Le grand point faible des programmes des partis

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Baptiste Lambert

Difficile exercice que le chiffrage des programmes des partis. C’est la tâche titanesque qu’a réalisée le Bureau fédéral du Plan (BFP) pour la deuxième fois, après 2019. Un travail aussi intéressant que frustrant : il n’analyse pas l’entièreté des programmes, mais une trentaine de mesures prioritaires par parti. Il ne permet donc pas de conclusions définitives, mais objective certaines promesses jetées en l’air.

Le chiffrage des programmes souffre de deux faiblesses. D’abord, il se limite à des mesures que les formations politiques ont soigneusement choisies, de sorte qu’elles parlent à leur électorat. Ensuite, les outils du BFP n’ont pas eu la capacité de chiffrer toutes les mesures proposées. Cela a d’ailleurs mené à des discussions parfois tendues entre les partis et l’institution. Par exemple, la lutte contre la fraude fiscale et sociale n’a pu être chiffrée. D’autres mesu­res ont également été plafonnées, comme la réduction des dépenses des administrations, ne pouvant, selon le BFP, dépasser les 0,5% par an, à moins de dégrader la qualité du service. Mais chaque formation politique connaissait les règles du jeu dès le départ : proposer un ensemble de mesures cohérentes, finançables et impactantes.

L’exercice 2024 a été sérieusement boosté. En 2019, les partis ont soumis des mesures phares sans trop se préoccuper de l’impact global sur les finances publiques. “Cette fois, pour la plupart, les partis ont joué le jeu, en ne formulant pas uniquement des cadeaux électoraux”, précise Baudouin Regout, commissaire au Plan.

Et l’exercice ne s’est pas limité à l’impact budgétaire. Chaque parti a pu proposer une trentaine de mesures au sein de huit catégories : la fiscalité, le fonctionnement de l’administration, le marché du travail, les soins de santé, la protection sociale, les investissements publics, l’environnement (la mobilité et l’énergie) et la politique économique. Leur impact a ensuite été mesuré sur les effets macro­économiques durant la législature, puis à long terme, ainsi que sur la distribution de revenus, sur l’inflation, l’offre de travail, le transport et la production électrique. Le tout est rassemblé en un seul outil, consultable pour les plus curieux à l’adresse www.dc2024.be.

“Pour la plupart, les partis ont joué le jeu.” – Baudouin Regout, commissaire au Plan

Globalement, les mesures prioritaires débouchent sur trois points faibles majeurs : aucun parti n’est parvenu à limiter le déficit sous les 3% d’ici 2029, aucun parti n’arrive au taux d’emploi de 80% et aucune trajectoire environnementale ne permet d’atteindre les objectifs de réduction d’émissions de CO2.

Dans le détail, les mesures prioritaires ont débouché sur une grande faiblesse pour chaque parti. A cet égard, le Bureau du Plan fournit un précieux outil qui différencie la réalité économique des promesses de campagne.

Le PS et la redistribution

Malgré 18,7 milliards d’euros de nouveaux impôts, le PS ne parvient pas à se montrer le plus redistributif pour les plus faibles revenus. A la loupe, côté taxes, on recense 5,6 milliards d’euros pour la globalisation des revenus (imposer les revenus du patrimoine au même barème que l’IPP), 7,5 milliards pour la taxe sur le patrimoine, 2,9 milliards pour la taxe sur les plus-values ou encore 2,7 milliards d’euros pour la suppression du régime fiscal favorable des stock-options. Dans l’autre sens, les socialistes prévoient des réductions d’impôt à hauteur de 8 milliards d’euros. Ce qui crée, en tout, 10 milliards de nouvelles recettes.

Mais à la différence des écologistes, ces réductions d’impôts ne bénéficient que faiblement aux bas revenus. Ecolo parvient à augmenter de 244 euros nets le revenu disponible du premier décile, c’est-à-dire les 10% des ménages aux revenus les plus faibles. Les priorités du PS, elles, augmentent les revenus du premier décile d’à peine 28 euros, alors que les revenus des 5, 6, 7, 8 et 9e déci­les augmentent jusqu’à 223 euros nets. Les mesures proposées par le PS semblent donc mal calibrées. Au global, le PS est le parti qui fait le moins augmenter le pouvoir d’achat, de 4,3% contre 7% dans le scénario de référence qui court jusque 2029, à politique inchangée.

Il est toutefois à noter que le PS parvient à ramener le déficit à 4,5% du PIB par rapport au scé­nario de référence (5,6%). Ecolo le ferait reculer très légèrement à 5%, bien au-delà des clous budgétaires européens.

