Coup d’œil
 dans le rétro de David Clarinval (MR) : “J’ai empêché des dizaines d’horreurs qui étaient sur la table du gouvernement”

David Clarinval (MR)
Baptiste Lambert

David Clarinval (MR) aura eu fort à faire sous cette législature. Une législature marquée par plusieurs années de crise qui ont mis à mal le tissu économique belge. Souvent esseulé, au sein du kern, où il est devenu ­­vice-Premier ministre, le libéral, met autant en avant les “100 mesures concrètes” qu’il a fait passer pour ses secteurs, que les propositions de la gauche auxquelles il dit avoir résisté. Si on y ajoute son portefeuille de l’Agriculture, le libéral n’aura pas chômé. Reconnaissons-le.

Nous rencontrons David Clarinval au sixième étage d’un vaste bâtiment, situé rue des Petits Carmes, non loin de la place Royale, qu’il partage avec ses collègues de parti, Hadja Lahbib et Mathieu Michel. La vue sur Bruxelles y est imprenable, même si le bourgmestre empêché de Bièvre aime nous faire remarquer les quelques récompenses qui trônent au bord de ses fenêtres. Des récompenses qu’il a reçues pour son action menée au sein du gouvernement, comme la “Brique d’or” de la Bouwunie, la fédération flamande des PME de la construction.

Le libéral est visiblement très fier de ses réalisations, qu’il qualifie parfois d’historiques. Ce qui est vrai, c’est qu’il n’a pas démérité. Car au contraire de la coalition wallonne PS-MR-Ecolo, la coalition fédérale, composée des mêmes familles politiques, en plus du cd&v, n’a jamais connu la même sérénité. Coincé entre un président de parti, adepte de la particip’-opposition, et un Premier ministre libéral, qui devait faire sonner coûte que coûte la partition Vivaldi, David Clarinval a joué le rôle de conciliateur, au sein d’un gouvernement qui penchait, selon lui, fortement à gauche.

TRENDS-TENDANCES. Est-ce que les indépendants ont la vie plus facile qu’il y a cinq ans ?

DAVID CLARINVAL. Tout d’abord, ce gouvernement a dû traverser quatre crises : la crise sanitaire, les inondations, la crise ukrainienne et la crise agricole. Ces quatre crises ont éreinté les indépendants et les PME. Que ce soit par l’explosion des coûts énergétiques, des coûts salariaux, ou, à Liège, des coûts liés aux inondations. Leur situation économique s’est dégradée.

Mais clairement, le statut social des indépendants est meilleur qu’il y a cinq ans. D’abord via le droit passerelle. Sa réforme restera dans l’histoire. On l’a élargi, on l’a parfois doublé, pour arriver à un nouveau droit en période de crise. Lors de ces crises inédites et majeures, on a pu leur offrir des bouées de sauvetage, rapidement. On parle de millions de droits passerelles accordés pour des centaines de milliers d’indépendants (ndlr : près de 3 millions en tout), ce n’est pas rien.

Ensuite, on a développé ce droit passerelle hors crise, ce qui est nouveau. Quand un indépendant fait faillite, il peut prétendre à ce droit, qui est une forme de droit au chômage pour les indépendants, même si le terme est critiqué.

La réforme des pensions a-t-elle été favorable aux indépendants ?

On a atteint la pension minimum à 1.773 euros nets aujourd’hui pour une carrière complète. Début 2020, on était à 1.291 euros pour un isolé. Il y a également eu la suppression du coefficient de correction et les indexations classiques. C’est majeur.

Le PS est le parti qui protège les chômeurs. Ce n’est plus le parti qui protège les ­travailleurs.

On reste encore loin d’une harmonisation des statuts…

On est tout de même parvenu à empêcher toutes les attaques fiscales de la gauche concernant le deuxième pilier des pensions, alors qu’ils se montraient très créatifs, croyez-moi. On n’a pas touché non plus aux cotisations : elles n’ont pas été augmentées d’un euro. Tous les mois, les partis de gauche me demandaient de déplafonner les cotations sociales.

© PG


Et puis il ne faut pas oublier, et Karine Lalieux (PS) l’a même reconnu, ce sont les indépendants qui bénéficieront le plus du bonus pension, parce que ce sont ceux qui ont l’habitude de travailler plus longtemps. Le travail effectif pour bénéficier de la pension minimum a aussi été rallongé à 20 ans, mais pour les indépendants, ça ne pose aucun souci.

Certains chiffres sont malgré tout préoccupants : le nombre de burn-out a explosé chez les indépendants…

Là aussi, nous avons pris les devants. J’ai mis en place un plan fédéral pour le bien-être mental des indépendants. Une subvention spécifique sera versée annuellement aux caisses d’assurance sociale pour financer la prévention contre les burn-out et le stress, et pour apporter des solutions. C’est une autre amélioration historique du statut social de l’indépendant.

