La “gratuité” a toujours un coût

Paul Magnette (PS), Georges-Louis Bouchez (MR), Raoul Hedebouw (PTB) et Jean-Marc Nollet (Ecolo). Photo Hatim Kaghat.
Baptiste Lambert

On retrouve dans les programmes des partis politiques une série de mesures qui vise la gratuité. Mais le travail du Bureau du plan sur le chiffrage des programmes permet d’objectiver ce que tout le monde savait déjà : la gratuité n’existe pas.

Les partis, singulièrement à gauche, rivalisent pour rendre gratuits une série de services publics. À cet égard, on retrouve le mot “gratuit” 206 fois dans le programme du PS, 52 fois dans celui d’Ecolo ou 58 fois dans le programme des Engagés, mais seulement 18 fois dans celui du MR et 10 fois dans celui de DéFI. Sur le papier, tout le monde est preneur, mais dans les faits, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un nouveau boulet au pied de finances publiques. Autrement dit, un nouveau trou dans la poche des contribuables. Les priorités soumises par les partis politiques au Bureau du plan permettent de s’en rendre compte. Voyez plutôt…

Mobilité

Concernant les transports en commun, Ecolo vise à étendre à la SNCB la gratuité ciblée pour les jeunes, les statuts BIM et les séniors, comme c’est le cas pour la STIB ou le TEC. Concrètement, il s’agit d’une quasi-gratuité sous la forme d’un tarif de 1 euro par mois. Les écologistes veulent y ajouter la catégorie des demandeurs d’asile. Coût de l’opération : 215 millions par an. Son financement ? Via un transfert des budgets “actuellement dévolus à la carte essence et au régime des voitures de société”, écrit Ecolo dans son programme. Les écologistes veulent également “offrir un entretien vélo gratuit par an à l’ensemble des citoyens“. Coût : 150 millions d’euros par an. Auquel les écologistes ajoutent un investissement de 50 euros par habitant et par an dans l’infrastructure vélo. Ici, pas de précisions sur les moyens de financement.

Le PTB veut lui rendre totalement gratuit, pour tout le monde, le TEC en Wallonie, la STIB à Bruxelles et De Lijn en Flandre. Coût pour les contribuables : respectivement, 98, 217 et 232 millions d’euros par an. À terme, le PTB veut aussi étendre cette gratuité totale à la SNCB.

De son côté, le MR “reconnait” l’importance de rendre les transports en commun “accessibles”, mais prône “une approche plus ciblée concernant la gratuité ou les réductions tarifaires”. Par exemple, en liant ces avantages à des critères spécifiques comme le statut d’emploi ou à la scolarisation, ou à ceux qui poursuivraient une formation ou un stage dans le cadre de la recherche d’un emploi. Mais selon la MR, l’âge ne peut servir de critère pour justifier la gratuité ou la réduction tarifaire. Les Engagés et DéFI sont à quelques nuances près sur la même ligne.

Les Engagés veulent toutefois rendre gratuits les parkings à proximité des gares pour les détenteurs d’un titre de transport, tout comme DéFI.

Rappelons que le déficit de la Région wallonne devrait tourner autour des 3 milliards d’euros en 2024 et celui de la Région bruxelloise autour des 950 millions d’euros.

Enseignement

Comme plusieurs autres partis, Ecolo veut étendre la gratuité des cantines scolaires à l’ensemble des réseaux, mais les écologistes ne l’ont pas soumis au BFP dans le cadre de leurs 30 priorités. En regardant dans leur programme, on voit que les Verts veulent plutôt “fixer un prix abordable”. Les Engagés sont sur la même ligne. Pour la gratuité totale, il faut aller voir du côté des priorités du PS et du PTB. Actuellement, un repas gratuit de qualité est offert dans les écoles d’un indice socio-économique 5 et moins. Le PS veut étendre cette mesure progressivement à toutes les écoles d’un indice socio-économique de 7 et moins. Cela coûterait 20 millions d’euros supplémentaires chaque année, et à terme 102 millions d’euros par an, dès 2029. Du côté du PTB, on veut étendre la gratuité des repas scolaires à tout l’enseignement fondamental, sans restriction.

Cela ne fait pas partie des priorités soumises par les partis, mais on retrouve aussi dans les programmes du PTB, du PS et d’Ecolo, la gratuité des fournitures scolaires, mais aussi extrascolaires, comme les garderies, avant et après l’école, ou encore la suppression du droit de chaise sur le temps de midi. Le coût reviendrait sans doute à plusieurs centaines de millions d’euros par an, alors que la Fédération Wallonie-Bruxelles affichera un déficit de 933 millions d’euros en 2024.

Notons que le MR prévoit dans son programme l’exact inverse des trois partis précités, puisque les libéraux veulent garantir l’équité scolaire en évitant la “multiplication des services complémentaires gratuits”. Car cela se fait, selon les libéraux, au détriment des investissements dans un enseignement de qualité. Du côté des Engagés, on se limite à la gratuité, à terme, d’une place en crèche.

Santé

Au niveau des soins de santé, le PS vise à rendre gratuits les soins de base, en supprimant les tickets modérateurs pour toutes les prestations des médecins généralistes et les soins préventifs et réparateurs chez les dentistes. Coût de l’opération : 175 millions d’euros par an. Le PTB vise aussi la suppression des tickets modérateurs pour les consultations et les visites chez le généraliste. Coût : 149 millions par an. Du côté de DéFI, on veut limiter le ticket modérateur à 300 euros par an et rendre gratuite une consultation globale à 25, 45 et 65 ans.

Chez Ecolo, on veut assurer la gratuité de tous les soins psychologiques de première ligne pour les moins de 25 ans, et on veut la gratuité de la contraception féminine et masculine, tout comme le PS. Chez les Engagés, on veut offrir 12 séances gratuites d’aide psychologique pour les jeunes détenteurs d’un “pass santé mentale”, ainsi que la gratuité pour la pilule du lendemain. Au MR, on souhaite seulement rendre gratuites ou à faible coût “la promotion et la sensibilisation aux services de santé mentale pour les jeunes. Notons également que plusieurs partis veulent rendre la vaccination gratuite. Mais ces mesures n’ont pas pu être chiffrées par le Bureau du plan, car elles ne font pas partie des 30 priorités des partis.

Alors, bien sûr, toutes ces mesures peuvent être financées par un réajustement budgétaire. Mais à cet égard, aucun parti n’est parvenu à ramener le déficit autour des 3%, à l’horizon 2029, dans l’exercice de chiffrage des priorités des partis politiques par le Bureau du plan. Le parti francophone qui s’en approche le plus est le PS, mais pour cela, les socialistes mettent sur la table pas moins de 18 milliards de nouvelles recettes. Autrement dit, de nouvelles taxes, il est vrai, principalement sur la fortune, mais pas seulement. Car au bout du compte, la gratuité se paye toujours.

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