Voici la réforme fiscale idéale, selon cinq fiscalistes

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La réforme fiscale était censée être le point d’orgue du gouvernement d’Alexander De Croo. Alors que les partis au pouvoir continuent de se chamailler à ce sujet et n’arrive pas à un accord, Trends a demandé à cinq fiscalistes ce qu’il convenait de faire en matière de fiscalité.

La réforme de la fiscalité était l’un des grands chantiers du gouvernement fédéral De Croo. Toutefois, les négociations politiques menées jusqu’à présent laissent à penser qu’aucune réforme ne verra le jour et qu’il ne s’agira que de quelques ajustements. Trends a demandé à des experts fiscaux de revoir l’actuel impôt sur le revenu des personnes physiques et d’en élaborer un nouveau.

Taxer les revenus du capital de manière progressive

“La progressivité des barèmes d’imposition est l’un des fondements du système actuel”, explique Jef Wellens, expert fiscal chez Wolters Kluwer. “Notre système part du principe que les taux d’imposition augmentent avec le revenu. Le degré de progressivité et la question de savoir si le taux d’imposition le plus élevé de 50 % doit déjà être appliqué à un revenu annuel de 46.440 euros, comme c’est le cas aujourd’hui, sont sujets à débat.

“Lorsque l’impôt sur le revenu a été introduit par la loi du 29 octobre 1919, le principe de base de la redistribution fiscale s’appliquait”, affirme Michel Maus, professeur de droit fiscal à la VUB. “Le principe selon lequel les épaules les plus fortes doivent supporter la charge la plus lourde s’est traduit fiscalement par la structure progressive du taux d’imposition sur le revenu des personnes physiques. La grande réforme fiscale suivante, la loi du 20 novembre 1962, a introduit le principe de la globalisation des revenus. Le principe de neutralité fiscale est ainsi devenu de facto un fondement de l’impôt sur le revenu, en vertu duquel les revenus sont imposés de la même manière, quelle que soit leur source.

“La philosophie de base était donc bonne, mais au fil des ans, elle s’est transformée en une monstruosité. La logique a disparu”, poursuit M. Maus. “Le taux le plus élevé de 50% d’imposition sur le revenu des personnes physiques s’applique déjà à partir d’un revenu annuel brut de 46.440 euros, ce qui laisse peu de place à une réelle progressivité. En ce qui concerne les revenus du capital, il n’est plus question de capacité de charge et de neutralité. Les dividendes, les intérêts et les plus-values sur le patrimoine privé sont imposés séparément dans le cadre d’un système distinct dont les taux sont fixes et non progressifs. Ainsi, de facto, seul l’impôt sur les revenus du travail est redistributif, ce qui n’est pas le cas des revenus du capital.

“Je réformerais selon la doctrine fiscale de Reagan de 1986”, conclut M. Maus. “Selon cette doctrine, l’imposition des revenus doit être neutre, c’est-à-dire que les mêmes principes fiscaux s’appliquent, quelle que soit la source des revenus. Les revenus du capital seraient donc eux aussi imposés progressivement.”

Une révision en profondeur des régimes de déduction et d’exonération

“En outre, l’impôt sur le revenu devrait être plus global”, déclare Michel Maus. “Pour ce faire, nous devons procéder à un important remaniement des régimes de déduction et d’exonération. Cela permettra d’élargir considérablement l’assiette fiscale et d’appliquer des taux beaucoup plus bas. Les incitants fiscaux doivent devenir l’exception. Cela signifie qu’il faut supprimer les allégements fiscaux pour les employés de maison, les titres-services, les cadeaux, etc. Un tel exercice conduit à une plus grande égalité et à une base d’imposition plus large. Cela devrait ensuite être compensé par des taux nettement plus bas, mais toujours progressifs.

Anton van Zantbeek, avocat fiscaliste chez Rivus, estime également que les réductions d’impôts de toutes sortes devraient être supprimées. “Elles rendent la fiscalité inutilement complexe et conduisent à ce que de nombreuses déclarations préremplies ne soient pas correctes. Le gouvernement dispose d’une masse d’informations qu’il devrait mieux utiliser pour obtenir de meilleures déclarations préremplies.”

Selon M. Van Zantbeek, les fondements de notre système fiscal sont bons, “mais ils doivent être rétablis”. Il existe quatre types de revenus : les revenus mobiliers, les revenus immobiliers, les revenus professionnels et les revenus divers. De ces revenus, il faut d’abord déduire les frais correspondants, par le biais d’un taux forfaitaire ou non, pour obtenir le revenu net. Ceux-ci doivent ensuite être taxés en tenant compte de la spécificité de chaque type de revenu. La collecte de l’impôt se fait de préférence par l’intermédiaire de tiers, tout comme le précompte mobilier sur les comptes d’épargne ou les comptes-titres est prélevé par l’intermédiaire d’institutions financières”.

