Quand le public 
veut ancrer le privé 
en Belgique

Umicore 
à Hoboken.
La SFPIM a surpris tout le monde en prenant, mi-mai, une participation de 5% dans le capital de cette entreprise stratégique.
© PG
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Les prises de participations publiques de la SFPIM chez Umicore et Ageas, ou celles de la Wallonie à la Sonaca ou chez Prayon, sont autant de moyens de maintenir l’activité chez nous. Mais attention, cela ne doit pas être une fin en soi.

Nous vivons une nouvelle ère économique où les pouvoirs publics ne se laissent plus faire. Pour en témoigner, les bras financiers de l’Etat fédéral et de la Région wallonne ont multiplié les opérations symboliquement fortes ces dernières semaines.

La Société fédérale de participations et d’investissement (SFPIM) a surpris tout le monde en prenant, mi-mai, une participation de 5% dans le capital d’Umicore, une société cotée en Bourse. Wallonie Entreprendre, pour sa part, a racheté les friches industrielles d’ArcelorMittal afin d’y recréer de l’activité économique, et a sauvé les Ateliers de la Meuse pour y accueillir un équipementier nucléaire, tout en se félicitant des contrats de munitions obtenus en France par la FN, détenue à 100% par la Région.

Les objectifs sont clairs: ancrer des activités industrielles stratégiques dans notre pays ou préparer le terrain pour de nouveaux investissements. En utilisant au mieux des moyens limités. Est-ce vertueux? Est-ce efficace? A priori oui, même s’il s’agit d’une logique à manipuler, avec prudence, s’il l’on ne veut pas décourager le secteur privé.

“Important pour l’emploi”

“Umicore est particulièrement important pour l’emploi, mais aussi sur le plan géopolitique, insistait le Premier ministre, Alexander De Croo (Open Vld), pour justifier l’intervention de la SFPIM. Il est crucial que nous gardions cela en Belgique.” L’autorité publique veut éviter une OPA hostile, alors que le prix de l’action est sous pression: à partir de 95% des actions, on peut suspendre la cotation. L’intention est aussi de peser sur l’implantation en Belgique d’une nouvelle usine, un investissement d’un milliard d’euros qui risquerait de s’évaporer en France.

Umicore fait partie d’une liste de 84 entreprises considérées comme stratégiques par nos autorités. “Nous l’avons épinglée pour son rôle clé dans l’électrification du parc automobile, dans le recyclage et dans la transition énergétique”, soulignait Koen Van Loo, administrateur délégué de la SFPIM, à L’Echo. Non sans oublier de mentionner que l’entreprise “se trouve face à d’importants investissements”.

“Ce seuil de 5% est important, c’est une façon d’envoyer un signal à ceux qui voudraient reprendre une société de façon inamicale et de leur dire qu’ils ne pourront pas délister la société”, prolonge Koen Van Loo. Une logique d’ancrage en douceur qui avait également prévalu dans le cas d’Ageas, l’an dernier. Quant à la future usine d’Umicore: “Ma préférence serait qu’elle soit en Belgique, mais nous n’avons pas les moyens formels de peser sur cette décision”. Symboliquement, là encore, le signal est clair: l’entreprise est désirée sur le sol belge.

“L’actionnariat est déterminant”

“De façon générale, il est clair que la nature de l’actionnariat détermine le centre de décision d’une entreprise, décode, pour Trends-­Tendances, Olivier Vanderijst, président du comité de direction de Wallonie Entreprendre. Qu’il y ait des bonnes ou des mauvaises décisions, le pays du centre de décision est toujours mieux traité que les autres pays où l’entreprise exerce des activités. C’est un constat. Avoir un ancrage capitalistique est donc quelque chose d’important, dans tous les secteurs. C’est évidemment davantage le cas, encore, pour les secteurs industriels qui exportent 95% de leur production.”

© BELGA
Avoir un ancrage capitalistique est quelque chose ­d’important, dans tous les secteurs.” – Olivier Vanderijst (Wallonie Entreprendre)

Wallonie Entreprendre est actionnaire à la FN Herstal, à la Sonaca, chez Prayon et Safran Aerobooster, rappelle-t-il. “Ce sont des entreprises qui ont un rôle systémique, précise Olivier Vanderijst. Elles font chacune plus de 800 millions de chiffre d’affaires et occupent plus de mille personnes en Wallonie, avec un effet d’entraînement. Sonaca, par exemple, dispose d’une usine à Gosselies et d’une autre en Roumanie, ce qui lui permet d’avoir des coûts mixtes dans ses livraisons à ­Airbus. Un autre actionnaire que Wallonie Entreprendre ne garderait peut-être pas les mêmes proportions entre ce qui est produit en ­Belgique et ce qui l’est en ­Roumanie. C’est évident. De même, chez Prayon, nous gardons toute la chaîne de transformation du phosphate. Un autre actionnaire n’en garderait vraisemblablement qu’une partie chez nous.”

“Renforcer la chaîne 
de valeur”

Le fait d’être dans l’actionnariat n’est pas le seul moyen de travailler à un ancrage, prolonge le président du comité directeur de ­Wallonie Entreprendre. “Il est aussi possible de renforcer les sous-traitants et d’étendre la chaîne de valeur. Plus cette chaîne est implantée dans un pays ou dans une région, plus il est difficile de délocaliser un des maillons de la chaîne. A cela, il faut évidemment ajouter le régime de subsides, le coût du travail, le coût de l’énergie… Le seul actionnariat public ne va pas rendre une activité rentable si tous les autres indicateurs sont mauvais.”

