Private equity: des risques… mais aussi de belles opportunités

Pour Sofina, la principale déception se nomme Byju's, ancienne première position du portefeuille. © GETTY IMAGES

Nombre de holdings se sont tournés vers le “private equity” ces dernières années, ce qui leur a permis d’améliorer leur rendement. Cette stratégie n’est toutefois pas sans risque, comme l’illustrent les deux dépôts de bilan connus par Sofina.

“C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus”, déclarait le célèbre investisseur Warren Buffett, surnommé l’oracle d’Omaha. Ces derniers mois, la marée est clairement descendante dans le secteur du private equity, tout particulièrement pour les start-up technologiques. Selon le fournisseur de données Preqin, les levées de capitaux du secteur ont baissé de 20% au cours des neuf premiers mois de l’année. Et la tendance est encore plus marquée dans le capital-risque, le segment plus risqué des jeunes entreprises de croissance, avec une chute de 37% des montants investis en 2022, selon Bloomberg.

Le holding de la famille Boël n’est pas le seul à avoir connu une période difficile.

Ce tarissement de nouveaux capitaux a pesé sur les start-up et scale-up devant encore compter sur des levées de fonds régulières pour rester à flot financièrement. D’autant que nombre de secteurs de croissance ont connu un net retour de manivelle après l’emballement de la période covid.

Selon le bureau d’études de marché eMarketer, la croissance des ventes en ligne a ainsi ralenti quasiment de moitié en 2022 dans un contexte également marqué par une intensification de la concurrence et l’inflation (des coûts). La publicité en ligne ou le cloud connaissent aussi un coup de froid, comme l’ont notamment souligné Alphabet (Google) et Microsoft.

Chute des valorisations

Un tel environnement a engendré de nombreuses révisions des valorisations. Selon une analyse de l’agence Bloomberg basée sur les données à fin septembre, les fonds mutuels (ouverts au public) ont dévalorisé environ 70% de leurs investissements dans des sociétés non cotées avec une baisse moyenne de 35%.

Suivant le fournisseur de données Caplight Technologies, la dépréciation des licornes, ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars, atteignait même 40% en moyenne à la fin de l’année 2022.

Sur Euronext Bruxelles, l’une des principales victimes de ce retournement est Sofina. Le holding de la famille Boël a longtemps capitalisé sur de petites participations dans de grands groupes traditionnels (Danone, Total, Colruyt, Engie, etc.). Harold Boël, CEO depuis 2008, a toutefois dynamisé la gestion, visant le private equity et les start-up asiatiques.

Fin 2021, cette stratégie était plébiscitée sur les marchés qui valorisaient Sofina à 15 milliards d’euros. La prime par rapport à sa valeur intrinsèque (c’est-à-dire la valeur de son portefeuille) a même atteint 35%.

Treize mois plus tard, le constat est radicalement différent. La prime s’est transformée en décote de 25% (selon la valeur intrinsèque communiquée mi-janvier par Sofina) alors que l’action a perdu près de la moitié de sa valeur. En cause, une succession de mauvaises nouvelles parmi ses participations.

Forma Brands ferme des boutiques

Forma Brands, holding de marques de cosmétiques et de soins à prix abordables, a demandé à être placé sous la protection du Chapter 11 de la loi américaine sur les faillites, soit une procédure de réorganisation judiciaire. La société, autrefois valorisée à 2 milliards de dollars, a surtout souffert de sa stratégie marketing basée sur des partenariats avec des influenceurs, coûteux et à double tranchant quand deux d’entre eux ont été accusés de sexisme et racisme. Désormais, Forma Brands prévoit de fermer ses boutiques Morphe et le contrôle devrait passer entre les mains de ses créanciers, diluant les actionnaires actuels comme Sofina qui y avait investi en 2019 et à nouveau début 2022.

Zilingo, autre ancienne licorne de Sofina, a pour sa part lancé une procédure de mise en liquidation selon Bloomberg. La start-up singapourienne a été emportée par une suite d’irrégularités financières et de projets ratés, le dépôt de bilan étant devenu inéluctable dès que son principal actionnaire, Sequoia Capital India, a cessé de lui fournir des capitaux frais.

Scandales comptables à répétition

Ce n’est certainement pas la seule licorne sur laquelle flotte un parfum de scandale comptable. “La tourmente de Zilingo met en lumière une culture interne de gouvernance d’entreprise apparemment laxiste, ce qui n’est pas rare dans le secteur des start-up”, épingle ainsi l’agence Bloomberg. Et tout particulièrement en Inde où Sequoia Capital India affirmait l’année dernière qu’il allait mettre davantage l’accent sur la gouvernance après une succession de déconvenues, les pratiques de la fintech BharatPe ou de Trell (commerce social) ayant également été remises en cause.

Pour Sofina, la principale déception se nomme Byju’s, ancienne première position du portefeuille. Fin 2021, la plateforme d’apprentissage indienne était valorisée à 21 milliards de dollars, soit plus d’un milliard pour la participation de Sofina, et il était question d’introduction en Bourse avec une valorisation de 48 milliards. Mais le tarissement des financements, un billet au vitriol du célèbre vendeur à découvert Fraser Perring sur les pratiques comptables de la start-up et l’absence de publication des comptes de l’exercice 2020-2021 ont fait chuter la valorisation. Début 2023, Byju’s a demandé des délais à ses créanciers.

