Get Up Wallonia: dans la jungle des aides aux entreprises
Le rapport Get Up Wallonia prône une remise à plat des aides aux entreprises afin de les cibler sur les projets ayant le plus d’impact sur l’économie wallonne. Un chamboulement salutaire… mais qui risque de faire bien des mécontents.
Combien y a-t-il exactement de dispositifs d’aides aux entreprises en Wallonie? L’éventail est si touffu que personne ne peut avancer un chiffre irréfutable. Les experts sollicités pour le plan Get Up Wallonia évoquent 166 dispositifs, le site de l’administration en recense 123 (auxquels il faut sans doute ajouter les 10 mesures dépendant des fonds publics d’investissement, voire celles qui dépendent des Communautés). Mais n’ergotons pas, il y en a beaucoup, pour ne pas dire trop: du chèque “interim export manager” à la prime pour l’élevage de brebis en passant par le prêt Coup de pouce, l’éventail est particulièrement large.
Individuellement, ces dizaines de mesures ont vraisemblablement toutes leur intérêt. Mais leur accumulation crée la confusion. A tel point que les entreprises ont parfois recours à des sociétés spécialisées pour les aider à déposer le bon dossier sur la bonne table. Voilà pourquoi les économistes chargés de synthétiser les propositions émises pour Get Up Wallonia invitent à “remettre à plat” l’ensemble des dispositifs de soutien aux entreprises, ce qui pourrait conduire à la suppression de la moitié de ces dispositifs. “C’est bien le nombre de dispositifs d’aide qui est en question et certainement pas leur volume budgétaire total, précise le ministre de l’Economie Willy Borsus (MR). En sortie de crise, le schéma ne doit certainement pas être de réduire globalement les aides aux entreprises. Mais nous devons rendre le système plus lisible et, surtout, mieux ciblé sur les effets leviers de ces aides. La Wallonie manque d’emplois privés, nous devons absolument continuer à soutenir la croissance des entreprises.”
Chaque entreprise devrait disposer d’un ‘account manager’ qui la dirigerait vers les bons interlocuteurs au sein de l’administration.”
Olivier de Wasseige (UWE)
Le CEO de l’Union wallonne des entreprises, Olivier de Wasseige, nuance l’ampleur de ces aides: quand vous parlez recherche ou soutien à l’emploi, une part significative des moyens revient aussi aux universités, aux pouvoirs locaux, au secteur non marchand… “Les aides qui reviennent effectivement aux entreprises représentent moins de 3% du budget wallon, ce n’est pas Byzance”, dit-il. Olivier de Wasseige réfute par ailleurs l’idée selon laquelle des réductions d’impôt pourraient efficacement remplacer la plupart de ces subsides. D’une part, cela se heurte aux répartitions de compétences (l’impôt des sociétés est fédéral, les aides aux entreprises régionales). D’autre part, et plus fondamentalement, les deux mécanismes ne visent pas les mêmes publics. “Il peut être pertinent d’aider des entreprises qui ne sont pas encore profitables et ne paient donc pas d’impôt, explique-t-il. L’exemple type, ce sont les start-up qu’il faut soutenir au démarrage pour qu’elles dégagent des profits quelques années plus tard. Mais cela peut aussi concerner des entreprises qui doivent pivoter et faire évoluer leur business pour repartir après quelques années difficiles durant lesquelles elles n’ont pas réalisé de bénéfices.”
Rentes de situation
Les académiques réunis au sein du Conseil stratégique de Get Up Wallonia soulignent le fait que les aides actuelles sont principalement basées sur “des critères liés à l’histoire de l’entreprise considérée (chiffre d’affaires, taille, nombre d’emplois, etc.) et finalement très peu à son potentiel pour contribuer au développement de l’économie régionale”. Le terme n’est pas employé, et même récusé par plusieurs de nos interlocuteurs, mais cela donne l’impression d’une “rente de situation” pour les entreprises bien installées qui connaissent les rouages et les procédures pour obtenir ces aides. Au détriment, donc, de toutes les autres. “J’aimerais disposer d’un mapping complet des entreprises wallonnes et des aides dont elles bénéficient, glisse à ce propos François Desquesnes, chef du groupe cdH au Parlement wallon. Toutes n’ont pas accès au soutien public, il faudrait pouvoir monitorer cela.” Le problème, c’est que ces critères “historiques” sont parfaitement objectivables alors que l’impact d’un projet sur l’ensemble de l’économie wallonne ou sur un écosystème est beaucoup plus aléatoire et soumis à des interprétations. Il est alors tentant de s’en tenir aux critères chiffrés pour éviter les contestations, même si ce n’est pas toujours la voie la plus pertinente pour le bon déploiement de l’économie régionale.
Quelques balises émergent cependant pour l’analyse de l’impact des projets potentiellement subsidiables. A commencer par celle émise par le Conseil stratégique de Get Up Wallonia qui préconise “une attention particulière” au scaling-up. “Comme beaucoup d’autres régions européennes, la Wallonie fait moins face à un déficit de création d’entreprises que de développement accéléré de celles qui sont les plus prometteuses (et qui par ailleurs se font trop souvent racheter par des entreprises non wallonnes)”, peut-on lire dans le rapport académique.
