Pourquoi une victoire de Trump pourrait amener davantage d’inflation

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

En présentant ses perspectives, le chief economist de Lombard Odier, Samy Chaar, a relevé  que des éléments géopolitiques, telle une victoire de Donald Trump, pourraient venir perturber le retour à la normale amorcé par l’économie des pays avancés.

« Il y a deux idées clés sur le front macroéconomique que nous avons communiquées à nos clients, observe Samy Chaar, l’économiste en chef de la banque privée suisse Lombard Odier.

« La première est l’idée que nous revenons à une certaine forme de normalité économique et financière après trois années anormales, avec la pandémie, la guerre en Ukraine et le choc des prix, qui a été lié au confinement de la Chine, qui a provoqué un choc sur la chaîne d’approvisionnement. Mais, et c’est le second point de réflexion de l’économiste, dans quelle mesure la géopolitique et la politique américaine peuvent-elles empêcher ce processus de normalisation ? 

Back to normal

Ce retour à la normale, l’économiste de la banque helvète l’observe au travers de divers indicateurs à la fois en Europe et aux États-Unis. L’inflation refroidit, les tensions sur le marché de l’emploi s’apaisent, la situation dans les secteurs qui avaient été les plus touchés par la hausse des taux comme l’immobilier ou le secteur manufacturier ne s’aggrave plus et l’activité augmente même légèrement.

Dans ce processus, l’économie américaine a largement devancé l’économie européenne, en raison de deux éléments : les plans de soutien budgétaire ont été plus importants aux États-Unis, et les consommateurs américains ont moins épargné que les Européens. Mais, ajoute Samy Chaar, « l’Europe pourrait connaître des temps meilleurs au cours des prochains trimestres, car ce qui a aidé les consommateurs américains à consommer au cours des derniers trimestres pourrait finalement se produire aussi en Europe : les salaires augmentent à un rythme de 4 à 5%, alors que l’inflation se situe maintenant autour de 2 à 2,5% en Europe. Il y a donc un véritable gain de pouvoir d’achat, grâce à cette augmentation des revenus réels ».

Des taux à 1,5% dans cinq ans ?

Samy Chaar souligne aussi un élément apaisant : « tandis que les salaires s’ajustent et convergent vers des niveaux plus normaux, la productivité se normalise également.  La croissance de la productivité a été très faible en 2020, 2021 et 2022.  Elle revient aujourd’hui à son niveau historique, ce qui signifie qu’avec la baisse des salaires et la hausse de la productivité, les coûts de main-d’œuvre unitaires s’ajustent de manière très significative, ce qui est évidemment de bon augure pour l’inflation ».

Dans ce contexte de normalisation, l’élément important est évidemment cette attente de baisse des taux. Pour Lombard Odier, elle devrait intervenir en mai pour la Réserve fédérale et en juin pour la Banque centrale européenne. Et cette baisse devrait aboutir à revenir d’ici cinq à sept ans à un taux neutre, qui serait de 1,5% en Europe. 

La Chine abandonnée

Alors, qu’est-ce qui pourrait venir perturber cette tendance rassurante ? Des éléments géopolitiques.

Tout d’abord, Samy Chaar ne voit pas s’apaiser cette année les conflits, en Ukraine et au Moyen-Orient. Avec leur impact sur les prix de l’énergie, qu’il faudra tenir à l’œil.

 Ensuite, cette nouvelle politique des blocs qui se réveille pourrait venir perturber à nouveau les chaînes d’approvisionnement. Sur ce point, les économies occidentales travaillent à se rendre moins dépendantes de la Chine. Cela s’observe déjà dans le flux des FDI, ces investissements directs à l’étranger, qui ont fortement baissé en Chine. « Fondamentalement, les entreprises américaines n’investiront plus en Chine, et choisiront des alternatives bon marché. Tout le monde pense à l’Inde, au Vietnam, à l’Asie du Nord avec la Corée du Sud et le Japon.  Nous pouvons également penser à la Pologne ou au Mexique, explique Samy Chaar.  Le bloc américain dispose de nombreuses alternatives pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement en dehors de la Chine, mais cela implique beaucoup d’investissements.  Cela ne signifie pas nécessairement beaucoup d’inflation, car après tout, les coûts unitaires de la main-d’œuvre en Inde sont quatre fois moins élevés que les coûts unitaires de la main-d’œuvre en Chine, mais cela signifie une réorganisation du commerce ».

Trumponomics

Mais un autre point géopolitique important, ce sont évidemment les élections américaines.

« Les démocrates abordent ces élections en position de faiblesse, note Samy Chaar.  Ils perdront certainement le Sénat, même s’ils remportent la Maison Blanche et la Chambre des représentants. Et si les Républicains gagnent, ils gagneront tout :  la Maison Blanche, le Sénat, la Chambre des représentants.  Ils seront donc en mesure de mettre en œuvre leur mantra politique ».

 Très clairement, une deuxième administration Trump va réveiller la politique du « America first ». « Cela signifie certainement des droits de douane pour l’Europe et l’Asie. Cela signifie également que l’engagement des États-Unis à financer l’Ukraine ou à soutenir l’OTAN sera remis en question, rappelle Samy Chaar.  Ce n’est pas nécessairement mauvais pour l’Amérique, mais c’est certainement un défi pour l’Europe et l’Asie. Deuxièmement, Trump n’est pas du genre à investir à long terme.  Il est plutôt du genre à réduire les impôts ». Une réduction d’impôts pourrait donc revenir sur la table, mais là, les marges ne sont pas amples.  Lorsque Trump a été élu, l’impôt des sociétés était de 38%. Il l’a ramené à 25%. Aujourd’hui, sous Biden, l’Isoc est à 28%. La marge de manœuvre est donc limitée.

« Le dernier point, important, est que si Trump revient, il reviendra avec des politiques migratoires très restrictives. Et ce type de politique, nous l’avons vu après la victoire de Trump et nous l’avons vu après le Brexit, signifie des pénuries potentielles sur le marché du travail. Et le fait d’avoir moins de travailleurs pourrait conduire à une croissance plus élevée des salaires et potentiellement à des problèmes d’inflation », avertit Samy Chaar.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content