Ilham Kadri, CEO de Syensqo: “Un moment charnière pour l’Europe”

"L’EUROPE est le continent de l’industrie, de l’innovation et du talent."
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

“En février, 73 CEO européens ont signé la Déclaration d’Anvers, rappelle Ilham Kadri. Depuis, nous sommes à plus 1.190 signataires. Dix actions peuvent garantir la transition écologique dans une industrie européenne durable.”

Figure importante de l’industrie, à la tête de Syensqo (issue de Solvay) et du Conseil européen de l’industrie chimique, Ilham Kadri plaide pour un sursaut européen.

TRENDS-TENDANCES. Quels sont les défis majeurs pour votre secteur?

ILHAM KADRI. L’industrie européenne perd du terrain. Si nous voulons rester compétitifs, nous avons besoin d’un cadre qui accueille favorablement les investissements en Europe. Toutes les entreprises européennes sont touchées par la triple transition (décarbonisation, numé­rique, transition juste) augmentée d’un environnement concurrentiel sans précédent. Décarbonisation ne doit pas rimer avec désindustrialisation. Au contraire, la réussite du Green Deal dépend largement de l’industrie chimique, car la chi­mie permet la transition; je pense par exemple à la production de batteries des véhicules électriques, qui permet une mobilité propre. L’industrie chimique européenne est un partenaire incontournable des gouvernements dans la lutte contre le changement climatique.

Quelle mesure prioritaire attendez-vous du politique?

Au mois de février, 73 CEO européens ont signé la Déclaration d’Anvers, c’est un véritable plaidoyer pour les élections européen­nes. Depuis, nous sommes à plus 1.190 signataires. L’appel aux dirigeants européens comprend 10 actions qui visent à garantir la transition écologique dans une industrie européenne résiliente et durable. Il s’agit de placer le pacte industriel au cœur de l’agenda stra­tégique de l’Union. Nous deman­dons, entre autres, un inventaire des instruments politiques disponibles pour combattre la concurrence déloyale provenant de l’extérieur de l’UE, et la création d’un poste de Premier vice-président chargé de la mise en œuvre du Pacte industriel européen. L’objectif vise aussi à assurer notre autonomie et notre souveraineté sur des matériaux essentiels pour la transition écologique.

L’EUROPE est le continent de l’industrie, de l’innovation et du talent.

Les réglementations sont-elles un frein à vos investissements en Europe?

L’Inflation Reduction Act aux Etats-Unis a été un signal d’alarme pour l’Europe. Là où l’Europe réglemente, les Etats-Unis ont opté pour des mesures d’incitation importantes afin de soutenir l’indus­trie dans sa transition et d’investir dans des technologies importantes. L’Europe devrait s’inspirer de l’IRA. La législation doit inciter les entreprises à investir dans les technologies propres et nous avons besoin de simplification et de cohérence. C’est un des axes primordiaux de la Déclaration d’Anvers: il faut accélérer l’obtention des permis, clarifier les réglementations et les simplifier.

Faut-il bloquer le prix de l’énergie?

Celui-ci a toujours été plus élevé en Europe, car nous sommes un continent pauvre en ressources naturelles. Nous devons compenser cela par plus d’innovation et de compétitivité, mais surtout par plus d’intégration. Il est urgent de créer un vrai marché européen de l’énergie. Cela passera par des politiques ciblées et par de l’infrastructure. Nous avons besoin d’interconnexions entre les Etats membres et d’augmenter la capacité de nos réseaux afin de fournir à l’industrie et aux citoyens une énergie renouvelable en abondance et à faible coût.

“Il s’agit de placer le pacte industriel au cœur de l’agenda stratégique de l’Union.”

Que peut/doit faire l’Europe par rapport à la concurrence chinoise?

L’Europe était le plus grand producteur de produits chimiques au monde en 2022, mais elle a perdu cette position au profit de la Chine et le phénomène ne fait que s’accentuer, ce qui porte gravement atteinte à la compétitivité européenne et met en danger des chaînes de valeur stra­tégiques. Le dernier rapport de l’ERT démontre que les chefs d’entreprise sont nettement plus positifs quant aux perspectives de développement de leur entre­prise en dehors de l’Europe qu’en Europe. Ceci dit, je reste optimiste pour l’Europe. C’est le continent de l’industrie, de l’inno­vation et du talent. Nous sommes à un moment charnière pour devenir plus résilient et maintenir la compétitivité de l’Europe au niveau des autres grandes économies.

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