Aucun parti n’est parvenu à limiter le déficit sous les 3% d’ici 2029, ni n’arrive au taux d’emploi de 80%.

Le MR et le déficit budgétaire

En parlant de déficit, un parti détient la palme : le MR. La for­mation libérale ne semble pas avoir joué le jeu, en proposant des mesures à fort impact économique, sans se soucier du reste. Ainsi, les libéraux performent le mieux en termes de gain de croissance (1,7%), d’augmentation du pouvoir d’achat (11,9%), de création d’emplois (338.000) ou encore de gain de compétitivité. Le parti libéral affiche les plus grandes baisses d’impôts, mais il ne parvient pas à les financer en proposant des pistes probantes de réduction des dépenses. Résultat des courses : un déficit de 7,6% du PIB et une dette de 121,5%, à l’horizon 2029, bon dernier de la classe. Et forcément, ça passe toujours mal quand on se fait le chantre de la bonne gestion des deniers publics.

Logiquement, ses opposants lui sont tombés dessus. Le PS en tête, ironisant sur “l’argent magique” des libéraux. Le président du MR a eu beau affirmer qu’il financerait son programme par une baisse des dépenses publiques et par une hausse du taux d’emploi, les mesu­res prioritaires qu’il a présentées sont insuffisantes : les économies sur le fonctionnement des pouvoirs publics ne rapporteraient que 185 millions d’euros, tandis que la réduction du nombre de mandataires à tous les niveaux de pouvoir permettrait d’engranger à peine 18 millions d’euros. Concernant le taux d’emploi, les libéraux le porteraient à 75,9% en 2029, contre 74,3% dans le scénario de référence. Insuffisant.

D’autres mesures du programme des libéraux pourraient rééqui­librer la balance, mais elles ne figuraient visiblement pas dans les mesures prioritaires ou elles n’ont pas pu être chiffrées. Or, si même le BFP n’a pas pu le faire, il est difficile d’imaginer que le bureau d’étude du MR y soit arrivé.

Le PTB et la calculette

Le PTB et les chiffres, c’est toute une histoire. A ce sujet, la taxe des millionnaires que le parti marxiste a récemment limitée aux patrimoines de plus de 5 millions d’euros, devait rapporter aux caisses de l’Etat la bagatelle de 8 milliards d’euros par an. Pour y arriver, le PTB fixait un taux de 2% à partir de 5 millions d’euros et de 3% au-dessus de 10 millions d’euros. Mais d’après les calculs du BFP, cette formule ne rapporterait que moitié moins, soit 3,9 milliards d’euros par an.

A ce petit jeu, c’est la taxe des millionnaires version PS, qui taxe le patrimoine à partir de 1,25 million d’euros, en dehors de la résidence principale et des biens liés à l’activité professionnelle, qui rapporterait le plus : 7,5 milliards d’euros par an, en pratiquant un taux progressif de 0,40% à 1,5%.

La taxe des millionnaires d’Ecolo est la moins efficace, puisqu’en choisissant de taxer les patrimoines à partir de 1 million d’euros (hors résidence principale, activité professionnelle et terrains agricoles), et en pratiquant un taux de 0,5% à 2%, elle ne gonflerait le budget que de 3,6 milliards d’euros, dixit le BFP.

Ecolo et les émissions

Ecolo est sans surprise le parti le plus vert. Ses mesures prioritaires font baisser les émissions de gaz à effet de serre comme aucun autre parti. Ainsi l’économie belge épargnerait 1,62 million de tonnes (Mt) de CO2 supplémentaires, notamment grâce à la rénovation et l’isolation des bâtiments. Coût de la mesure : 1,2 milliard d’euros par an.

Par contre, pour ce qui est des émissions liées au secteur de l’électricité, l’enveloppe de 820 millions d’euros par an pour développer le solaire et l’éolien offshore ne suffit pas. Ecolo figure en dernière position parmi les partis qui ont proposé des mesures à ce sujet. La prolongation de plusieurs réacteurs nucléaires, comme le proposent DéFI, Les Engagés, le MR la N-VA et le VB, pèse le double sur la réduction des émissions : -0,9 Mt pour Ecolo, contre -1,8 Mt pour les autres partis.

