L’ultime appel
du monde patronal à quelques heures des élections

Pieter Timmermans (FEB), Cécile Neven (AKT), Thierry Geerts (Beci) et Pierre-Frédéric Nyst (UCM) -- Belga Image

En première ligne, on retrouve logiquement les organisations patronales qui ne se cachent plus depuis longtemps dans cette campagne électorale. A quelques heures des élections, ils enfoncent le dernier clou.

Le président de la FEB n’en est certainement pas à son coup d’essai, quitte à faire passer son message, il le reconnaît lui-même, de manière un peu caricaturale. Mais il veut exprimer le ras-le-bol des entrepreneurs face à la tournure de la campagne électorale et des propositions sur la table. “On a senti très tôt que le 1er mai et la Saint-Nicolas tombaient le même jour, commence Pieter Timmermans. Personne ne pense à faire grandir le gâteau, avant de le partager, alors que ce gâteau n’est pas encore garanti. Certains partis cherchent uniquement à trouver de nouvelles taxes pour encore augmenter les dépenses. Ça suffit!”, martèle-t-il.

Les priorités de la FEB sont connues depuis longtemps : limiter la paperasserie, réaliser une vraie réforme fiscale, combinée à une réforme de l’emploi, et sécuriser l’approvisionnement en énergie, tout en veillant à ce que son prix reste compétitif. Sans cela, Pieter Timmermans craint une délocalisation des entreprises: “J’entends cela partout. Nos entreprises veulent investir en Belgique, mais face à la complication administrative, au coût du travail et au coût de l’énergie, je reçois des signaux inquiétants”.

Réforme fiscale 
et de l’emploi

Pour le patron de la FEB, la réforme fiscale avortée de la Vivaldi n’en était pas une, mais un tax shift. “On ne réduisait rien du tout pour les entreprises. Un exemple? Ils voulaient alourdir la taxation pour la recherche et le développement. Alors que dans ce pays, notre seule force, c’est ce qu’on a entre nos deux yeux: notre cerveau ! On n’a pas de gaz, pas de pétrole et pas d’uranium. Une réforme fiscale doit être un tax cut. Et cette réforme doit s’accompagner d’une réforme du marché de l’emploi. On ne peut baisser l’impôt que s’il y a plus de gens qui cotisent.”

Pieter Timmermans met en avant différentes mesures qu’il juge nécessaires. “Il y a 10 ans, nous avons proposé la limitation du chômage dans le temps. On nous répondait: ‘C’est scandaleux !’ J’entends aujourd’hui que le MR, les Engagés, l’Open Vld, le cd&v et la N-VA le proposent. Nous sommes le dernier pays d’Europe qui garantit le chômage à vie. Est-ce que tous les autres Etats membres sont des républiques bananières?”, s’interroge le patron des patrons. Le même raisonnement vaut pour l’indexation des salaires: “On nous répète souvent qu’on ne touchera pas à l’indexation. Mais c’est pourtant ce qui se passe tous les 10 ans. On a fait un saut d’index en 1982, 1993, 2008 et 2017. Bientôt en 2025? Je préfère modifier structurellement l’indexation, en supprimant la norme salariale et l’indexation automatique des salaires. On laisse les entreprises négocier avec leurs travailleurs”.

“Emploi, emploi, emploi!”

En Wallonie, il y a aussi besoin d’un changement des mentalités, comme l’expriment plusieurs CEO. “Je suis 100% d’accord, souligne Cécile Neven, CEO d’AKT for Wallonia. S’il y a bien quelque chose qui est nécessaire, c’est ça. Tout n’est pas noir, bien sûr, mais une prise de conscience des enjeux est vitale. Notre président, Pierre Mottet, avait appelé, fin de l’année dernière, à une ‘révolution culturelle’, cela reste d’actualité.”

Concrètement, Cécile Neven espère une mobilisation générale après les élections. “C’est crucial, soutient-elle. Quand on voit les sondages, on perçoit le grand risque de morcèlement du paysage politique, alors que nous avons besoin de tout sauf de cela. Nous n’avons pas besoin de crise politique, mais bien d’agir ensemble sur les grands enjeux. La priorité numéro un à mes yeux, c’est l’emploi, l’emploi et l’emploi. Si on ne résout pas cette question-là, on ne résoudra pas les autres, dont le défi climatique au sens large. Prenons la rénovation des bâtiments, avec cette pénurie de main-d’œuvre, on ne s’en sortira pas. Il faut résoudre la question des pièges à l’emploi.”