Parmi les mauvaises nouvelles, retenons également l’avertissement sur résultats de THG (ex-The Hut Group). Considéré comme un véritable succès du portefeuille de Sofina, le spécialiste britannique de l’e-commerce (produits de beauté et nutrition) a sombré de 90% depuis son introduction en Bourse en 2020.

Une bonne surprise

Face à un tel déferlement, Sofina a réservé dans sa newsletter de mi-janvier une bonne surprise à ses actionnaires. L’énigmatique investissement dans SC China Co-Investment 2016-A est en fait une participation dans ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok. Il s’agit même du deuxième investissement en importance du holding.

Cet effort de “transparence”, très opportun après une succession de mauvaises nouvelles, a permis au titre de se redresser. TikTok est très populaire auprès de la jeunesse mondiale et très avancé dans le commerce social (sur réseaux sociaux). Mais la société chinoise n’est pas exempte de reproches. Elle a déjà été accusée à plusieurs reprises de transférer des données de ses utilisateurs (occidentaux) au gouvernement chinois. Ses pratiques en matière de respect de la vie privée ou de modération (des vidéos de suicide ayant notamment défrayé la chronique) posent aussi question.

L'énigmatique investissement de Sofina dans SC China Co-Investment 2016-A est en fait une participation dans ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok.
L’énigmatique investissement de Sofina dans SC China Co-Investment 2016-A est en fait une participation dans ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok.© GETTY IMAGES

Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, a répété mi-janvier que TikTok devait se conformer au règlement européen sur les services numériques pour le 1er septembre, au risque d’être suspendu. Aux Etats-Unis, 15 Etats ont déjà interdit l’application, ce qui a peu d’effets concrètement vu les difficultés de mise en oeuvre. Mais le Congrès planche aussi sur la question et pourrait alors véritablement interdire TikTok sur le territoire américain.

Volatilité et rendement

Faut-il pour autant éviter Sofina? Sûrement pas. D’ailleurs, les avis des analystes demeurent très favorables: KBC Securities, ING et Degroof Petercam ont encore récemment confirmé leur conseil d’achat. Même si la valeur de Byju’s tombait à zéro et que les menaces planant sur TikTok se concrétisaient, ces deux participations ne représentent que 6,7% de son portefeuille, selon Kris Kippers de Degroof Petercam.

Ses autres positions importantes présentent des profils radicalement différents comme Groupe Petit Forestier (leader européen de la location de véhicules frigorifiques), Cognita (plateforme britannique d’écoles indépendantes), Cambridge Associates (société de gestion d’actifs), Drylock (fabricant belge de couches) ou Nuxe (cosmétiques).

De plus, son portefeuille est largement diversifié entre les participations directes et les investissements dans des fonds de private equity. La valeur du portefeuille et le cours sont logiquement plus volatils qu’auparavant, quand Sofina misait essentiellement sur de grands groupes établis. Le revers de la médaille d’une gestion plus rentable sur le long terme. Historiquement, le non coté affiche en effet un meilleur rendement que les Bourses.

A noter que Sofina présente une décote (25%) supérieure à la moyenne sur 10 ans (21,6%), le timing apparaît donc opportun malgré les incertitudes.

Opportunités parmi les holdings et gestionnaires

Le holding de la famille Boël n’est pas le seul à avoir connu une période difficile. Traditionnellement, ce type de sociétés souffre doublement en période de retournement des marchés au travers de la baisse de la valeur de leur portefeuille et de la hausse de leur décote.

Parmi ces opportunités, épinglons GBL. Le holding de feu Albert Frère a dynamisé sa gestion au cours de la dernière décennie avec des participations dans des entreprises non cotées (Affidea, Canyon, Voodoo, Webhelp…) et le développement du gestionnaire de fonds de private equity Sienna Capital Partners. Le titre a perdu un quart de sa valeur depuis le pic de la fin 2021 et affiche une décote de plus de 30% sur la base de sa valeur intrinsèque à fin septembre.

Brederode, dont le portefeuille est composé à deux tiers de fonds de private equity et un tiers d’actions cotées (Samsung, Mastercard, Unilever, Sofina, etc.), a mieux résisté. Joren Van Aken, analyste chez Degroof Petercam, souligne toutefois que de nombreux fonds n’ont probablement pas encore acté les dépréciations nécessaires dans les derniers chiffres disponibles (à fin septembre).

Comparativement, les grands gestionnaires d’actifs alternatifs (non coté, immobilier, infrastructures, etc.) ont bien plus souffert en Bourse (de New York). Blackstone (-37% depuis le pic de novembre 2021), KKR (-32%) et Carlyle (-42%) affichent ainsi à nouveau des valorisations raisonnables à respectivement 18 fois, 14 fois et 8 fois les bénéfices estimés de 2022. D’un point de vue structurel, les perspectives restent en effet favorables entre le développement du private equity et les importants besoins de financement pour les infrastructures (notamment pour la transition énergétique). Parmi les trois, KKR est actuellement la valeur préférée des analystes avec un avis moyen d’acheter et un potentiel de hausse à 12 mois de 17%.

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