Marek Hudon (Solvay) : “Des pouvoirs publics moins naïfs qu’avant”
L’intervention des pouvoirs publics dans les secteurs stratégiques est bienvenue, souligne l’économiste. Attention, toutefois, au phénomène de “crowding-out” qui pourrait décourager les investisseurs privés. Un équilibre à préserver.
Marek Hudon, professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management, estime vertueuse la volonté des autorités publiques d’investir dans des entreprises stratégiques. Mais il met en garde contre le risque de faire fuir le capital privé.
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TRENDS-TENDANCES. Est-ce judicieux pour les bras financiers des pouvoirs publics d’investir dans des secteurs stratégiques?
MAREK HUDON. Oui! On a parfois fait preuve de naïveté dans le passé. Dans une économie mondialisée, on a laissé partir des secteurs stratégiques et on en a payé la facture par la suite. Ce changement de stratégie, avec une réaffirmation de l’intérêt d’avoir des prises de participation publique, est bienvenu. Ce n’est d’ailleurs pas une spécificité belge. Je pense notamment à l’Inflation Reduction Act aux Etats-Unis: dans un pays où l’économie de marché est majoritaire, il y a des prises de participation et des subventions très fortes.
En Belgique, cette prise de conscience est née en raison des conséquences de la disparition de nos “bijoux de famille”…
C’est clairement une prise de conscience qui a mûri petit à petit. Ce que la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPIM) fait avec Umicore n’est qu’un exemple d’un renouveau public. La SFPIM s’est redéployée de façon évidente, en portant une réflexion sociétale intéressante, en ce compris dans la volonté de développer une grille d’indicateurs ESG. L’Etat entend peser sur les tendances de fond.
Ces prises de participation ont-elles un effet vertueux ou risquent-elles de décourager les investisseurs privés?
C’est toute la distinction entre le “crowding-in” et le “crowding-out”. Le premier, c’est la capacité pour les pouvoirs publics d’attirer des financements privés et de les rassurer. Quand un investissement est risqué, si le public prend le premier niveau de ce risque, via des garanties bancaires par exemple, il permet de les attirer. C’est vertueux. Dans le cas d’Umicore, avec le prix de l’action qui a diminué, il y avait l’enjeu plus large d’éviter une prise de participation de capital d’entreprises moins alignées par rapport à la dimension nationale et européenne. Potentiellement, là aussi, cela peut rassurer.
Dans le cas d’un “crowding-out”, c’est l’inverse, il s’agit d’un investissement public qui fait peur et qui repousse l’investissement privé. Certains analystes estiment que la volonté d’implanter un site en Belgique ou en Europe, par exemple, ne devrait pas entrer en ligne de compte dans une réflexion financière. On voit la tension que cela peut créer entre une logique privée et publique, dans le cas d’Umicore: la SFPI a annoncé qu’elle serait attentive à l’implantation de la future usine de batteries.
Le privé perdrait une capacité de gestion, en somme?
C’est un risque de confrontation entre deux logiques différentes, oui. Le cas extrême, c’est celui de bpost, une entreprise cotée en Bourse comme Umicore, où la logique de marché et des marges se heurte à la volonté de sauver l’emploi défendue par le pouvoir public. Mais de façon générale, on est sorti de cette naïveté selon laquelle la logique de marché serait vertueuse. Non, ce n’est pas le cas.
Le public a-t-il pour vocation de rester dans le capital de ces entreprises?
Ce n’est pas une question évidente. Nous sommes dans un monde plus incertain qu’avant et il y a la nécessité de s’assurer. On l’a vu avec la crise du covid, quand l’économie a été menacée par des ruptures d’approvisionnement. Le fait de pouvoir limiter les risques dans des secteurs stratégiques, c’est vital. Par ailleurs, dans ses prises de participation, jusqu’ici, l’Etat s’y est retrouvé, songeons au cas de Belfius. Ce sont des bons investissements, certainement quand on songe à l’impact qu’aurait eu des faillites. Cette nouvelle ère est plutôt positive.
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