Eric Dor: “Bruxelles craint la concurrence d’un Royaume-Uni dérégulé”


Comme l’explique Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management de Paris et Lille, l’Union européenne a peur d’une possible concurrence déloyale des Britanniques suite au Brexit.
Le Brexit est officiellement prononcé. Mais qu’est-ce qui est certain dès aujourd’hui ?
Depuis le 1er février dernier, le Royaume-Uni ne participe plus à la gouvernance de l’Union. Il est néanmoins tenu d’appliquer les règles européennes jusqu’à la fin de l’année. Cela veut dire qu’en pratique, quasiment rien ne change. Les produits britanniques peuvent toujours circuler librement au sein de l’UE et vice-versa. Nous pouvons toujours exporter la Leffe outre-Manche et le whisky écossais peut continuer d’entrer librement dans tous les pays européens. C’est également vrai pour les services : les banques anglaises bénéficient toujours du passeport européen qui leur permet de vendre leurs services à des clients européens sans avoir besoin d’une filiale pour le faire.
Qu’est-ce qui est probable demain : quel accord serait possible ?
C’est la grande question : que va négocier le Royaume-Uni ? Certaines choses ont déjà été réglées dans l’accord de retrait, notamment le fait que les Européens qui résident au Royaume-Uni vont pouvoir continuer à y habiter et à y travailler. A l’inverse, les Britanniques qui résident et travaillent dans l’Union vont, eux aussi, pouvoir conserver leurs droits. Après, les Britanniques font face à un grand dilemme : s’aligner sur les normes européennes et garder un accès au marché unique ou retrouver leur souveraineté pour commercer comme ils l’entendent avec le reste du monde. Et cela, en appliquant leurs propres quotas et tarifs douaniers aux pays tiers. Il est, par exemple, interdit d’importer en Europe du poulet désinfecté au chlore en provenance des Etats-Unis, ce que Donald Trump considère comme du protectionnisme déguisé. Que vont faire les Britanniques : vont-ils se départir de ce genre de normes sanitaires pour faciliter la négociation d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis ou bien vont-ils réduire la chance d’avoir un accord avec les Américains en s’alignant sur les normes européennes ? L’accès au marché européen sera proportionnel à cet alignement. La question pour les Britanniques est donc de savoir si des accords de libre-échange avec les Etats-Unis et le reste du monde compenseront le Brexit.
Le Royaume-Uni pourrait-il devenir une sorte de paradis du business à la Singapour ?
C’est ce contre quoi l’Union européenne veut se prémunir : un ” Singapour-sur- Tamise “, une sorte de grand paradis du business dérégulé aux portes de l’Union. Bruxelles craint en effet une concurrence déloyale du Royaume-Uni qui serait fondée sur une moindre régulation environnementale, sociale et en matière d’aides d’Etat. Les Britanniques voudraient un accord du style CETA que l’Union a négocié avec le Canada et qui se limite essentiellement aux biens. Mais les Européens n’en veulent pas. Londres est en effet beaucoup plus proche géographiquement que Montréal. Le risque de délocalisation est beaucoup plus fort. A la surprise générale, les 27 sont jusqu’ici restés très unis sur ce front-là. Il faudra voir si cette attitude ferme va continuer, mais aussi si l’attidue bravache de Boris Johnson est tenable à long terme.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici