Raoul Hedebouw (PTB): “Je ne suis pas là pour rassurer la FEB”

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Olivier Mouton

Le président du parti du travail de Belgique (PTB) défend sa logique de rupture et de lutte des classes mais reconnaît avoir évolué au sujet des indépendants. Son parti, une menace? “Je ne suis pas là pour sauver le système!”

La défiance des citoyens envers les politiques, les profits des banques, le scandale du Qatargate ou des pensions imméritées, l’âge de la retraite, les piquets de grève devant les supermarchés Delhaize…, autant de sujets d’actualité qui inspirent Raoul Hedebouw.

TRENDS-TENDANCES. Le contexte actuel est-il propice au PTB?

RAOUL HEDEBOUW. Il y a une crise sociale importante, illustrée par un combat emblématique comme celui de Delhaize, et une crise démocratique relative au rapport entre les citoyens et leur représentation. Ce sont des questions que nous traitons sur le fond depuis longtemps. La croissance du PTB n’a pas lieu uniquement dans les sondages ; elle s’illustre concrètement dans l’agenda politique.

Ne nourrissez-vous pas vous-mêmes ce climat de défiance démocratique?

Les sources des révélations des dernières semaines sont multiples. Les médias sont à la pointe, avec un travail proactif de certains journalistes. La justice fait sa part avec le Qatargate au Parlement européen. Nous avons, c’est vrai, contribué aux révélations concernant les compléments de pension à la Chambre. Mais dire que le débat n’aurait pas eu lieu si le PTB n’existait pas, c’est faux. Avec cette lame de fond, on ressent le besoin d’un parti défendant des positions anti-establishment. Notre mission, c’est aussi de relier en permanence ces dossiers au rapport de lutte des classes.

Le problème, ce sont les inégalités croissantes?

J’ai eu l’occasion de le dire dans un discours à la Chambre: il y a des liens avec le marxisme, la Commune de Paris, les privilèges des élites politiques… Là où les populistes parlent du peuple, nous ramenons toujours cette question à celle des travailleurs. Il y a des penseurs qui défendent l’idée d’un populisme de gauche, mais ma dynamique s’insère plutôt dans celle de la lutte des classes contre une logique libérale de la société.

Que ferez-vous en cas de succès aux prochaines élections?

Je suis assez clair et je dois l’être pour notre base et nos électeurs. Notre stratégie consiste à faire une percée lors des communales d’octobre 2024 de manière à avoir un rapport de force où nous serions incontournables. Au niveau fédéral et régional, cela nous paraît plus difficile parce que d’autres coalitions seront possibles. En d’autres termes, la pression sur le PS et Ecolo ne sera pas assez forte pour nous permettre d’obtenir des trophées majeurs.

Nous ne pourrions pas cautionner des politiques de droite. Il est impensable pour nous d’avoir un ministre PTB qui signerait un arrêté royal prônant un blocage salarial. De même, il serait impossible qu’un ministre PTB des Pensions accompagne la mise en œuvre de la retraite à 67 ans. Pour le moment, je ne vois pas les lignes bouger suffisamment du côté du PS et d’Ecolo. On verra, bien sûr, les rapports de force qui découleront des élections.

Les ruptures, ce sont aussi la taxe des millionnaires et la sortie du cadre budgétaire européen?

Les politiques fiscale et budgétaire sont cruciales pour nous dans l’objectif de pouvoir mener des politiques nouvelles. Il est impératif de taxer davantage le patrimoine et moins le travail. Que ce soit clair: je n’ai pas de problème avec un ingénieur qui gagne 3.000 ou 4.000 euros par mois, on parle davantage du grand capital. Cela fait 25 ans que le PS est dans une logique d’accompagnement du capitalisme qui ne nous convient pas. Il y a une différence entre les propos de Paul Magnette, son livre La Vie large, ses références à Jean Jaurès et la logique concrète sur le terrain.

Notre stratégie consiste à faire une percée lors des communales de 2024 de manière à avoir un rapport de force où nous serions incontournables. Au niveau fédéral et régional, cela nous paraît plus difficile.