Avoir une vision à plus long terme

Jef Wellens dénonce le court-termisme qui s’est insinué dans le système fiscal au fil des ans. “L’impôt sur le revenu des personnes physiques est le terrain de jeu favori des hommes politiques qui prennent constamment et souvent inconsidérément des mesures fiscales à très court terme”, affirme-t-il. “De tout nouveaux cadres juridiques, programmes informatiques et procédures administratives sont mis en place à cette fin, pour être abandonnés ensuite au bout de quelques mois. Cette année, par exemple, nous avons obtenu un nouveau crédit d’impôt pour augmenter l’indemnité kilométrique des travailleurs et un nouveau régime fiscal pour les retraités qui acceptent de travailler dans le secteur des soins de santé. Des systèmes qui ne sont en place que pour quelques mois ou un an et qui font obstacle à une fiscalité personnelle claire et simple”.

“Les décideurs politiques devraient cesser d’inventer toutes sortes de mesures fiscales avec lesquelles ils veulent orienter ou modifier le comportement des citoyens”, estime Sylvie De Raedt, maître de conférences en droit fiscal aux universités d’Anvers et de Gand. “Pour bon nombre de ces mesures, on peut se demander si les citoyens n’auraient pas mieux fait de recevoir simplement l’argent de ces faveurs fiscales qu’ils récupèrent ensuite via leur déclaration d’impôts anticipée.”

Faire entrer la fiscalité dans l’ère du numérique

Sylvie De Raedt souligne que le rôle de la numérisation dans la fiscalité ne fera que s’accentuer. “La déclaration d’impôts disparaîtra et, à terme, tous les impôts seront collectés automatiquement sur la base des données disponibles auprès des gouvernements, des entreprises et des plateformes numériques. Cela rendra la fiscalité plus conviviale”, dit-elle. “Mais pour cela, il faut pouvoir convertir les lois fiscales en lignes de code. De nombreuses dispositions sont vagues et le contribuable joue un rôle trop important dans la décision finale sur la manière de les interpréter. Non seulement elles sont subjectives, mais elles sont également difficiles à convertir en code. À l’instar d’un code informatique, il faut être en mesure d’intégrer toutes les dispositions fiscales dans un schéma de type “si” et “alors”. Elles ne doivent pas être sujettes à discussion, comme c’est encore trop souvent le cas”.

Une simplification drastique de la fiscalité est une nécessité absolue, poursuit Sylvie De Raedt, “tant pour rendre la législation programmable que pour qu’elle reste transparente et contrôlable. Si le législateur n’y veille pas, les informaticiens qui transformeront la législation en code devront faire certains choix, et ce n’est pas ce que nous voulons en tant que société. Il existe également une corrélation entre la complexité de la législation et la mesure dans laquelle les citoyens sont disposés à s’y conformer. Plus elle est complexe, moins les gens sont enclins à la suivre à la lettre”.

Réduire le nombre de codes

“Beaucoup de dépenses dans les niches fiscales ne sont utilisées que par une poignée de contribuables et polluent inutilement la déclaration d’impôt sur le revenu des personnes physiques”, confirme Jef Wellens. “Par exemple, une section de déclaration pour le transfert de l’abattement fiscal pour les actions ‘covid taxshelter’ – quelles actions, dites-vous ? – et le transfert de ces actions. Il s’agit de rubriques fantômes que presque personne n’utilise.

“Rien n’est vraiment mis en œuvre pour simplifier la fiscalité”, soupire Philippe Renier, avocat fiscaliste chez RenierKetels. “La déclaration d’impôt contient 843 codes. Elle restera probablement en l’état après la réforme. Aux États-Unis, la déclaration comporte 38 sections. L’administration fiscale américaine compte 28.000 fonctionnaires, la belge 29.000. Il ne fait aucun doute qu’une numérisation poussée de la fiscalité, par le biais de facturations électroniques ou de contrôles automatisés, permettrait d’économiser bien davantage sur les coûts salariaux du Service public fédéral Finances, ce qui, en soi, rapporterait bien plus que le maigre transfert fiscal de 1,5 milliard d’euros actuellement envisagé.”

