Rajae Maouane (Ecolo) : « L’écologie est une réponse à notre économie malade »

Rajae Maouane, coprésidente d'Ecolo. © belga
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La coprésidente d’Ecolo explique à Trends les ambitions des verts, sur le fond et pour de futurs portefeuilles ministériels. « Ce n’est pas être dogmatique de dire que notre économie est malade et qu’on doit la réorienter », plaide-t-elle.

Rajae Maouane, coprésidente d’Ecolo, pose l’ambition verte, alors qu’un congrès du parti se penche sur l’enjeu économique ce week-end.

Ce congrès est un moment important dans la construction du projet d’Ecolo pour 2024 ?

C’est fondamental. Nous partons d’un contexte de crises successives – Covid, guerre en Ukraine, prix de l’énergie, inflation… sans oublier, bien sûr, le défi climatique – pour développer le modèle économique que nous appelons de nos vœux. Nous sommes persuadés que la vision écologiste est précisément un levier pour faire face à ces défis.

Depuis le début, certains tentent d’opposer écologie et économie, mais les deux sont évidemment compatibles. En 2004, déjà, le parti a organisé un congrès dont le thème était : « L’écologie, c’est l’avenir de l’économie ». En 2009, nous avons mis en place les Alliances emploi-environnement lors de nos participations gouvernementales. Et en 2019, Barbara Trachte a pris la compétence de l’Economie en Région bruxelloise.

Avec la volonté d’en faire une ville laboratoire de votre projet ?

Oui, ce que nous faisons à Bruxelles est une vitrine de notre projet économique. Nous voulons déployer une économie au service des gens, pour faire face aux enjeux environnementaux et sociaux. La question du sens devient de plus en plus centrale dans l’économie : que veut-on produire et comment le produire ? Cela traverse la société, notamment chez les plus jeunes.

Ils l’expriment aussi dans les métiers qu’ils choisissent…

Exactement. Une étude montrait récemment qu’un jeune Belge sur trois met la question du sens en priorité. Les jeunes ne cherchent plus un 9-17 cinq jours par semaine pour payer leurs factures, mais bien un emploi qui permet d’avoir un impact sur la société.

 Cela montre que l’on doit sortir du business as usual. Le système tel qu’on le connait aujourd’hui atteint ses limites puisqu’il fait du mal aux gens et à la planète. Nous voulons sortir de la logique du fric avant tout, même si l’on doit veiller à la prospérité et à la rentabilité.

L’expression même de cette logique du fric avant tout, on la voit chez Delhaize actuellement : c’est le symptôme d’une économie moins bonne, d’avantages sociaux dégradés, de travailleurs moins contents… C’est un cercle vicieux. Les seules personnes qui en profitent, ce sont les actionnaires qui s’en mettent plein les poches.

A nos yeux, le chemin vers un système plus vertueux, c’est celui de la transition économique et d’une production plus locale : il s’agit de transformer les activités afin qu’elles répondent aux défis sociaux et environnementaux. Cette évolution, elle doit se faire main dans la main avec les entreprises.

Ce souhait est exprimé par les entreprises : elles demandent un cadre pour les accompagner…

Exactement, c’est une évolution très positive : de plus en plus d’entreprises se retrouvent dans cette dynamique. On voit même les économistes les plus traditionnels reconnaître que l’on arrive aux limites du système.

La transition économique, ce n’est pas qu’un terme pour faire joli ou un concept d’hurluberlus écologistes, c’est vraiment répondre aux enjeux de l’heure. Une étude du Bureau du Plan montre que 100 000 emplois pourraient être créés en dynamisant le volet “économie circulaire”. Les énergies renouvelables produisent trois fois plus d’emplois par GWh qu’en énergies fossiles.

Les entreprises empruntent de plus en plus ce chemin, mais il faut effectivement les accompagnant en recentrant les subsides vers ces activités vertueuses. C’est ce que l’on appelle la « shifting economy » : nous menons déjà cette politique à Bruxelles et nous proposerons lors du congrès de ce week-end d’en faire de même en Wallonie. On le voit : cela fonctionne !

Pour être clair : vous parlez bien de croissance qualitative et pas de décroissance ?