Les efforts d’Ecolo concernant les émissions du secteur lié au transport ne sont pas beaucoup plus probants. La gratuité des transports en commun pour les jeu­nes, les seniors ou les statuts BIM (215 millions d’euros par an), ainsi que la suppression de la TVA sur les transports publics (77 millions par an) sont annihilés par la suppression des voitures de sociétés (+3,2 milliards par an). Dans ce classement lié au transport, Ecolo est le dernier de la classe, avec 0,21 Mt de rejet supplémentaire. La raison ? Les voitures de société participent à l’expansion des voitures électriques.

Quoi qu’il en soit, les mesures prioritai­res d’Ecolo sont totalement insuffisantes pour atteindre nos objectifs environnementaux de -55% d’émissions de gaz à effet de serre. Pour vous donner un ordre de grandeur, la dernière évaluation du Plan national intégré Energie et Climat (PNEC) prévoit 110 millions de tonnes de CO2 en 2030, alors que l’objectif doit tourner autour des 65 Mt.

Les Engagés et le pouvoir d’achat

Dans leur programme, les Engagés s’engagent à fixer les allocations familiales à 300 euros par mois et par enfant, en échange de la fin de l’exonération fiscale pour les enfants à charge. Sur papier, cela devait générer un gain “net” de 79 euros par mois pour le 1er enfant et de 68 euros par mois pour le 2e enfant. Dans les faits, le BFP estime que la suppression de l’exonération rapporterait 1,3 milliard aux caisses de l’Etat, alors que l’allocation familiale à 300 euros ne coûterait que 347 millions à la Wallonie et 166 millions d’euros à Bruxelles. En d’autres mots, l’Etat semble largement gagnant dans l’opération.

De manière générale, on notera, dans les priorités des Engagés, le manque de mesures qui soutiennent le pouvoir d’achat. Au total, un gain de 10 à 36 euros nets par mois, dont seulement 21 euros pour le premier décile. La faute, aussi, à une grande “révolution” fiscale claironnée par le parti, mais dont les deux principales mesures n’ont pas été soumises au BFP. Les Engagés ont choisi de ne pas faire analyser la quotité exonérée d’impôt (1.000 premiers euros) et “la diminution de l’ordre de 20% de l’impôt des personnes physiques, avec un taux maximal réduit à 45%”. Non finançables ?

Seul le “bonus bosseur” (450 euros par mois en plus pour les bas revenus par rapport aux allocations de chômage) figure dans les priorités. Cette mesure coûterait 1,8 milliard d’euros par an.

DéFI et l’incitation au travail

DéFI et le MR ont un programme économique très ressemblant. En baissant la taxation sur les revenus (-10,1 milliards de recettes par an, en jouant sur les tranches d’impôt), ils boostent le pouvoir d’achat, surtout des classes moyennes, tout comme ils creusent la dette publique. Mais les deux partis se différencient clairement sur l’incitation au travail. Concernant l’offre de travail, c’est-à-dire le nombre d’heures par semaine qu’une personne désire travailler en plus, contre une meilleure rémunération, le MR score particulièrement bien sur le premier décile, avec 1,1 heure supplémentaire, là où DéFI ne réalise que 0,3 heure. Seul le PS fait pire avec 0,06 heure.

Un détail qui a toute son importance. Les mesures plébiscitées par DéFI pour inciter au travail – l’augmentation de la progressivité de l’impôt, l’augmentation de l’exo­nération fiscale pour les enfants à charge, la suppression progressive du quotient conjugal et la suppression du statut de cohabitant – ne sont pas des mesures qui encouragent les faibles revenus à travailler davantage.

L’autre différence notable entre les deux formations est la volonté du MR de limiter les allocations de chômage à deux ans (+1,4 milliard pour les caisses de l’Etat). Dans ce cas de figure, l’allocataire perdrait 286 euros nets par mois, là où les mesures prioritaires de DéFI lui feraient gagner 87 euros.

Vers un super outil ?

En résumé, le PS ne redistribue pas autant qu’il ne le dit, le MR ne parvient pas à trouver autant d’économies qu’il ne le dit, le PTB ne récolte pas autant d’argent qu’il ne le dit, Ecolo ne fait pas baisser les gaz à effet de serre autant qu’il le dit, les Engagés ne parviennent pas à booster le pouvoir d’achat comme ils le disent et DéFI n’incite pas vraiment au travail comme il le dit.

Tout ça, il aurait été impossible de le savoir en écoutant les belles paroles électorales de nos représentants politiques. A cet égard, le travail du Bureau du Plan est salutaire. Mais il demande sans doute encore davantage de moyens et d’expertise pour analyser l’entièreté des programmes politiques avant les élections. Cela en ferait un outil unique au monde.

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