Ne pas avoir peur d’une nouvelle réforme de l’État

“Lors de la sixième réforme de l’État en 2014, une erreur s’est glissée dans l’impôt sur le revenu des personnes physiques”, explique Jef Wellens. “Il a été scindé en un impôt fédéral et un impôt régional. Cela fait obstacle à une politique fiscale cohérente. Les régions suppriment systématiquement les réductions d’impôt et les dépenses, tandis qu’au niveau fédéral, de nouvelles mesures sont ajoutées année après année. Chaque mesure fédérale affecte financièrement les régions, sans qu’elles perçoivent une part du gâteau.

“Même avec les propositions de réforme actuelles, les régions ne font que subir, elles sont dos au mur. Chaque réduction de l’impôt fédéral sur le revenu des personnes physiques est financée pour un quart par les régions, mais elles ne profitent pas des mesures compensatoires telles que l’augmentation des recettes de la TVA ou l’impôt minimum. Tôt ou tard, elles n’ont d’autre choix que d’augmenter leurs centimes additionnels, l’impôt régional sur le revenu des personnes physiques”, ajoute M. Wellens.

“Un choix fondamental s’impose donc à nous, qui ne peut être réalisé qu’avec une nouvelle réforme de l’État : soit fédéraliser à nouveau l’impôt sur le revenu des personnes physiques, soit le régionaliser davantage, en donnant plus d’initiative et de pouvoir décisionnel aux régions. La première solution ne semble pas réaliste. La seconde est révolutionnaire. Mais à long terme, il faut dénouer la situation”.

Investir n’est pas sale

“La taxe sur les comptes titres est une aberration”, affirme Anton van Zantbeek. “Elle fait de l’investissement quelque chose de sale. Quiconque détient une obligation bancaire sur son compte-titres est taxé sur cette obligation, mais l’argent liquide sur les comptes de la même banque n’est pas taxé. Je ne comprends pas cette différence. Les liquidités sont une bonne chose aux yeux des politiciens, mais avec elles, vous ne pouvez pas répartir vos investissements. Si vous répartissez vos investissements sur d’autres classes d’actifs, comme les actions et les obligations, vous êtes taxé en plus.

Ne pas se contenter de cacahuètes

Pour Philippe Renier, les grandes lignes de la réforme devraient être claires. “Le principe directeur de la grande réforme fiscale est de moderniser, de simplifier et de rendre le système fiscal plus juste et plus neutre. Ce faisant, le gouvernement aspirerait essentiellement à déplacer les impôts du travail vers la richesse et la consommation”, a-t-il déclaré.

“Au vu de l’évolution récente de la situation, il semble que ces paroles soient vides de sens. Alors que la première grande réforme fiscale visait un transfert de 5,7 milliards d’euros, le gouvernement ne parle plus que de 1,5 milliard d’euros. La ‘grande réforme fiscale’ a donc disparu. Ce qui reste se traduit par 300 euros de salaire net en plus, soit 25 euros par mois, des clopinettes, soit deux titres-services par mois. L’impact réel de cette mini-réforme fiscale sera sans doute beaucoup plus important sur la Belgique entrepreneuriale, de sorte que l’on peut se demander si le jeu en valait la chandelle.”

Et le prix de la plus grande absurdité fiscale revient à…

Anton van Zantbeek regrette la suppression de la régularisation statutaire. “C’était de la poudre aux yeux, une mesure qui stipule que les fraudeurs doivent simplement aller en prison. Mais les procureurs n’ont pas le temps de s’en occuper, et cette mesure risque donc de rester sans effet. Les personnes qui se repentent et veulent régulariser leur situation fiscale doivent pouvoir le faire légalement. Pas à des taux bradés, mais ils devraient avoir cette possibilité. C’est intelligent et cela offre un cadre juridiquement sûr. En outre, cela stimule les investissements en Belgique et fait rentrer de l’argent dans les caisses de l’État.”

Assez d’absurdités, dit Michel Maus. “S’il fallait en choisir une, je choisirais la réduction d’impôt pour les travailleurs domestiques. Apparemment, les politiciens se sont dit qu’il fallait encourager l’embauche d’un majordome par une réduction d’impôt. Ainsi les personnes qui emploient un majordome peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt allant jusqu’à 2.352 euros, grâce au Parlement.

“Si vous bénéficiez d’une allocation de chômage de 19.000 euros, vous ne payez pas d’impôts. Si vous avez un autre revenu imposable (même s’il ne s’agit que de 100 euros) en plus de cette allocation de chômage, vous payez soudain 1.185 euros d’impôts. Cela correspond à un taux d’imposition de 1,185 %”, calcule Jef Wellens.

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