“Tout n’est pas noir, bien sûr, mais une prise de conscience des enjeux est vitale.” – Cécile Neven (AKT for wallonia)

Si les gouvernements ont bien protégé les citoyens et les entreprises au fil des crises, “ce n’est pas un mode d’action que l’on pourra prolonger”, dit-elle encore. “Quand on voit l’explosion des dépenses publiques, il faudra développer une capacité à prioriser les investissements publics pour les projets qui apportent un retour économique. Je pense aussi que pour résoudre les problèmes, il ne faut pas toujours légiférer: mettre en œuvre ce qui a été décidé, en matière d’accompagnement des chômeurs, sera important. Simplifier les démarches administratives, aussi: les procédures sont trop lourdes. Et leur timing n’est pas compatible avec la volonté d’investir.”

“Un besoin de dialogue”

A Bruxelles, Thierry Geerts, nouveau président de Beci depuis le 1er juin, met lui aussi en avant “le besoin de collaboration”. “Bruxelles souffre d’un manque de dialogue et quand Bruxelles souffre, c’est tout le pays qui souffre, souligne-t-il. Mettre en avant les clivages entre la Flandre et la Wallonie, c’est un mauvais débat. Qu’on le veuille ou non, Bruxelles est la capitale de tous et on a besoin de cette collaboration.”

Le fait de rendre Bruxelles plus attractive rendra la Belgique entière plus attractive, insiste Thierry Geerts. “Il s’agit de positionner la ville comme capitale de l’Europe: nous avons plus que jamais besoin de l’Europe pour notre économie, la défense et la sécurité, et Bruxelles incarne cela. Evitons aussi d’exporter nos problèmes. Il y en a, bien sûr, mais quand on parle de Paris, on évoque ses atouts. Nous avons intérêt à promotionner la ville.” L’ancien directeur général de Google, féru d’innovation et de technologies, met en avant le caractère vital de la fibre optique et de la 5G.

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“Bruxelles souffre d’un manque de dialogue et quand Bruxelles souffre, c’est tout le pays qui souffre.” – Thierry Geerts (Beci)

Tous les acteurs doivent réapprendre à aimer leur capitale. “Les enjeux de cette ville nous concernent tous, à commencer par la mobilité. La gouvernance de la ville doit être améliorée et l’enjeu budgétaire doit être pris en main. On ne réussira pas Bruxelles, sans avoir de tissu économique. Cela passera par un meilleur dialogue entre les milieux politique et économique. On ne doit pas résonner en opposant les entreprises aux citoyens, mais en les rapprochant. Ce sont les entreprises qui créent de l’emploi et si on améliore le taux d’emploi, on résoudra bien des problèmes.”

“Un manque de culture d’entreprise”

Du côté des indépendants et des PME, le retour du terrain est partagé, selon Pierre-Frédéric Nyst, président de l’Union des classes moyennes. “Une grande partie des entrepreneurs et indépendants ont l’impression qu’on ne les écoute pas. Une autre se dit qu’elle avancera même sans le monde politique. Ils nous disent: on refera la Wallonie et Bruxelles avec le monde politique ou sans lui, s’il ne joue pas le jeu.”

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“Une grande partie des ­entrepreneurs et indépendants ont ­l’impression qu’on ne les écoute pas.” – Pierre-Frédéric Nyst (UCM)

Nyst en appelle à un sursaut et à mettre le paquet sur l’emploi et la formation, au sud du pays. Mais il met en avant un autre point intéressant : le manque de culture d’entreprise. “Je vais vous donner un exemple: récemment, Odoo a laissé un camion devant une université pour faire la promotion de l’entrepreneuriat. Vous savez qui a rappliqué? Les syndicats, qui ont dit que c’était scandaleux, qu’une entreprise ne pouvait pas venir faire sa publicité sur un campus. Vous n’auriez jamais une telle réaction en Flandre.”

Le représentant des classes moyennes veut rapprocher le monde de l’enseignement et de l’entreprise: “Quand vous discutez avec un délégué syndical de l’enseignement, il vous dit que nous formons des gens pour les sociétés, alors qu’eux forment des gens pour la société. C’est ridicule. On forme des gens pour la société, nous aussi, et eux feraient bien de voir ce qu’il se passe dans les entreprises. On a un déficit de création d’entreprises parce qu’on n’a pas de culture d’entreprise.”

Le coup de gueule des patrons

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