Et Charleroi devint une ville universitaire…

Campus d’UCharleroi "Ce n’est pas une tête de gondole ou un produit d’appel." © Belga
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

D’importantes rénovations permettent désormais à l’ULB, à l’UMons et à la haute école Condorcet d’organiser des formations sur un seul et même campus au centre de Charleroi. Les acteurs sont formels: ceci n’est pas du saupoudrage!

Bachelier en chimie, en construction ou en électromécanique, master en ingénieur civil, en gestion, en sciences de l’éducation et même en jeu vidéo, l’offre d’enseignement supérieur est conséquente à Charleroi. Quelque 2.500 étudiants y sont inscrits et l’ambition est d’atteindre les 10.000 étudiants dans moins de 10 ans.

“Ce n’est pas une tête de gondole ou un produit d’appel mais une offre de formations élaborée, de vrais cursus accessibles à tous les étudiants”, insiste Philippe Mettens, président de l’UMons, l’un des principaux partenaires du campus universitaire carolo. Plus que jamais, Charleroi semble résolue à abandonner son étiquette de seule ville européenne de plus de 200.000 habitants à ne pas abriter une université. A l’heure des enveloppes fermées et des budgets étriqués, est-ce toutefois bien raisonnable?

Plusieurs éléments plaident en faveur du nouveau campus. D’abord le fait qu’il n’est pas soudainement créé de toutes pièces. L’UMons (qui à l’origine s’appelait l’université Mons-Hainaut) propose des cycles complets, y compris en sciences de l’ingénieur, depuis plus de 40 ans, l’ULB y est active depuis 2018 et la haute école Condorcet y est également implantée. Ces offres de formation sont désormais rassemblées dans un quartier de la ville haute et dans des bâtiments rénovés grâce à des financements européens. “On réaménage, on rénove, on recentre des choses qui existaient, explique Laurent Despy, administrateur de l’ARES, la coupole de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est une dynamique de développement d’une ville, à travers l’organisation d’un campus de type universitaire. Mais aucune demande spécifique d’habilitation de nouvelle filière n’a été introduite. Il y a de toute façon un moratoire sur les nouvelles habilitations.”

Samuel Saelens (UWE)
Samuel Saelens (UWE) © photos: belgaimge

Ce sera positif pour la Wallonie, la Région a besoin des grands moteurs urbains que sont Liège et Charleroi.” Samuel Saelens (UWE)

Cette réorganisation doit rendre plus attractive l’offre d’enseignement supérieur, et plus largement la vie dans la cité, grâce à l’animation, aux services et aux manifestations culturelles du campus. L’un des défis de Charleroi est en effet de convaincre les jeunes diplômés actifs sur le Biopark et ailleurs de s’installer en ville (et donc d’y payer leurs impôts! ) plutôt que dans les campagnes aux alentours. “Ce serait positif pour la Wallonie: la Région a besoin des grands moteurs urbains que sont Liège et Charleroi”, souligne Samuel Saelens, directeur du pôle Compétences à l’Union wallonne des entreprises (UWE). Il salue également le fait que la plupart des formations proposées sont en lien direct avec un tissu économique local basé sur l’industrie et les biotechnologies. Signalons que dans le même esprit, l’ULiège songe aussi à ramener en ville certaines facultés (droit, sciences humaines et sociales). HEC et la faculté d’architecture sont déjà présentes dans le centre. “Participer à la vie économique et culturelle de la ville, c’est l’un des rôles d’une université d’Etat”, résume la rectrice de l’ULiège Anne-Sophie Nyssen.

