“La Vivaldi est un échec, mais tout n’est pas de leur faute”
François De Smet salue la gestion du covid, mais regrette le manque de réformes ambitieuses. “C’est un assemblement de sept partis extrêmement différents et leurs ambitions se heurtent constamment à cette réalité.”
A une année des élections, le président de DéFi, dans l’opposition fédérale, dresse le bilan de la majorité. Il appelle à un front commun démocratique contre la N-VA à l’issue du scrutin de 2024.
– TRENDS-TENDANCES. Quel est votre sentiment au sujet de ces quatre années de Vivaldi?
FRANÇOIS DE SMET. C’est globalement un échec, même si tout n’est pas de leur faute. Il faut être nuancé. Je rappelle que nous avions voté la confiance à la Vivaldi en octobre 2020. Nous étions entre deux vagues du covid et c’était la solution que nous prônions depuis le début: un gouvernement arc-en-ciel (socialistes, libéraux et écologistes) sans la N-VA et élargi. En l’occurrence ce fut au CD&V. Dans la gestion du covid, il y a eu des réussites, dont la campagne de vaccination, mais il y a eu aussi des errements démocratiques avec la loi pandémie et la privation de pouvoir du Parlement. Pendant la première phase de la pandémie, sous Sophie Wilmès, tout le monde comprenait qu’il fallait supprimer des libertés et fermer des activités économiques. Lors de la deuxième phase, sous la Vivaldi, la question de l’équilibre entre les dégâts collatéraux économiques par rapport au danger se posait réellement. Cela a donné lieu à une gestion assez erratique par le Comité de concertation. Faut-il rappeler la fermeture de la culture à Noël, à contre-courant et suspendue par le Conseil d’Etat?
– Cette phase “défensive”, où le gouvernement a dû gérer la crise et protéger l’économie, n’était-elle pas la meilleure période de la Vivaldi?
Effectivement. Dès que le covid a baissé d’intensité, les questions socioéconomiques sont revenues à l’avant-plan et nous avons pu constater le vice de construction initial de cette Vivaldi. C’est un assemblement de sept partis extrêmement différents et leurs ambitions de réformes structurelles se heurtent constamment à cette réalité. Ce n’est pas tout à fait leur faute parce que s’ils sont sept, c’est à cause du poids des partis extrémistes. C’est le message qu’il faut arriver à porter avant les élections: si vous voulez des choix plus clivés sur le plan socioéconomique, il faut faire en sorte que le Vlaams Belang, la N-VA – même si c’est un cas particulier – et le PTB ne pèsent plus autant. Ces partis immobilisent une série de sièges et forcent tous les autres à s’allier, ce qui rend difficiles des réformes porteuses. Cela frustre les électeurs en retour et cela dope les partis extrémistes. C’est un cercle vicieux très inquiétant. L’autre vice de construction, c’est la personnalité du Premier ministre: on n’a pas choisi l’homme fort d’un des grands partis comme c’était le cas du temps des Dehaene ou Verhofstadt – , mais le plus petit dénominateur commun. Il a un rôle de notaire, il ne se passe pas un jour sans qu’un président de parti n’apporte la contradiction au Premier ministre. Cela fragilise la Vivaldi. Après les petites réformes sociales “faciles” du début – qui est contre l’augmentation du congé de maternité ou de la pension minimum? – , on n’a pratiquement plus rien vu.
Ce que l’on devrait au moins exiger des partis politiques, au moment d’entrer en campagne, c’est de montrer comment on finance chaque proposition que l’on fait.
– La législature a changé de nature avec la crise de l’énergie et la guerre en Ukraine…
Le monde a changé, c’est vrai, mais la guerre en Ukraine est surtout un révélateur. Nous avions viré notre cuti sur le nucléaire avant cela – et le MR aussi, il faut être honnête. Cette législature est celle au cours de laquelle les Européens se sont rendu compte de leur hyper-dépendance sur le plan énergétique. Il sera difficile de se passer des énergies fossiles tout en renonçant au nucléaire.
