Pourquoi la BCE doit baisser ses taux dès maintenant, selon Eric Dor

Christine Lagarde - Getty Images © Boris Roessler/picture alliance via Getty Images
Baptiste Lambert

Alors que la Banque centrale européenne se réunit ce jeudi, la probabilité d’une baisse des taux d’intérêt est quasi nulle. C’est une erreur, selon Eric Dor, Directeur des Études Economiques à l’IESEG School of Management.

Eric Dor plaide clairement pour une baisse des taux directeurs sans tarder, pour plusieurs raisons. D’abord, et c’est déjà un vieux débat, parce que l’efficacité de la politique monétaire de la BCE pour lutter contre l’inflation est très limitée. Pourquoi ? Car les taux d’intérêt prohibitifs de l’institution monétaire agissent sur la demande. Or l’inflation que l’on connait depuis plusieurs années est un choc de l’offre, fortement lié à l’explosion des coûts de l’énergie.

Contre-productif, voire inutile

“Les données montrent que l’impact de la hausse des taux se limite à réduire l’investissement immobilier, qui est une petite partie de la demande globale. La consommation privée ou publique, et les autres investissements, ont continué à augmenter“, argumente l’économiste. La consommation et les investissements sont moins forts, “mais ce ralentissement aurait de toute façon eu lieu sans les hausses de taux de la BCE, à cause des pertes de pouvoir d’achat des ménages à cause de l’inflation, et des dégradations induites des perspectives de demande adressées aux entreprises”, ajoute Eric Dor.

Ensuite, “essayer de réduire la demande par des hausses de taux est peu utile pour contrer une inflation dont les causes ont été des chocs d’offre, avec des perturbations du commerce global, les hausses des prix des matières premières et puis de l’énergie. Si l’inflation a déjà beaucoup diminué en zone euro depuis le record d’octobre 2022, c’est à cause du repli des prix de l’énergie, plutôt qu’un résultat à attribuer aux 10 hausses de taux de la BCE“, tranche le Français.

En réalité, “maintenir des taux directeurs aussi hauts pourrait même être contreproductif, si le but est de réduire l’inflation”, ajoute l’économiste. Pourquoi ? Parce qu’en “déprimant le marché immobilier et en réduisant la croissance de la demande d’autres composantes, le maintien de taux d’intérêt élevés continuerait de réduire, au moins légèrement, la croissance du PIB réel“.

En fait, les patrons hésitent à licencier leur personnel. Même lorsque l’activité diminue, les employeurs évitent de réduire l’emploi en raison des pénuries de main-d’œuvre. Ils veulent garder leur personnel qualifié qui sera difficile à embaucher plus tard. En d’autres mots, ils attendent que l’orage passe. Conséquence : “Une nouvelle diminution de la demande globale et de la production impliquerait mécaniquement une diminution de la productivité du travail et donc une augmentation du coût unitaire du travail, ce qui entraînerait une hausse des prix de vente et donc un rebond de l’inflation”, conclut l’économiste. Autrement dit : les entreprises reporteraient leur perte de productivité par une hausse des prix aux consommateurs et clients.

Où va l’inflation ?

La hausse des prix a ralenti au mois de mars, à 2,4% sur un rythme annuel, en zone euro. Il s’agit d’une diminution de 0,2% par rapport au mois de février. La BCE est donc proche de son objectif de 2% d’inflation.

La question est de savoir si cette augmentation des prix pourra continuer à se rétracter. Et là, rien n’est moins sûr. D’abord à cause des prix de l’énergie qui jusqu’ici étaient négatifs. En plus de leur récente hausse sur les marchés, qui doit encore se matérialiser, il y a un effet mécanique : la composante énergie au sein de l’inflation devrait passer de -1,8% à +1,9% dans les prochains mois, même si les prix venaient à rester constants, écrit Eric Dor. Parce que l’inflation liée à l’énergie a déjà commencé à diminuer l’année dernière, à la même période.

Les autres risques sont liés aux coûts salariaux et à la réduction des marges bénéficiaires. Dans un contexte de ralentissement de l’activité, la hausse des coûts salariaux devrait rester limitée. Par contre, on l’a vu, si la baisse de la productivité devait perdurer, cela touchera les marges des entreprises, ce qui entrainera une hausse des prix de vente. Au 4ᵉ trimestre 2023, la productivité réelle du travail de la zone euro était inférieure de 0,8% à celle du même trimestre 2022.

Hors énergie, l’inflation est toujours de 2,9% dans la zone euro. La hausse des prix des services reste bloquée à 4%, depuis le mois de novembre. La lumière pourrait venir des prix à la production : ils diminuent en France. Si cela se concrétise dans d’autres pays, cela pourrait indiquer une nouvelle baisse de l’inflation. Les prix à la production anticipent généralement les prix à la consommation.

Du côté de la BCE, on attend ce jeudi qu’elle se positionne sur un calendrier. Une première baisse des taux est toujours attendue pour le mois de juin.

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