En tout cas, il faut produire de la rentabilité et de la prospérité : c’est possible de le faire en étant en harmonie avec soi et avec le monde qui nous entoure.

N’y a-t-il pas une tension à ce sujet au sein des écologistes. Certains disent que l’on ne peut pas répondre aux enjeux climatiques sans ralentir la machine…

Il n’y a pas de tabou en la matière et je suis très à l’aise avec ça : on se rend compte aujourd’hui que l’économie actuelle ne tourne pas rond – et on peut le reconnaître en étant à droite ou en étant le plus décroissant possible. Nous sommes dans un système où l’on exploite les gens et les ressources.  Plutôt que de consommer moins ou plus, il faut se demander comment consommer mieux et comment on utilise mieux les ressources de la terre. Si le monde entier se comportait comme les Belges, il faudrait 4,1 planètes: c’est intenable !

Ce n’est pas être dogmatique de dire que notre économie est malade et qu’on doit la réorienter. On a vu les limites du système avec toutes ces crises.

Y’a-t-il un travail à mener pour donner l’image d’une écologie davantage « economy friendly » ?

Nous sommes en contacts permanents avec les entrepreneurs et les entrepreneuses. Nous n’avons peut-être pas toujours bonne presse auprès des économistes classiques, mais ce n’est pas grave : personnellement, j’ai confiance en ces pionniers sur le chemin de la transition économiques.

N’y a-t-il pas une contradiction entre la nécessité de rendre l’économie plus souple, plus flexible, et cette volonté de préserver les acquis sociaux ?

Pour nous, le socle de base est clair : les acquis sociaux, on n’y touche pas. On s’est battu pendant des années pour la sécurité sociale et les pensions : on n’y touche pas. Mais l’économie doit être plus souple pour répondre aux demandes des plus jeunes, notamment, qui sont en recherche de sens. En sortant des carcans classiques, on peut y arriver. C’est tout l’enjeu de cette transformation. La mise en place d’une économie de partage peut y contribuer. Nous développons de nombreuses propositions pour accompagner les jeunes dans cette évolution.

Un des enjeux pour redévelopper la Wallonie et Bruxelles, c’est de créer davantage d’’activités privées. La transition économique peut-elle y contribuer ?

A côté de la réorientation des aides publiques, il y a évidemment la volonté de travailler main dans la main avec le secteur privé.

Comment vous distinguez-vous de l’écosocialisme du PS ?

Dans les actes. L’écosocialisme, mais pour l’instant, il est davantage porté par Paul Magnette que par les ministres socialistes dans les différents gouvernements. J’attends des actes concrets dans les exécutifs.

La question énergétique est devenue prioritaire. La guerre en Ukraine a montré que l’on ne devait pas avoir de tabou, y compris avec le retour du nucléaire ?

Bien sûr. Pendant de trop longues années, on n’a pas suffisamment investi dans les énergies renouvelables. On en a payé les pots cassés en étant hyper dépendants d’un pays comme la Russie. Aujourd’hui, il n’est pas trop tard pour se redéployer. Notre objectif, et je pense qu’il est partagé, c’est d’arriver à un parc énergétique propre, qui nous rende indépendant. Ce faisant, cela fait du bien à l’économie, à la planète et à la géopolitique.

Quitte à avoir un sparadrap nucléaire sur votre doigt ?

Nous n’avons pas de tabou à ce sujet.

Mais la sortie du nucléaire était un acquis d’Ecolo en 2003… C’est un dossier sensible pour vous, non ?

Outre cette loi de 2003, l’ADN d’Ecolo c’est « oui aux énergies renouvelables ». Le nucléaire est un passage obligé pour arriver au 100% de renouvelable, mais l’objectif reste le même. Nous sommes pragmatiques et nous prenons en compte le contexte actuel : guerre en Ukraine, hausse des prix…

Ce congrès démontre-t-il qu’Ecolo se positionne fortement sur le terrain économique ?

C’est avant tout une manière de répondre à des enjeux fondamentaux. C’est central et je le disais, nous avons toujours eu un positionnement fort. Ce que nous faisons en Région bruxelloise, nous voulons le faire ailleurs et prendre des compétences qui sortent de l’environnement, de la mobilité ou du climat. C’est important d’apporter une vision écologique dans l’économie, l’emploi ou le budget.

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