Plus de diplômés à Gerpinnes qu’à Charleroi

Un autre argument souvent évoqué pour renforcer l’offre d’enseignement supérieur est le faible taux de “diplômation” des Carolos. Selon les données de Statbel, 29% des Belges de plus de 25 ans sont diplômés du supérieur mais seulement 15,5% des habitants de Charleroi. Ce chiffre s’explique cependant plus par des considérations socioéconomiques que par l’absence d’une université sur place: les riches communes limitrophes de Gerpinnes, Ham-sur-Heure ou Montigny-le-Tilleul affichent en effet des taux de diplômation entre 35 et 40%. Et à l’inverse, Seraing, Grâce-Hollogne et Saint-Nicolas, voisines immédiates de Liège et de son université d’Etat, ont des taux d’une quinzaine de pour cent. “Les facteurs sociaux et géographiques se renforcent, estime Michel Coulon, responsable de l’ULB-Charleroi. Notre offre de proximité est décisive pour ces publics qui pensent encore que l’université, ce n’est pas pour eux.”

La présence sur le même campus de la haute école Condorcet (10.000 inscrits sur l’ensemble de la province de Hainaut) peut contribuer à convaincre ce public de faire le pas et, le cas échéant, d’utiliser les passerelles vers l’université. “Cette articulation originale entre haute école et université aidera à montrer aux jeunes Carolos que ce plafond de verre n’est pas absolu, que l’enseignement supérieur, c’est aussi pour eux, renchérit Philippe Mettens (UMons). La proximité est un élément clé si nous voulons jouer notre rôle de formation, et je dirais même d’émancipation de la jeunesse hainuyère.” Pour illustrer ce besoin de proximité, il prend l’exemple du bachelier en sciences pharmaceutiques de l’UMons: les inscriptions ont explosé depuis que Mons organise aussi le master et que les étudiants ont la possibilité d’envisager la totalité de leur cursus dans une même ville.

Anne-Sophie Nyssen (ULiège)
Anne-Sophie Nyssen (ULiège) © photos: belgaimge

Nous devons mener une réflexion sur le maillage de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles.” Anne-Sophie Nyssen (ULiège)

L’imbrication ne se limite pas aux universités et hautes écoles. Le campus universitaire de Charleroi accueille en effet aussi l’Institut supérieur industriel de promotion sociale (formations à horaire décalé). Et demain, une Cité des Métiers modernisée y sera implantée. “La présence sur le campus va revaloriser l’image de ces métiers techniques, se réjouit Michel Coulon (ULB). N’oublions pas que cela donne accès au supérieur, par exemple aux filières d’ingénieur industriel ou civil présentes à Charleroi.” Le risque de ces belles intentions étant de finir par noyer les universités dans ce grand ensemble. “Nous avons tous des collaborations avec les hautes écoles mais il ne faut pas brouiller le message, souligne ainsi Anne-Sophie Nyssen (ULiège). L’enseignement universitaire est basé sur la recherche, c’est sa force, son ADN. C’est très bien de valoriser les formations techniques mais l’université doit conserver ses spécificités.” Le campus de Charleroi devrait accueillir un centre de recherche en efficacité énergétique.

Plus d’étudiants à Charleroi, moins ailleurs?

L’intérêt pour Charleroi, c’est une chose. L’intérêt pour la Wallonie et la Fédération Wallonie- Bruxelles en est peut-être une autre. Si Charleroi accueille 7.500 étudiants de plus dans quelques années, cela pourrait être au détriment des autres campus. “Quand nous avons organisé une offre conjointe avec l’UMons à Charleroi en ingénieur, il n’y a pas eu moins d’inscriptions ailleurs, nuance Michel Coulon. Et pourtant, c’est une filière avec examen d’entrée. La proximité permet vraiment d’accueillir de nouveaux étudiants. Il y a un effet démographique et, en outre, le taux de réussite est très bon. Les auditoires sont plus petits et nous développons des innovations pédagogiques afin de briser une certaine reproduction sociale.” A Louvain-La-Neuve et à Namur, deux sites proches de Charleroi, on ne semble pas craindre non plus de “concurrence”. Au contraire: les deux universités prévoient de venir y organiser des formations à partir de 2025 ou 2026. Elles ne seront pas directement installées sur le campus mais à quelques centaines de mètres, juste de l’autre côté du rond-point dit “du Marsupilami”, sur le site du Grand hôpital de Charleroi. Un lieu a priori idéal pour y former de futurs ingénieurs spécialisés dans les medtechs. Des filières de droit et d’informatique (notamment l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la santé) sont également envisagées.