Olivier Vanderijst insiste encore sur le fait que la production doit être liée à l’innovation. “Lorsque la recherche et le développement sont ancrés en Belgique, proches du quartier général, cela a un impact intéressant sur la Wallonie. Pour prendre un autre exemple, nous avons, avec la SFPIM, une trentaine de pour cent chez Safran Aerobooster. Nous y avons financé pour 50 millions un nouveau banc de développement, qui est un outil d’essai et de test pour les pièces moteurs en conditions de vol réelles: cela ancre aussi l’activité chez nous.”

L’exemple vertueux 
de la FN

Cela marche-t-il? Le président du comité de direction de Wallonie Entreprendre s’est réjoui, récemment, d’un nouveau contrat de munitions en France pour la FN ou de l’envol de John Cockerill en ces termes: “Longtemps, la Wallonie et Wallonie Entreprendre ont été un peu isolés dans le soutien au maintien et au développement d’une ‘Base industrielle et technologique de défense’. Aujourd’hui, cette approche démontre toute sa pertinence”. “Le public est un investisseur de long terme, insiste Olivier Vanderijst. Il y a 10 ans, on nous demandait pourquoi on ne vendait pas cette participation, tant les armes, c’était dépassé. Aujourd’hui, on nous envie, il n’y a pas un jour qui se passe sans un nouveau contrat.”

La participation publique n’est pas, par ailleurs, une fin en soi. “Historiquement, nous avons eu 100% de la FN parce que l’entreprise appartenait à un actionnaire français qui était en mauvaise posture, rappelle-t-il. Il avait souhaité vendre à Colt, mais la Wallonie a exercé un droit de préemption en 1998. Ce n’est pas à l’ordre du jour, mais si un partenaire industriel permettait de passer à la vitesse supérieure en garantissant un développement de l’activité en Belgique, pourquoi pas?” Mais on n’en est pas là. “La défense est aussi un volet de la réindustrialisation”, insiste-t-il.

Son constat: “Tous les pays, même les plus libéraux, reviennent à cette idée d’ancrage. C’est d’autant plus important pour un petit pays décentralisé comme la Belgique que nous ne pouvons pas utiliser la logique de la commande publique, comme en France. Ce pourrait être un autre levier pour avoir une production sur son sol, mais il faut pour cela que le volume soit suffisamment important”.

“Ce n’est pas une fin 
en soi”

Ancien administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises, actuellement en campagne électorale pour les Engagés, Olivier de Wasseige estime, lui aussi, que “l’intervention publique est une logique intéressante”. “Mais cela doit répondre à une vision stratégique, et pas faire du saupoudrage, dossier par dossier, nous dit-il. Ce n’est pas parce que l’on connaît cette personne, que l’on a réseauté avec elle, que tout d’un coup on doit investir parce qu’elle a besoin d’argent.”

“Ces bras financiers ont des moyens importants, mais malgré tout limités, ils doivent être judicieux dans leurs choix, prolonge-t-il. Les biotechs sont un secteur-clé, la défense également… Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas intervenir ailleurs, mais en veillant à ce que cela soit judicieux.”

En outre, ce ne doit pas être une fin en soi, insiste-t-il: “L’investissement public doit être un levier qui permet d’attirer d’autres capitaux, mais avec la volonté de laisser la place aux autres. Cela doit servir de facilitateur ou d’accélérateur pendant une période donnée, mais il ne s’agit pas de rester ad vitam æternam. Si la société se porte bien, je suis persuadé que des acteurs privés peuvent prendre le relais. Je ne dis pas que ce n’est pas la logique suivie aujourd’hui”.

Le cas d’Odoo est un exemple positif, dont la revente a permis de financer d’autres activités, illustre Olivier de Wasseige. Mais la saga de Mithra est un exemple moins heureux, tant les promesses n’ont pas été rencontrées, pour ne pas parler de la faillite d’Hamon en 2022, qui a coûté des dizaines de millions d’argent public.

“Faire entrer des acteurs privés”

Ancien ministre wallon de l’Economie, actuel ministre-président francophone et candidat au ­fédéral, Pierre-Yves Jeholet (MR) est, lui aussi, attentif à ce que le système reste dans les cordes. “Ces interventions des outils financiers ont leur pertinence, mais les moyens publics ne sont pas illimités, souligne-­t-il. La participation dans la FN est certainement judicieuse lorsque l’on voit la situation dans le monde par exemple. En Flandre, on nous envie. Je ne parle pas de privatisation, mais on est en droit de se demander s’il y a lieu de garder une participation de 100% ou si l’on ne pourrait pas faire entrer d’autres partenaires.”

© belga
Ces interventions des outils ­financiers ont leur pertinence, mais les moyens publics ne sont pas illimités.” – Pierre-Yves Jeholet (Fédération Wallonie-Bruxelles)

Pierre-Yves Jeholet estime aussi important de déterminer les secteurs stratégiques dans lesquels il convient d’intervenir. “On ne peut pas tout faire!” En chœur avec Olivier de Wasseige, il met en garde contre les risques de concurrence entre ces bras financiers et les invests sous-­régionaux comme Noshaq, ­Sambrinvest et autres.

“Quand j’étais ministre, j’ai voulu générer davantage de collaborations et déterminer des périmètres d’action, rappelle Pierre-Yves Jeholet. Il n’y a rien de pire que d’avoir de la redondance. Il serait nécessaire de baliser avec tous les acteurs une utilisation optimale voire, pourquoi pas, les spécialiser. Le risque, c’est que chacun pense que ce qu’il fait est mieux. Je ne tire certainement pas sur les invests, leur dynamisme est important, mais il faut peut-être mettre un peu d’ordre.”

Pour rappel, le 9 juin, les élections risquent de rebattre les cartes. Mais l’ancrage public, lui, fait l’unanimité dans son principe, temporaire du moins.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content