Peter De Keyzer: “Relancer l’idée d’une allocation universelle serait une bonne chose”

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Pour Peter De Keyzer, ex-économiste en chef de la banque BNP Paribas Fortis et désormais Managing Partner chez Growth Inc, la crise économique sévère que nous traversons est une réelle opportunité pour moderniser notre économie. Et la Belgique ne doit pas rater le coche.

Le “droit passerelle” est-il adapté à la situation économique actuelle ?

Il est clair que des milliers de personnes vont perdre leur job dans l’horeca et dans d’autres secteurs. Le plus longtemps cette mesure sera prolongée, le plus difficile ce sera de réorganiser l’économie ou de motiver des personnes à accepter d’autres emplois. Une situation temporaire peut vite devenir permanente. Dans le passé, la Belgique a toujours octroyé des subsides sans fin pour les secteurs qui vivaient une crise structurelle, comme le charbon, l’acier ou l’assemblage automobile. Au lieu de réaorganiser ces secteurs en pleine transformation, la Belgique a toujours étaler les subsides parce qu’elle avait peur de leur destruction. Ce qui n’a fait que prolonger la douleur. Ce n’est pas une décision qui est saine sur le long terme.

La moitié des cafés faisaient déjà des pertes même avant la crise. On pourrait dire que l’heure est venue d’organiser cette transformation. Si la Belgique est maligne, elle utilisera cette crise, cette destruction créatrice pour moderniser notre économie. Le pire serait de donner ces subsides à n’importe quel secteur en difficulté pour garder l’économie comme elle était avant 2020 alors que le besoin de changement était présent avant la crise. Il ne faut pas protéger les jobs mais les gens. Ces secteurs en crise n’ont aucun avenir. Protéger les personnes, cela passe par des formations et des incentives pour être engagés plus vite dans d’autres secteurs,…

Pourrait-on envisager de remettre sur la table le concept d’allocation universelle dans la crise que nous traversons ?

Les personnes qui vont perdre leur job dans cette crise sont principalement des personnes qui ont peu de formation, principalement dans l’Horeca, ou des personnes qui travaillent dans des magasins. En Belgique, la différence entre les salaires les plus faibles et les allocations est beaucoup trop petite. Cela veut dire que la motivation pour aller travailler n’est pas assez forte. Prenons comme exemple une personne qui touche 1.100 euros d’allocations par mois et qui en allant travailler en gagnerait 1.300. Mais en acceptant un job, elle doit payer les transports en commun ou s’acheter une voiture, payer la crèche,… Elle doit se lever chaque jour pour 10 euros de plus. A la fin du mois, quelqu’un qui reste chez soi a plus de revenus que la personne qui a trouvé un job. C’est ce qu’on appelle le “piège du chômage”.

Avec l’allocation universelle, tout le monde touche une allocation versée par le gouvernement, de manière inconditionnelle. Cette allocation universelle remplacerait toutes les autres formes d’aides (chômage, allocations familiales, réductions d’impôt, …) Si on ne fait rien, si on travaille 2 heures ou 300 heures par mois, l’allocation est la même pour tout le monde. Et chacun choisit ce qu’il veut en faire.

Dans cette crise, il y a tellement de demandes que cette allocation universelle serait certainement trop chère à mettre en place, mais ciblée sur les personnes qui n’ont pas beaucoup de formation, ce serait une bonne chose.

L'allocation universelle est inconditionnelle.
L’allocation universelle est inconditionnelle. © Montage Getty

Quelle pourrait être l’alternative ?

On pourrait aussi introduire l’idée que les personnes qui travaillent bénéficient d’un seuil additionnel qui indique que les premiers euros gagnés sont taxés à un taux négatif. Par exemple, la personne qui perçoit 15.000 euros par an en allocations serait plus taxée que son voisin qui perçoit 15.000 euros en salaire. Le chômeur serait taxé sur les premiers euros à 0,5 % tandis que la personne qui travaille serait taxée à taux négatifs (-10%) sur la première tranche d’euros gagnés. Sur 3000 euros bruts, par exemple, elle en toucherait 3300 nets. Dans ce cas, accepter un job rapporterait déjà plus, c’est là une alternative à l’allocation universelle.

Comment aider les secteurs en crise ?

Les secteurs en difficulté pourraient recevoir une prime unique pour l’utiliser à bon escient soit pour changer totalement de business, soit pour le transformer. On pourrait aussi soutenir financièrement uniquement les exploitants de cafés et restaurants qui acceptent la caisse blanche et pas à ceux qui ne paient pas d’impôts. Les établissements rentables avant la crise devraient être aidés mais ceux qui affichaient déjà des pertes avant la crise ne le seraient pas.

L’avenir va être sombre. On n’a pas assez d’argent pour soutenir tout le monde car si aujourd’hui, c’est l’horeca qui trinque, demain, ce sera un autre secteur. Il faut faire des choix. Une crise est toujours une opportunité pour se réinventer ce que la Belgique n’a pas réussi à faire les décennies passées. Utilisons cette crise comme opportunité pour faire avancer la transformation de notre économie.

Que pensez-vous de l’idée d’introduire une “cotisation de solidarité” en temps de pandémie ?

Soyons clairs là-dessus, ce type de cotisation de solidarité na va jamais payer les coûts engendrés par cette crise. Je serais d’accord de l’introduire si le gouvernement utilise l’argent qu’il dispose d’une façon intelligente et économe. Mais quand on voit que les cabinets ministériels augmentent – avec 838 postes, soit 69 de plus par rapport au gouvernement Michel – on remarque que ce gouvernement dépense beaucoup d’argent à son propre fonctionnement. Demander une cotisation de solidarité aux citoyens passerait très mal. D’autant que le Belge est déjà celui qui paie le plus d’impôts de toute l’Europe mais qui, en revanche, est confronté au plus haut taux d’infections… On peut se poser de sérieuses questions sur le fonctionnement de l’Etat. Avant d’imposer une telle cotisation, le gouvernement doit d’abord justifier ce qu’il fait avec l’argent qu’il ponctionne aux citoyens.

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