Typhanie Afschrift

Franco Dragone, innocent et victime

Typhanie Afschrift Professeure ordinaire à l'Université libre de Bruxelles

A côté des pages entières qui lui été consacrées lorsqu’il était accusé, les modestes entrefilets qui ont annoncé le non-lieu posthume de Franco Dragone apparaissent comme dérisoires.

Fin septembre dernier, Franco Dragone, le génial concepteur de spectacles qui, dans le monde entier, ont attiré 100 millions de spectateurs, est mort. Mort dans la tristesse et les rêves brisés suite à des accusations portées contre lui sans raison sérieuse et répercutées à la légère.

On sait qu’il avait fait l’objet d’une enquête très médiatisée sur de prétendues infractions financières. Aujourd’hui, trois mois après sa mort, justice lui est rendue. Enfin. La chambre du conseil, première juridiction devant laquelle il a vraiment pu se défendre dans une procédure contradictoire, vient de décider que les deux faits sur lesquels reposait toute l’accusation contre Dragone étaient non seulement faux, mais que ni le juge d’instruction ni les enquêteurs n’avaient même essayé de comprendre de quoi il s’agissait.

Le problème n’est pas seulement que, comme c’est souvent le cas, on a mis en cause des innocents. Notre système judiciaire aura au moins eu le mérite de le constater et ce n’est pas partout comme cela. Mais c’est aussi qu’une partie importante de la presse a fait de cet innocent un coupable avant même qu’il soit jugé. En le présentant systématiquement comme tel, en portant des accusations injustifiées, en faisant de lui, aux yeux de l’opinion, un coupable évident, simplement parce que c’est un homme connu…

Il disait, paraît-il, qu’on avait consacré beaucoup plus d’énergie à parler de ces accusations, aujourd’hui reconnues non fondées, qu’à parler de ses réalisations et de son oeuvre qui a fait rêver des millions de personnes. Des accusations portées et reproduites à la légère ont fait de lui une victime. Ceux qui, entre autres choses, ignoraient qu’on peut être cité dans les Panama Papers sans avoir fait quoi que ce soit d’illégal ont ruiné la réputation d’un homme et d’une entreprise.

Nous savons tous que ce n’est pas un exemple isolé mais une conséquence des défauts d’un système. Il faudrait réfléchir, à présent, à la manière d’éviter que cela se reproduise. Du point de vue judiciaire, il ne faut pas accabler les hommes. C’est le système qui est mauvais : il n’est pas normal que les enquêtes soient menées par un juge d’instruction, sans contradiction réelle, comme sous l’Inquisition. Même s’il existe d’excellents juges d’instruction, ce système, abandonné dans de nombreux pays, n’est pas équitable et est la source de nombreuses injustices que des jugements ultérieurs, rendus, eux, contradictoirement, n’arrivent jamais à réparer vraiment.

Il faut aussi s’interroger sur le rôle de la presse. La liberté de la presse est essentielle mais il n’est pas normal qu’elle puisse rendre ses jugements avant que la justice le fasse. En Angleterre et en Suisse, on ne permet en principe jamais de citer le nom des personnes accusées, et donc présumées innocentes, avant qu’elles ne soient jugées.

Ici, on cherche souvent le scoop au mépris de la réputation d’individus injustement mis en cause. Inutile de dire qu’ à côté des pages entières consacrées à Dragone lorsqu’il était accusé, les modestes entrefilets qui ont annoncé son non-lieu posthume apparaissent comme dérisoires. Pour certains, un innocent n’est pas une nouvelle.

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