Réduction de la TVA mais augmentation du prix des boissons: comment est-ce possible ?
L’horeca a obtenu une réduction temporaire (de mai à septembre) de la TVA pour la réouverture le 8 mai prochain. Dans le même temps, des restaurateurs et cafetiers ont fait savoir qu’ils allaient augmenter leurs tarifs. Explications.
Les boissons risquent d’être plus chères lors de la réouverture des terrasses tant attendue le 8 mai prochain, jusqu’à 10 % dans certains établissements hôteliers. Plusieurs propriétaires affirment en effet que l’ouverture des terrasses dans le contexte sanitaire n’est envisageable qu’avec une augmentation des prix. Une majorité de tenanciers estiment que l’ouverture dans ce contexte – moins de tables, donc moins de clients, restriction des heures d’ouverture,… – ne sera pas rentable.
Le professeur Ghislain Houben (UHasselt), spécialiste du secteur de la restauration, n’est pas surpris. “C’est logique du point de vue du propriétaire d’un bar”, explique-t-il dans De Morgen. “Beaucoup ouvrent leurs terrasses avec beaucoup de réticence : purement parce que la concurrence le fait aussi et qu’ils ne veulent pas perdre de clients. Une terrasse seule n’est pratiquement jamais rentable. Les coûts fixes tels que le loyer continuent d’augmenter, le personnel coûte de l’argent et si le temps n’est pas de la partie, vous vous retrouvez avec seulement quelques tables. Il y a beaucoup d’incertitudes, et il est alors préférable de laisser le client payer une partie du risque.”
Réduction de TVA et augmentation des prix ?
On peut s’étonner de cette augmentation annoncée des boissons quand la réduction temporaire de la TVA ( du 8 mai au 30 septembre). Aujourd’hui de 12% sur les repas et 21% sur les boissons, le taux de TVA passera à 6% durant cette période, y compris sur les boissons alcoolisées. Cette mesure implémentée dans l’hôtellerie et la restauration va augmenter la marge du secteur de 15%, même si les prix restent les mêmes.
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“C’est vrai“, déclare le professeur de fiscalité Stefan Ruysschaert (UGent) dan De Morgen, “mais la question essentielle est de savoir qui bénéficiera de la réduction de la TVA”. Les brasseries ou autres fournisseurs, le propriétaire de l’établissement ou le consommateur ? Je pense que ce sont les grands acteurs, les brasseries et les fournisseurs. Ils peuvent pratiquer des prix plus élevés ou accorder moins de remises. Les cafés et les restaurants opèrent sur un marché très compétitif, avec beaucoup de concurrence, de faibles marges bénéficiaires et des coûts fixes et de personnel élevés. Les grands établissements de restauration dotés de grandes terrasses bénéficieront d’un impact positif de la réduction de la TVA, tandis que les établissements plus petits dotés d’une petite terrasse ou sans terrasse ne verront aucun effet. Ils peuvent même perdre le chiffre d’affaires réalisé par les commerces dotés de terrasses”, commente-t-il.
Le groupe brassicole AB Inbev a dores et déjà annoncé qu’il n’augmentera pas les prix pour le secteur de la restauration dans les mois à venir mais chaque tenancier est libre de décider des prix qu’il veut appliquer.
La bière plus chère en supermarché
Par ailleurs, le prix de la bière a augmenté pendant la crise du coronavirus, selon des comparaisons effectuées par le SPF Economie. “A cause de la fermeture de l’horeca, nous n’avons pas été en mesure de faire la comparaison dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration”, déclare un de ses représentants au Morgen. “Mais nous avons pu le faire dans les supermarchés, où les prix sont plus volatils en raison des promotions. Nos données montrent que les prix de la bière en supermarché ont augmenté en moyenne de 3,1 % au cours du premier trimestre de cette année par rapport à la même période l’année dernière. En 2020, la hausse des prix en glissement annuel a été de 3,4 %, après une légère baisse des prix en glissement annuel de 0,1 % en 2019“.
Vers une hausse permanente des prix ?
“La recherche montre qu’une réduction temporaire de la TVA entraîne une hausse permanente des prix“, déclare le professeur Ruysschaert. “L’exemple le plus connu est celui des coiffeurs finlandais. Ils n’ont pas baissé leurs prix lorsque la TVA a diminué, mais lorsque le gouvernement l’a augmentée des années plus tard, les prix ont augmenté. Je tiens compte du fait que la bataille concurrentielle dans le secteur de la restauration après l’été pourrait faire pression sur les prix, mais cela reste à voir.”
Les experts en fiscalité se montrent aussi sceptiques concernant cette mesure censée booster la reprise du secteur horeca qui a fortement souffert de la crise ces derniers mois. Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain, qualifie ces mesures de réduction de taux de TVA de beaucoup trop générales, de très coûteuses et même de dangereuses. Sur les ondes de la RTBF, il rejoint le professeur Ruysschaert dans son raisonnement: “On ne sait pas vraiment à l’avance qui va effectivement en bénéficier. Est-ce le consommateur, est-ce le restaurateur ou est-ce – et c’est le plus probable – les entreprises qui sont les plus puissantes dans la chaîne de distribution, et ce sont souvent les grossistes en nourriture ou boissons ou boissons alcoolisées ?”
Une mesure “dangereuse”
Loin de booster la marge des restaurateurs eux-mêmes, le scénario qu’esquisse Edoardo Traversa est que la baisse du coût fiscal sur les services de restauration ou sur les boissons entraîne en fait une réaction des grossistes, fournisseurs et brasseurs, par exemple, qui pourraient très bien décider dans les semaines qui viennent d’augmenter même très légèrement leur prix pour l’adapter à cette baisse de TVA.
Avec le risque qu’en septembre, ou plus tard quand on reviendra à un taux de TVA normal dans l’Horeca, les restaurateurs se retrouvent à payer plus pour leurs fournitures, poursuit-il : “Est-ce que l’objectif du gouvernement est véritablement d’aider les gros opérateurs économiques dans le secteur alimentaire ? Je n’en suis pas sûr. Donc, un taux réduit de TVA n’est pas une mesure suffisamment fine, suffisamment précise pour remplir les objectifs que le gouvernement souhaite lui assigner”.
Du côté du consommateur, on parie que le Belge déboursera sans rechigner quelques centimes en plus pour se payer un (ou plusieurs) verre(s) en terrasse, depuis le temps qu’il attend ce moment.
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