Mais le PS doit faire des compromis dans des majorités, non?

Le MR reste dans cette logique capitaliste de façon décomplexée, le PS de façon complexée. Mais on ne peut pas dire qu’il y ait de grands débats économiques. Je ne vois pas de grande différence entre le ministre-président wallon, Elio Di Rupo (PS), et son ministre de l’Economie, Willy Borsus (MR). Thomas Dermine, qui vient du cabinet de consultance McKinsey, reste dans une logique libérale avec quelques accents sociaux. Il n’y a pas, par exemple, de véritable stratégie industrielle publique. On est loin de ce que François Mitterrand avait fait après son arrivée au pouvoir en 1981.

L’économiste Philippe Defeyt estime que votre programme est irréaliste. Que répondez- vous?

Le point de départ, c’est qu’il reste dans le même cadre idéologique. En ce qui concerne la taxe des millionnaires, le Bureau du Plan a déclaré qu’il ne disposait pas des outils pour la calculer parce que cela sort du cadre, justement. Nous sommes dans une estimation basse en parlant d’une recette de 8 milliards d’euros. L’économiste Paul De Grauwe estime que l’on pourrait atteindre 20 milliards. Lorsqu’il met en garde contre la fuite des capitaux, Philippe Defeyt oublie de dire que l’exemple français montre que 99% des contribuables ont payé l’Impôt sur la fortune (ISF). Tout est une question de choix. Mais on ne peut pas dire que les recettes libérales ont évité le marasme depuis les années 1990-2000, comme rien ne prouve que la dérégulation du marché de l’emploi créerait de la richesse.

Que diriez-vous pour rassurer des entrepreneurs qui vous trouvent dangereux?

Depuis le covid, nous avons évolué – je le reconnais – en entrant en contact avec de nombreux indépendants. Nous avons découvert une réalité. Je me souviens, par exemple, d’une discussion avec un représentant de l’horeca du Brabant wallon évoquant l’exploitation des petits indépendants par des multinationales, les loyers à payer à AB InBev… Il y a là aussi les bases d’une confrontation de classes. Mais qu’il y ait une dynamique de classes entre le PTB et la FEB qui représente les grandes entreprises, c’est normal. Je ne suis pas là pour rassurer Pieter Timmermans.

En visant le pouvoir dans les communes, comment comptez- vous agir?

A Zelzate, par exemple, nous avons décidé avec notre partenaire Vooruit d’une taxe communale sur ArcelorMittal. Elle a été attaquée au Conseil d’Etat mais nous avons gagné. Cela nous permet de faire des politiques nouvelles, par exemple en diminuant les taxes pour les indépendants. C’est une sorte de tax shift local. On ne va pas changer le monde du jour au lendemain, mais c’est positif.

Avec le PTB, ce ne sera pas le “grand soir”?

Bien sûr que non, certains véhiculent cette idée pour nous diaboliser. Quand on parle de nationalisation de certains pans de l’économie, par exemple, on évoque l’énergie ou les banques mais pas les coiffeurs. Ce sont les fameux too big to fail qui profitent des marges quand ils peuvent mais viennent frapper à la porte de la politique quand ils ont des problèmes. Je ne comprends d’ailleurs pas comment certains acteurs industriels n’ont pas dénoncé les surprofits réalisés par Engie lors de la crise de l’énergie. Cela, c’est l’effet de l’unité de classe.

Que répondez-vous à ceux qui craignent un blocage politique en 2024 en raison du score du Vlaams Belang et du PTB?

Ce n’est pas notre rôle de sauver le système. Ce serait un paradoxe. Mais nous sommes prêts à prendre notre part de responsabilité si c’est nécessaire, notamment contre la menace fasciste. Notre premier objectif, c’est d’éviter que le Vlaams Belang et la N-VA obtiennent ensemble 51% des voix en Flandre car Bart De Wever a déjà évoqué la perspective de prendre des initiatives extra-parlementaires. Je m’investis beaucoup en Flandre ces derniers temps et les retours sont positifs.

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