“Pour la Wallonie, il est vital de continuer à commercer avec la Chine, comme avec tout le monde”
Michel Kempeneers (Awex) évoque la “musculation politique” autour de Taïwan, regrette que l’Occident manque de subtilité avec l’Asie et souligne qu’un rétrécissement du monde serait préjudicable à la Wallonie.
Michel Kempeneers est responsable des affaires internationales à l’Awex (Agence wallonne à l’exportation). Avant cela, il a pendant dix ans été en charge des relations avec l’Asie. Il apporte un regard tout en nuances sur la crise de Taïwan et insiste sur le caractère vital pour la Wallonie de poursuivre le commerce avec la Chine, comme avec les autres acteurs du monde.
Comment percevez-vous ce moment de tension autour de Taïwan, vous qui connaissez bien le monde asiatique? On atteint des niveaux de crispation importants…
On peut quand même être inquiet, comme à chaque fois qu’il y a des tensions de cette manière-là. Nous sommes face à des musculations politiques qui concernent le leadership au niveau mondial. C’est clairement une confrontation de biceps et d’egos entre la Chine et les Etats-Unis. La vision de la réunification des deux Chine, si pas dans les faits mais en tout cas dans la pensée, est en toile de fond de cette séquence où personne ne veut se laisser faire par l’autre.
On fait beaucoup de bruit autour des sanctions, mais au fond, ce sont des pays, la Chine et les Etats-Unis mais aussi la Chine et Taïwan et bien sûr Taïwan et les Etats-Unis, qui sont intimement liés au niveau économique. A un moment donné, le pragmatisme au niveau de l’économie et des entreprises va toujours être préservé, même si ce n’est pas officiel, parce qu’ils ont besoin l’un de l’autre, que ce soit en terme de matières premières ou de produits tels que les semi-conducteurs.
Il n’y a pas une volonté de couper les liens ou de se dire que l’on dispose d’un levier important pour faire plier l’autre?
Je ne crois pas. C’est juste un jeu d’egos ou de positionnements, sur fond d’un conflit idéologique entre la démocratie d’un côté et un pouvoir fort de l’autre. S’ajoute à cela une considération culturelle parce que la vision de la grande Chine est quelque chose auquel tient vraiment le gouvernement chinois pour montrer que c’est une seule et même nation. Mais les entreprises, elles, sont interdépendantes.
Cela vaut pour l’Europe également?
Cela vaut tout à fait pour l’Europe. Même s’il y a des projets de 42 milliards pour relocaliser des usines de production de semi-conducteurs, on reste tributaire de technologies excessivement bien maîtrisées par les Taïwanais aujourd’hui et de matières premières qui viendront de Chine. On ne saura pas être autonomes.
Ceci dit, nous sommes quand même face à une déglobalisation qui polarise finalement l’Occident avec l’Asie aujourd’hui et c’est une nouvelle donnée au niveau international. Quand on polarise des blocs, il faut continuer à faire du business au sein de ces blocs. Inévitablement, quand on déglobalise, cela coûte en outre plus cher et cela fait exploser les coûts, que ce soit des produits, du transport ou de la logistique.
C’est là ma crainte principale. Pour les PME et les entreprise belges qui dépendent fortement du commerce international, c’est un vrai souci. Il faut quand même rappeler que 70% de l’économie belge dépend de l’étranger. Pour les consommateurs, cela signifie aussi que les produits seront plus rares, qu’ils mettront plus de temps à venir…
Cela complique aussi les relations commerciales, à l’heure où la Chine est un acteur majeur pour les investissements?
Aujourd’hui, on ne le voit pas, non. Les entreprises continuent à travailler ensemble. Parfois, les délais et les coûts sont problématiques, il est nécessaire de se diversifier en matière d’approvisionnement, mais on ne voit pas de diminution de l’activité.
Paradoxalement, la principale difficulté de l’économie wallonne, c’est de trouver de la main-d’oeuvre. On parle d’autre chose, mais c’est un paradoxe: les carnets de commandes sont plein, on pourrait produire plus, mais on peine à trouver des travailleurs.
S’il y a une guerre, évidemment, il pourrait y avoir d’autres conséquences.
Vous qui connaissez bien le monde asiatique, vous dites-vous que l’on manque de subtilité dans le rapport avec lui? On dit souvent, par exemple, qu’il faut éviter que les Chinois perdent la face…
Je pense, en effet, que l’on manque de subtilité. On a assisté ces vingt dernières années à l’émergence des pays asiatiques, empreints de confucianisme, de bouddhisme et d’une autre manière de voir le monde. Et trop souvent, le monde occidental est venu avec sa propre vision des choses, ses solutions ou sa manière de voir la société.
Effectivement, il est important en Asie de veiller à ne pas perdre la face, donc il y a des choses que l’on ne dit pas nécessairement, il y a des messages que l’on fait passer par derrière. Un contrat, en Chine, c’est le début d’une négociation; en Europe, c’est la fin d’une négociation. Et en Asie, on est d’abord ami avec quelqu’un avant de faire du business, par l’inverse, ce qui n’existe pas du tout le cas dans le monde anglo-saxon où la personnel et le professionnel sont séparés.
Il est donc important d’induire une relation de confiance?
Tout à fait. Cela nécessite de l’empathie et du respect de la culture de l’autre. Les entreprises européennes qui ont le mieux réussi en Chine ou les entreprises chinoises qui ont le mieux réussi en Europe, ce sont celles qui ont laissé le local à la tête de l’entreprise.
L’arrivée d’Alibaba à Liège fait régulièrement parler d’elle. A l’inverse, est-ce difficile de défendre la nécessité de faire des affaires avec la Chine?
Ce n’est pas simple dans ce sens-là, en effet. Les grandes entreprises européennes qui sont en Chine aujourd’hui cherchent à être rassurées par les autorités chinoises pour savoir si elles sont toujours les bienvenues. De même, les entreprises chinoises nous demandent la même chose.
Le business fonctionne, le commerce en ligne n’a jamais aussi bien fonctionné qu’aujourd’hui, mais on besoin de signes de confiance. 80% des produits que l’on trouve sur les plateformes sont produits en Asie, donc les relations restent évidemment intenses, mais il y a quand même des craintes. Gouverner, c’est prévoir pour une entreprise. Tout le monde a besoin d’avoir des assurances pour demain et on demande aujourd’hui au politique de conforter les acteurs.
Mon point de vue, qui n’est pas forcément partagé par tout le monde, c’est que la petite Wallonie a vraiment intérêt à rester ouverte sur le monde et à rester à l’écoute de ses partenaires étrangers, qu’ils soient américains, japonais ou chinois, peu importe. Parce que c’est vital pour nous.
C’est un travail qui vous occupe beaucoup?
En effet, en terme de messages à faire passer. Depuis la pandémie, il y a des protectionnismes et des craintes, chacun se racrapote sur lui-même, certains peuvent peut-être se le permettre, mais ce n’est certainement pas le cas de la Wallonie. Sinon, on se tirera une balle dans le pied.
Il y a un travail de conviction à mener en interne?
Tout à fait. Il faut essayer de ne pas stigmatiser le partenaire étranger, quel qu’il soit. Parce que, notamment dans une perspective asiatique, stigmatiser, avoir des ébats au parlement, générer des articles de presse, cela peut jouer un rôle. Porter atteinte à l’image d’un pays partenaire, Cela a des conséquences. Chez nous aussi, il y a de la musculation politique. Quand je dis ça, il est évident que les expressions de la société civile doivent être entendues s’il y a un mouvement en terme de circuit court, de développement durables, de critères sociaux et environnementaux…
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