“Je ne peux que me réjouir de la croissance de l’offre universitaire en Hainaut, concède la rectrice de l’ULiège Anne-Sophie Nyssen. Nous avons été sollicités dans ce cadre mais mon prédécesseur n’a pas répondu favorablement. Ne serait-ce que pour une question de distance, cela peut parfaitement se comprendre.” La rectrice assure que les portes sont ouvertes pour d’éventuelles collaborations mais invite à intégrer cela dans une réflexion sur le maillage de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie- Bruxelles afin de concilier contraintes budgétaires et besoins de proximité. “On ne va pas mettre en place des formations universitaires dans chaque ville, dit Anne-Sophie Nyssen. La question du maillage relève pour moi du choix politique, en fonction d’une série de paramètres, dont bien entendu la distance géographique.” Le conseil des recteurs francophones réclame un refinancement des universités. Depuis 2006, le nombre d’étudiants a augmenté de 63%, contre seulement 18% pour les allocations de fonctionnement (à prix constants). Un rattrapage a été amorcé durant la législature en cours et il faudrait le poursuivre si l’on veut que plus de jeunes accèdent à l’université, à Charleroi ou ailleurs, et se préparent ainsi aux métiers de demain.

Philippe Destatte (Institut Destrée)
Philippe Destatte (Institut Destrée) © photos: belgaimge

Nous voyons peut-être à Charleroi les premiers pas de cette Université de Wallonie.” Philippe Destatte (Institut Destrée)

Oublié, le Wallonia Institute of Technology?

Dans sa réflexion Odyssée 2068, l’UWE avait suggéré la mise en place progressive d’un Wallonia Institute of Technology qui unifierait toutes les forces de recherche en Wallonie. Le président de l’Institut Jules Destrée, Philippe Destatte, rêve, lui, d’une “université de Wallonie”, dans cette même optique de recherche d’une masse critique afin de mieux viser l’excellence et l’effet d’entraînement. En créant un campus supplémentaire à Charleroi, à quelques dizaines de kilomètres de ceux de Mons, Namur et Louvain-la-Neuve, ne verse-t-on pas dans une logique de saupoudrage plus que de rationalisation des moyens? “Cela pouvait effectivement être une occasion d’entrer dans la logique de l’université de Wallonie, répond Philippe Destatte. Mais le moment de la bifurcation n’était pas venu, ce sera pour 2024 ou plus sûrement 2029. Il n’empêche nous voyons peut-être à Charleroi les premiers pas de cette université. Rénover tous ces bâtiments, ce n’était pas du luxe. Tout cela ira dans le panier de la mariée de l’université de Wallonie, si on veut la créer un jour, comme d’ailleurs toutes les initiatives extrêmement importantes prises pour le Biotech Campus.”

Pour la petite histoire, Philippe Destatte avait déjà abordé cette idée de “pôle des savoirs”, associant plusieurs universités et hautes écoles pour former un véritable campus interuniversitaire dans un travail prospectif sur l’avenir de Charleroi mené en 2004 pour le bourgmestre Jacques Van Gompel. Cette université de Wallonie, il ne l’envisage pas sur un site unique mais bien à travers une gestion concertée par l’ensemble des recteurs, auxquels il suggère d’associer “des entrepreneurs à dimension internationale pour sortir du poto-poto wallon”.

“Quand nous plaidons pour un Wallonia Institute of Technology, nous ne plaidons pas forcément pour un regroupement physique des organismes, conclut Samuel Saelens (UWE). Ce qui est crucial, c’est de créer des synergies, des ponts, des coordinations entre les acteurs. C’est, me semble-t-il, ce que l’on essaie de faire à Charleroi.”

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