Sanctions économiques: “Poutine a sa propre rationalité, il se soucie très peu de l’économie russe”
Un embargo total contre la Russie serait légitime, estime Frédéric Dopagne, professeur de droit à l’UCLouvain. Cela pourrait avoir un impact, même si Poutine “se soucie peu de l’économie russe, depuis toujours”.
Alors que la Russie intensifie ses frappes sur l’Ukraine et que les images horribles se multiplient, les Occidentaux envisagent des sanctions économiques plus sévères contre la Russie. Les pays européens restent divisés au sujet d’un embargo contre le pétrole russe, pour ne pas dire le gaz, mais le débat est ouvert. Frédéric Dopagne, professeur à la Faculté de droit de l’UCLouvain, évoque la gradation des sanctions internationales qui reste possible.
Que peuvent encore décider les Occidentaux pour faire plier économiquement la Russie ?
Il convient tout d’abord de rappeler que l’on a déjà été très loin avec les quatre premiers paquets décidés : ce sont des mesures sans précédent par leur ampleur, notamment ce qui concerne le gel des avoirs de la Banque centrale russe. D’après ce que je lis, cela a déjà un impact sur l’économie russe et cela va aller en s’aggravant – ce qui est bien le but. C’est nettement plus significatif que des sanctions ciblées contre des individus, des gels d’avoirs, des interdictions de voyager… même si cela est également prévu.
La prochaine étape pourrait être un embargo contre l’énergie ?
C’est une étape possible, dont on parle de plus en plus. Les Etats-Unis ont déjà décidé d’un tel embargo contre le pétrole et le gaz russe, mais cela nous pénaliserait bien davantage. On voit que l’Union européenne est en train de s’y préparer en essayant dans l’urgence de diversifier ses sources d’approvisionnement, en accélérant la transition énergétique…
Cela ne m’étonnerait pas qu’une telle décision soit prise, surtout si Poutine va encore plus loin dans la guerre en utilisant des armes biologiques et chimiques, notamment – le président américain Joe Biden a mis en garde à ce sujet et on a vu depuis le début du conflit que ses renseignements étaient corrects.
On évoque aussi des sanctions économiques complètes, est-ce envisageable ?
Il s’agirait d’une interruption totale du commerce avec la Russie. C’est d’ailleurs ce que réclame l’Ukraine. Ce serait la pression maximale sur le plan économique et c’est envisageable, bien sûr. Vu les violations des droits humains auxquelles on assiste, ce serait tout à fait justifiable sur le plan juridique. On parle peu de ce caractère légal des sanctions depuis le début du conflit, mais on voit bien qu’il y a bel et bien des violations graves du droit international de la part de la Russie.
Qui devrait, le cas échéant, juger de la légalité de ces sanctions ?
La Russie pourrait contester la validité des sanctions devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans ce cas, il conviendrait de les justifier, mais cela ne fait guère de doutes…
Si l’on passe à la vitesse supérieure au niveau européen, cela risque de faire mal à la Russie et d’accentuer l’impact des sanctions, leur efficacité. Il est intéressant de voir aussi la position de la Chine qui n’a pas l’air de voler au secours de la Russie.
Mais le président russe, Vladimir Poutine, n’est-il pas dans une autre rationalité ?
Poutine a sa propre rationalité, c’est indéniable, il se soucie très peu de l’économie russe depuis toujours. Cela dit, il semble qu’il y a des mouvements dans ses relations avec les oligarques et les rapports de forces peuvent évoluer au sein même du pouvoir russe. C’est précisément la volonté des sanctions, faire en sorte que cela bouge.
Après cela, il ne restera que l’option militaire pour l’arrêter ?
Là aussi, il y a encore de la marge en terme d’appui militaire, en équipements, en formation… La question qui se pose est évidemment de savoir à partir de quel moment on devient co-beligérant. Là encore, au niveau du droit international, ce serait justifié parce que la Russie a bel et bien agressé l’Ukraine. Mais ce serait prendre le risque de s’engager dans un conflit plus large.
François Léotard, ancien ministre française de la Défense, estimait lundi dans la presse française que l’Europe devrait intervenir, ne fut-ce que pour frapper les armes militaires russes frappant les civils…
Neutraliser des armes russes ou détruire des infrastructures, ce serait une façon d’entrer en guerre. Même si cela est légitime, ce n’est pas rien. François Léotard a sans doute été marqué par son expérience à la Défense lors de la guerre en ex-Yougoslavie, mais ici, le contexte est différent : on parle de la Russie qui est une puissance nucléaire. C’est malheureusement un fait.
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