La Chine prête pour un dépassement à l’italienne ?
Le poids économique de l’empire du Milieu va-t-il un jour dépasser celui des Etats-Unis? La Chine va-t-elle ainsi réussir son “sorpasso”, ce phénomène survenu en 1987, 1991 et 2009 lorsque le PIB de l’Italie a dépassé temporairement celui de la Grande-Bretagne ?
Si nous faisons souvent la part belle dans nos analyses aux prédictions à court terme qui permettent d’entrevoir ce qui va se passer dans l’année à venir, les dirigeants chinois, eux, sont plus audacieux: ils se projettent dans un futur lointain, envisageant la trajectoire de leur pays plusieurs dizaines d’années à l’avance.
En 1987, Deng Xiaoping, le chef suprême de la Chine de l’époque, a déclaré que le pays ferait tout pour quadrupler son PIB par habitant lors des 20 dernières années du 20e siècle, puis pour le quadrupler à nouveau lors des 30 à 50 premières années du 21e siècle. Plus récemment, Xi Jinping a affirmé en novembre 2020 qu’il était “tout à fait possible” que la Chine double son PIB entre 2020 et 2035. Si tel était le cas, le pays pourrait dépasser les Etats-Unis et devenir la plus grande économie d’ici 2035. Cette perspective angoisse de nombreux Américains.
Ces projections sont toutefois hardies… car elles pourraient s’avérer complètement fausses, quand bien même elles émanent de puissants dirigeants ayant une certaine influence sur le cours des évènements. En 1961, Deng lui-même s’était montré mordant à l’égard d’un Nikita Khrouchtchev qui se vantait que “d’après des calculs scientifiques”, l’Union soviétique allait célébrer l’achèvement du communisme pour 1980 au plus tard, offrant à son peuple un niveau de vie bien supérieur à celui dont jouissaient les travailleurs américains. Des timbres avaient même été émis par la poste soviétique, illustrant les prévisions selon lesquelles la production de lait allait tripler et celle de la viande, quadrupler.
Le paradoxe des importations
De la même manière, depuis la déclaration du président Xi, quatre menaces pour son économie sont apparues évidentes: les coûts liés à la lutte contre la pandémie, la guerre technologique avec les Etats-Unis, la saturation du marché immobilier et le déclin démographique du pays. L’arrivée de variants plus transmissibles a fait des ravages dans la politique “zéro covid” de la Chine, sapant son efficacité et en augmentant les coûts. Mais la Chine rechigne à l’abandonner, de peur qu’une nouvelle vague d’infections ne surcharge rapidement ses hôpitaux et ne décime sa population vieillissante, vulnérable du fait d’un faible taux de vaccination. La situation de la Chine est d’autant plus délicate que Xi Jiping a refusé d’importer des vaccins occidentaux, dont l’efficacité semble pourtant plus longue que celle des alternatives locales…
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Autre obstacle à l’essor de la Chine: la réplique des Etats-Unis aux ambitions technologiques du pays. Des contrôles stricts sur les exportations imposés fin 2022 pourraient limiter l’accès du pays à des semi-conducteurs sophistiqués. Cette situation risque d’entraver certaines de ses industries émergentes et de l’obliger à allouer des ressources pour reproduire les technologies qu’elle ne peut plus acheter à l’étranger. Le pays pourrait donc se retrouver dans une position paradoxale: d’un côté, incapable d’importer les puces haut de gamme qu’elle souhaite ; de l’autre, réticente à l’idée d’importer des vaccins de grande qualité dont elle a besoin.
Malaise dans l’immobilier
La troisième pierre d’achoppement de la Chine réside dans son marché immobilier et l’essoufflement de ses entrepreneurs. En effet, plus de 1,56 milliard de mètres carrés de nouveaux logements ont été vendus en 2021. Cela équivaut à écouler 12 fois sur une seule année l’intégralité du parc immobilier de Manhattan… De l’avis de nombreux économistes, ce chiffre marque le pic du marché immobilier chinois.
En 2022, les difficultés financières des promoteurs immobiliers ont compromis leurs projets de construction et suscité le malaise chez les acquéreurs.
La faillite du promoteur Evergrande, en fin d’année, n’était qu’un signe avant-coureur des problèmes à venir. En 2022, les difficultés financières des promoteurs ont en effet compromis leurs projets de construction et suscité le malaise chez les acquéreurs. Au premier semestre de 2022, les ventes ont chuté de 27% par rapport à la même période en 2021. Même si la confiance peut être ravivée chez les acquéreurs, leur nombre va quand même se réduire au cours des 10 prochaines années, à mesure que l’urbanisation ralentit et que la démographie du pays atteint son apogée.
Pour des siècles
La taille de la population est effectivement arrivée à son maximum plus tôt que prévu. Selon des projections de l’Onu datant du début des années 1990, la Chine aurait dû atteindre dès aujourd’hui les 1,51 milliard d’habitants. Il se trouve qu’elle en compte près de 100 millions en moins que les prévisions. Selon l’Onu, sa population active pourrait décliner de 10% d’ici 2035 et de près de 30% d’ici 2050 par rapport à son niveau actuel.
Le ralentissement de la croissance et l’accélération du déclin démographique en Chine ont jeté de nouveaux doutes sur le destin de son économie. Ces tendances ont retardé la date à laquelle la Chine devrait devenir la plus grande économie mondiale.
Certains pensent d’ailleurs que ce jour n’arrivera jamais. Quand le régime de Khrouchtchev a déclaré que sa génération de citoyens soviétiques vivrait sous un communisme pleinement réalisé, l’un des rédacteurs du discours avait lancé en boutade que ce slogan “durerait des siècles”. Les Soviétiques étaient à 20 ans de l’utopie. Ils le resteront à jamais. Un sentiment similaire voit désormais le jour au sujet de la Chine, selon lequel elle est à 10 ou 15 ans de dépasser économiquement les Etats-Unis… et qu’elle le restera à jamais.
Pour le cabinet de conseil Capital Economics, si la Chine ne réussit pas son pari au début des années 2030, elle n’y parviendra jamais. Selon l’un des scénarios, le PIB du pays pourrait dépasser celui des Etats-Unis au début des années 2030 – ce qui donnerait raison aux optimistes – avant d’être à nouveau distancé à cause de la diminution de sa main-d’oeuvre – ce qui donnerait raison aux pessimistes.
Mark Williams, de Capital Economics, compare ce scénario au dépassement temporaire de l’Italie sur le Royaume-Uni en 1987, appelé “il sorpasso“, le dépassement. “Un sorpasso éphémère de la Chine serait le résultat le plus satisfaisant, plaisante-t-il. Tout le monde aurait raison.”
Simon Cox, correspondant économique en Chine de “The Economist”
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