbonnages et des sites sidérurgiques. Mais il “n’évoque pas la responsabilité du socialisme depuis 50 ans dans la situation actuelle de la Wallonie”, ajoutait l’économiste, qui n’est pourtant pas connu pour être le plus pur et dur des néolibéraux. C’est encore moins le cas de son collègue Philippe Defeyt, apparenté à Ecolo, qui lançait lui aussi un appel pour le sud du pays : “Arrêtons de laisser des gens abuser du système, cela décourage ceux qui travaillent bien”.
Thomas Dermine n’est pas le seul à sortir cette excuse pavlovienne. Début février, le ministre-président wallon, Elio Di Rupo (PS), qui occupait le même poste il y a tout juste 25 ans, ressortait le couplet “des fermetures massives d’entreprises lourdes, telles que la sidérurgie, le charbonnage et la verrerie, depuis le début des années 1970” sur les antennes de La Première. Une dégradation wallonne qui aurait pris fin, selon lui, au tournant de l’année 2000, ce qui coïncide, évidemment, avec l’arrivée de l’homme au nœud papillon à la tête de l’exécutif. Mais de qui se moque-t-on ?
Trente ans de fonds européens et 25 années de plans à répétition (le contrat d’avenir, le plan Marshall, le plan Marshall 2.Vert, le plan Marshall 4.0) nous conduisent en 2023 à ce qu’une personne en âge de travailler sur trois ne travaille pas dans cette Région. Une personne sur deux dans certains arrondissements. Cerise sur le gâteau : il y a 30 ans, le PIB par habitant de la province du Hainaut se situait à 77,3% de la moyenne européenne. Il est aujourd’hui à 74,3%, malgré l’arrivée de nombreux pays d’Europe de l’Est. Où est la remontada ?
Quel message envoie-t-on ?
Bien sûr, les socialistes n’ont pas gouverné seuls. Mais à l’exception du coup de poignard du cdH, en 2017, qui a expulsé Paul Magnette de la ministre-présidence au profit de Willy Borsus (MR), les socialistes ont mené le gouvernement wallon sans discontinuité depuis 1988. On ne peut pas toujours se cacher derrière son petit doigt.
Mais Elio Di Rupo, dans une récente interview accordée au Soir, préfère mettre en avant l’incapacité de la Wallonie “à créer des entreprises”, ajoutant que “l’envie d’entreprendre est insuffisante” parmi les Wallons. Il a raison, il n’y a pas assez d’emplois issus du privé au sud du pays. Mais quel message envoie-t-on à la population, quand de l’autre côté, le président de parti, Paul Magnette – 410.000 euros bruts par an – veut limiter les salaires des dirigeants d’entreprise, diminuer le temps de travail et augmenter d’un tiers le salaire minimum en une seule législature ? Le bourgmestre de Charleroi envoie-t-il vraiment un message entrepreneurial quand il affirme que “nous sommes arrivés à un stade où la croissance n’est plus nécessaire” ?
Evidemment, tout ne va pas mal en Wallonie. Les exemples de réussite sont même nombreux et, eux aussi, souvent répétés : les biotechs, la pharma, l’aéronautique, l’aérospatial, les aéroports wallons et les investissements dans la recherche et le développement. Mais trouver toujours les mêmes (fausses) excuses ne sert personne. Ni les politiques, qui seront toujours rattrapés par des statistiques implacables, ni les Wallons, dont la confiance dans les institutions a chuté, accrochez-vous, de 60-70% à 30-40% en une seule législature. Avant une véritable relance, il faut faire le bon diagnostic.
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