La mobilité dans le plan de relance belge: un fourre-tout de projets partiels
Le chapitre consacré à la mobilité dans le plan de relance que la Belgique a introduit auprès de l’Union européenne ne fera pas disparaître les embouteillages dans notre pays. “Il n’y a aucune cohérence dans les réformes”, regrette le spécialiste des transports Stef Proost.
“D’un point de vue macroéconomique, un grand plan de relance européen est évidemment utile, estime Stef Proost, professeur d’économie du transport à la KU Leuven. Mais pour un petit pays comme la Belgique, les stimuli mis en oeuvre dans les autres pays sont également très importants. Dans l’évaluation des projets, l’Europe s’intéressera avant tout à l’impact sur le climat et à la numérisation. Pour ce qui me concerne, il aurait été préférable, surtout pour l’économie belge, de tenir également compte du rapport coût/bénéfice et de l’effet sur les finances publiques.”
L’objectif principal de plan de mobilité est de réduire le transport motorisé. En 2017, le secteur du transport prenait à son compte 23% des émissions de gaz à effet de serre. Dont 56% pour l’automobile. Simultanément, la plupart des grandes villes sont confrontées à de graves problèmes d’embouteillages.
22%
Part du fonds de relance européen qui sera investi dans des projets liés à la mobilité.
Avec 1,301 milliard, la mobilité est le deuxième pilier du plan de relance belge après la durabilité. Projets d’infrastructures cyclables et pédestres, transfert modal et décarbonation du transport routier vont absorber 22% des fonds européens. Du moins si la Commission européenne approuve les plans en l’état.
Car les projets en matière de mobilité n’échappent pas au manque de vision et de cohérence qui caractérise le plan de relance. Ce ne sont généralement que des chapitres d’autres projets d’investissement dont on espère qu’ils obtiennent la bénédiction de la Commission. “Il n’y a aucune cohérence dans les réformes, s’étonne Stef Proost. Le système des voitures de société n’est pas démantelé (l’interview a été réalisée avant l’accord de gouvernement sur la réforme fiscale du parc de voitures de société, Ndlr), aucune taxe kilométrique n’est introduite autour des grandes agglomérations, aucune réforme des tarifs pour les transports en commun n’est prévue. De plus, on peut se demander s’il est justifié de développer de l’infrastructure à long terme sachant que ce sont surtout des voitures électriques qui circuleront sur nos routes à partir de 2030-2035 et qu’il faudra développer à terme des autoroutes électriques pour les poids lourds.”
De meilleurs transports en commun – plus fréquents et moins chers – ne vont pas convaincre beaucoup d’automobilistes. Ce sont surtout les cyclistes qui pourraient être séduits.
Stef Proost, professeur d’économie du transport à la KU Leuven.
Infrastructures cyclables
Sur les 20 investissements qui constituent l’axe mobilité avec sept projets juridiques ou stratégiques, c’est l’infrastructure cyclable flamande qui représente le plus gros poste de dépenses (345,5 millions d’euros). Les autres gouvernements aussi mettront la main à la poche pour aménager de nouvelles pistes cyclables. Justification avancée: plus de 30% des déplacements sur de courtes distances (1 à 2 km) s’effectuent toujours en voiture.
Le gouvernement flamand inscrit également ces projets dans son ambition de relever la part du vélo dans le déplacement domicile-lieu de travail de 18% en 2020 à 20% en 2025. “Le développement de l’usage du vélo est surtout important pour la création de villes viables, la réduction des embouteillages autour des villes et l’électrification rapide des transports – l’adoption des vélos électriques est nettement plus rapide que celle des voitures électriques, explique Stef Proost. Mais le vélo est plutôt un substitut qu’un complément aux transports en commun. Voyez les Pays-Bas: le vélo y est beaucoup plus utilisé en ville, mais la part de marché des transports en commun y est nettement plus faible.”
Pour la décarbonation du transport routier, les divers projets misent surtout sur les transports en commun, avec notamment 345 bus électriques pour De Lijn et une augmentation du nombre de bornes de recharge – la Flandre en veut 30.000 de plus pour 2025.
Transfert modal
Concernant le transfert modal – le remplacement du transport routier par le transport ferroviaire ou fluvial -, chaque Région place des accents différents. La Flandre, qui n’introduit aucun projet pour ce composant, vise 40% de transports durables pour 2024. La Wallonie veut accroître la part des transports en commun de 13 à 25%. Bruxelles veut réduire la part des transports motorisés de 33 à 25%.
Le chapitre Réformes reste assez pâle. Des contrats de gestion sont annoncés pour 2023 avec la SNCB et Infrabel, mais c’est un simple copier/coller d’une promesse déjà présente dans l’accord de gouvernement. Le dernier contrat de gestion de la SNCB date de 2008. Il a expiré en 2012, mais a été prolongé à quatre reprises depuis.
Le gouvernement veut également donner une nouvelle vie au budget mobilité. Tant les employeurs que les travailleurs le trouvent trop complexe. “Un coup d’épée dans l’eau, surtout si l’on maintient les voitures de société, juge Stef Proost. Ce système est cher et inefficace.”
Les projets d’investissement, qui seraient financés à 94% par des fonds européens, tiennent à peine compte de la pandémie et de la percée du télétravail, note encore le professeur. Ces deux facteurs mènent avant tout à une baisse de l’utilisation des transports en commun aux heures de pointe, et éventuellement à une plus grande utilisation de la voiture. “De meilleurs transports en commun – plus fréquents et moins chers – ne vont pas convaincre beaucoup d’automobilistes. Ce sont surtout les cyclistes qui pourraient être séduits. Une réforme des transports en commun doit surtout se concentrer sur les lignes les plus utilisées autour des grandes villes et des prix plus élevés en heures de pointe.”
Sites propres
Et certains projets vont dans ce sens. A Mons, des bus sans émission en site propre et avec priorité aux feux doivent permettre des liaisons plus rapides sur une N51 très fréquentée. La Wallonie demande 26,64 millions d’euros pour moderniser les feux de circulation sur 700 carrefours afin qu’ils donnent la priorité aux transports en commun.
L’extension du métro de Charleroi est plus controversée: 60 millions d’euros doivent être investis dans la rénovation de l’embranchement de Châtelet. On y avait déjà injecté 36,5 millions d’euros entre 1975 et 1985, mais la ligne n’a jamais été mise en service. Aujourd’hui, elle doit surtout servir à relier les entités du Grand Hôpital de Charleroi en construction. “Ces investissements ne sont justifiés que si l’on a énormément d’utilisateurs. Sans quoi, il est préférable de miser sur des bus rapides.”
Les 51 millions d’euros que Bruxelles veut consacrer à l’application mobile SmartMove sont également critiqués. “Sans l’introduction d’une taxe kilométrique intelligente, SmartMove n’a pas beaucoup de sens, estime Stef Proost. Reste que cette taxe est un des rares projets à avoir reçu une évaluation coût/bénéfice clairement positive.”
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