Willy Borsus insiste logiquement sur “la parfaite cohérence” à rechercher avec les orientations politiques, que ce soit à travers la poursuite d’objectifs transversaux comme la réduction de 55% des émissions de CO2 à l’horizon 2030 ou les programmes d’action comme la stratégie de spécialisation intelligente (les innovations dans les matériaux circulaires, la santé, l’énergie, les chaînes agroalimentaires et les modes de production seront privilégiés), le plan Circular Wallonie ou la digitalisation de l’économie. “Je peux comprendre l’intérêt des critères sociaux et environnementaux dans l’octroi des aides, précise Olivier de Wasseige. Mais attention toutefois: s’ils sont trop contraignants, ils risquent de devenir dissuasifs, notamment pour les investisseurs étrangers dont la Wallonie a pourtant grand besoin.”
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Agir par appel à projets
La sélectivité pourrait être atteinte par le recours à des appels à projets, estime François Desquesnes. le député suggère que la Wallonie s’inspire du dispositif existant en France, qui invite les entreprises à s’inscrire dans les grandes orientations définies par le gouvernement. “Ces appels à projets sont ciblés sur des secteurs ou des types d’innovation, explique-t-il. Un jury indépendant évalue ensuite les dossiers et sélectionne les meilleurs. L’objectif doit être d’aider les projets non pas parce qu’ils relèvent de tel ou tel secteur mais parce qu’ils offrent les plus grandes perspectives en termes de retombées directes ou de structuration du tissu économique, de consolidation de la chaîne de valeurs.” C’est un peu la démarche que le gouvernement wallon avait entreprise pour le traitement des plastiques usagés et cela rejoint les suggestions de Get Up Wallonia, qui invitent à réfléchir désormais en termes de filières plutôt que de secteurs. “Certains investissements ont d’importants effets induits, indirects sur l’économie régionale, ajoute Olivier de Wasseige. Il faut en tenir compte dans l’octroi des aides au lieu de toujours les lier aux créations d’emplois. Avec l’évolution technologique, une entreprise peut être créatrice de valeur ajoutée, y compris avec des retombées sur des partenaires locaux, sans nécessairement créer de l’emploi.”
C’est bien le nombre de dispositifs d’aide qui est en question et certainement pas le volume budgétaire total.”
Willy Borsus, ministre de l’Economie (MR)
La structuration d’une chaîne ne s’arrête pas au projet industriel, elle peut aussi inclure la formation du personnel. Le député Manu Di Sabato (Ecolo) prend l’exemple des fortes ambitions de rénovation du bâti mises en avant dans les plans de relance des différents niveaux de pouvoir. Or, comme le secteur de la construction souffre déjà de pénuries de main-d’oeuvre dans certains métiers (le chiffre de 5.000 emplois vacants en Wallonie a été évoqué), le risque est réel que l’économie wallonne ne parvienne pas à capter tous les effets multiplicateurs de ces investissements dans la construction. “La pénibilité est l’un des freins à l’emploi dans le secteur, explique Manu Di Sabato. Nous devons soutenir les investissements qui permettront d’alléger le travail, que ce soit par des engins pour transporter des matériaux ou par la conception d’outils moins lourds. Tout ce qui peut améliorer l’attractivité des métiers de la construction, y compris auprès des femmes, sera utile à l’économie wallonne.” Dans cet esprit, une partie des aides publiques pourrait être affectée aux entreprises qui accueillent des jeunes dans le cadre des plans de formation en alternance, que tout le monde préconise mais que bien peu concrétisent.
Le temps des “aides à tiroirs”
Quels que soient les futurs ciblages des aides, ils ne suffiront pas à rendre l’architecture facile d’accès. L’Union wallonne des entreprises plaide dès lors pour une révision des procédures. “Chaque entreprise devrait disposer d’un point de contact dans l’administration, d’un account manager qui la dirigera vers les bons interlocuteurs, explique Olivier de Wasseige. C’est parfois un vrai casse-tête pour s’y retrouver entre les différents départements. Ce n’est pas à l’entrepreneur de connaître l’organisation de l’administration.”
Il suggère aussi des comportements moins procéduriers (“quand une entreprise est en litige avec l’administration, tout est bloqué pour elle”, dit-il), des délais de paiement raccourcis et surtout le passage à des “aides à tiroirs”. L’idée est la suivante: valider directement plusieurs étapes d’un projet et permettre ainsi de bénéficier d’aides à la recherche, à la confection d’un démonstrateur, à l’investissement, à l’exportation, etc., sans devoir chaque fois réintroduire un nouveau dossier. “L’entreprise puise alors dans les différents tiroirs au fur et à mesure de l’évolution de son projet, commente le patron de l’UWE. Cela nous paraît plus simple et plus efficace. Et cela n’empêche évidemment pas de vérifier l’utilisation des aides ensuite. Mais au départ, la dynamique est celle de la confiance aux entrepreneurs.”
Chacun a beau appeler à une plus grande sélectivité dans les aides, la remise à plat annoncée dans Get Up Wallonia ne fera pas que des heureux. Les entreprises qui n’entreront plus dans les nouveaux critères risquent de faire bien plus de bruit que les autres. “C’est pour cela qu’il faut avancer en concertation avec les partenaires sociaux, estime Manu Di Sabato. La réforme changera beaucoup de choses en concentrant les aides là où elles sont les plus efficaces pour le développement des entreprises et de filières avec une échelle suffisante. Mais il faudra accompagner les acteurs vers ce nouveau système.” “Le statu quo est souvent plus confortable, conclut Willy Borsus. Mais en l’occurrence, il ne serait vraiment pas pertinent. Nous devons éviter les effets d’aubaine, même de façon marginale, et les soutiens qui ne sont pas déclencheurs de croissance de l’activité. Avec un paysage clair et adapté aux besoins des entreprises, nous devrions limiter le nombre d’insatisfaits.”
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