Notre gouvernement a globalement bien protégé le portefeuille des Belges lors de cette crise, mais je garde une réelle frustration sur le fait que les mesures n’étaient pas assez ciblées. On a donné des primes de 100 ou 200 euros à tout le monde, y compris à Marc Coucke ou à la famille royale. La vraie question, c’est toutefois de savoir comment on va réguler le marché de l’électricité ou comment l’Europe peut se rendre moins dépendante. Cela passe par le renouvelable et par le nucléaire, où nous ne sommes nulle part parce qu’Ecolo fait un blocage idéologique . Mais cela passe aussi – il faut oser pouvoir le dire , ce que le MR ne fait pas – par une modération énergétique. Plaider pour un monde qui consomme moins, c’est difficile à faire passer comme message politique, mais c’est inéluctable.
– Notre situation budgétaire vous préoccupe-t-elle?
Oui, et un exemple illustre à quel point l’action de la Vivaldi a un coût sonnant et trébuchant: les taux d’intérêt remontent très fort mais, faute d’une réforme des pensions satisfaisante pour l’Europe, la Belgique doit emprunter pour financer son plan de relance. On parle de 400 millions d’euros, environ. Nous avons par ailleurs des charges de dette d’environ 10 milliards par an: cela représente trois fois les départements régaliens, justice et police. On ne peut pas rester avec des déficits pareils. Et je n’oublie pas les entités francophones: on parle pour 2025 d’une projection de 50 milliards! Cela fait de nous des oiseaux pour le chat sur le plan communautaire. Ce que l’on devrait au moins exiger des partis politiques, au moment d’entrer en campagne, c’est de montrer comment on finance chaque proposition que l’on fait. Nous devons être courageux.
– La Vivaldi est née avec un “projet positif pour la Belgique” face au nationalisme flamand. C’est le moment de rendre des comptes, mais les enjeux semblent les mêmes qu’en 2019, non?
Le grand particularisme des campagnes électorales depuis 10 ou 15 ans, c’est qu’elles sont toujours paralysées par la même question: avec ou sans la N-VA? Nous, nous refusons de gouverner avec ce parti. La N-VA est une auberge espagnole avec des libéraux et des conservateurs qui sont respectables, mais aussi avec des gens de droite extrême qui sont en collusion avec le Vlaams Belang. Cette porosité est trop forte et l’ensemble ne tient qu’en raison de la personnalité de Bart De Wever. Lorsqu’elle était au pouvoir fédéral, la N-VA a démontré qu’elle représentait un danger de l’intérieur: une des difficultés de la Vivaldi, soyons honnête, c’est qu’elle éponge encore les dégâts de la Suédoise dans certains dossiers: la N-VA a désinvesti dans la police et la justice, détricoté la politique scientifique… La N-VA au pouvoir fédéral, c’est le loup dans la bergerie. J’invite d’ailleurs tous les partis à être clairs: si l’on exclut d’emblée la N-VA du jeu, on pose l’enjeu de façon plus claire. Nous, tout dépendra de notre poids, mais nous sommes ouverts à toute formule hors N-VA. Si nous arrivons avec trois, quatre ou cinq députés à la Chambre, cela changera tout dans un paysage émietté. Si c’est pour réparer l’Etat, nous serons présents! Le point commun entre le covid, la crise énergétique et les problèmes de la justice, c’est l’affaiblissement de l’Etat. Je suis un libéral philosophiquement, je ne suis pas devenu du jour au lendemain partisan d’un autoritarisme et d’un Etat fort, mais il est temps de réparer ce dernier. Il faut réinvestir dans les missions régaliennes. On sait aussi que la lutte contre la grande criminalité financière est un endroit où trouver de l’argent.
– Et le monde de l’entreprise, le soutient-on assez?
Non et c’est fondamental. Nous avons axé notre programme socioéconomique pour 2024 sur la valorisation de l’esprit d’entreprendre parce que, très honnêtement, c’est ce qui manque en Wallonie et à Bruxelles. Nous n’atteindrons pas le taux d’emploi de 80% en 2030 sans plus d’emplois privé et d’indépendants. Une révolution culturelle s’impose.
L'avenir de la Belgique se joue en 2024
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