Pour stimuler l’entrepreneuriat, tous les partis francophones pourraient se retrouver sur une idée : le droit à la démission. Vous êtes d’accord ?

Oui, ça pourrait être mis en place durant la prochaine législature. Mais attention, il y a plusieurs droits à la démission. Celui du MR accorde ce droit, à condition d’avoir travaillé pendant 20 ans. Ce n’est pas la proposition de tous mes collègues. Certains partis accordent le droit à la démission trois fois. C’est plutôt le droit du kangourou. Ce n’est pas notre vision des choses.

Mais le vrai problème, c’est le coût des licenciements. Quand un entrepreneur doit licencier, il doit payer un préavis. Dans mon entreprise, j’ai dû licencier un jour un employé. Cela m’a coûté plus de 100.000 euros. Cette personne n’attendait plus que ça. Ça ne va pas. Donc le droit à la démission est un service autant pour les entreprises que pour le travailleur. Ça peut être positif pour tout le monde, mais il faut avoir travaillé un minimum.

Vous avez été vice-Premier ministre au sein du kern, quel a été votre combat le plus féroce ?

Sans hésiter, la réforme fiscale. Je voulais une réforme fiscale qui diminue les impôts pour les gens qui travaillent. Les fonctionnaires, les salariés et les indépendants. Mais malheureusement, la réforme fiscale qui a été proposée était un “tax shift” : je déshabille Paul pour habiller Jacques. Il n’y avait pas une ligne sur les indépendants. Ils voulaient taxer le diesel professionnel, augmenter la TVA sur les produits de consommation, augmenter le précompte pour les chercheurs en faisant fuir les entreprises innovantes de notre pays. Ce n’était pas une réforme fiscale, mais un cimetière. Un cimetière économique. Nous, on voulait diminuer les impôts.

Justement, comment financer ces baisses d’impôt ? Le Bureau du Plan n’a pas vraiment trouvé comment faire dans les 30 priorités du MR.

Nous, on ne finance pas l’Etat en taxant plus. On est dans le pays le plus taxé de l’OCDE. On veut diminuer les dépenses, mais le Bureau du Plan n’est pas parvenu à chiffrer nos mesures.

En sabrant dans les services publics ?

On veut simplement diminuer la croissance des dépenses. Qu’elle soit un peu inférieure à ce qui était prévu initialement. Aujourd’hui, on a des normes de croissance qui sont supérieures à l’indexation des dépenses. On estime que la norme de croissance pourrait augmenter moins vite, en fonction des besoins réels. Un spending review. Le Bureau du Plan a rejeté notre proposition. Et comme nous ne proposons aucune nouvelle taxe, il annonce un déséquilibre budgétaire pour notre programme, mais ce n’est pas vrai. Sans compter les effets retour du taux d’emploi, qui n’ont pas été calculés correctement.

Pour en revenir au kern, votre président de parti ne vous a pas toujours rendu la vie facile. C’était souvent tendu avec les socialistes et les écologistes.

Ça n’était pas simple parce que j’étais issu du seul parti de centre droit dans ce gouvernement. Les deux partis socialistes et écologistes étaient à gauche toute. Malheureusement, le cd&v et l’Open Vld ont souvent penché à gauche, pour des raisons qui leur étaient propres. Dans le chef de l’Open Vld, la position du Premier ministre l’obligeait à tendre vers un compromis. Donc j’étais souvent seul, mais je suis très fier de mon bilan. J’ai pu accomplir 100 mesures en faveur de mes secteurs : les PME et les indépendants. En plus, j’ai empêché des dizaines d’horreurs qui étaient sur la table du gouvernement. Des attaques contre tous les secteurs entrepreneuriaux. Par exemple, lors de chaque conclave, la gauche a tenté de supprimer la mesure “zéro coti” pour le premier emploi d’une PME. Ils estimaient que c’étaient des cadeaux faits aux entreprises. C’était un combat de tous les instants.

Le “Jobs deal” ne vous a pas satisfait ?

Le “Jobs deal” était un pas dans le bon sens, mais il est insuffisant. On a bien vu que le PS est le parti qui protège les chômeurs. Ce n’est plus le parti qui protège les travailleurs. Ça m’a marqué durant ces dernières années. C’est un constat. On l’a vu avec le “Jobs deal”. Prenons un exemple : les flexi-jobs dans l’horeca. Aujourd’hui, ce secteur conteste la réforme de Pierre-Yves Dermagne (PS). En fait, on a voulu élargir les flexi-jobs à d’autres secteurs. Parce que c’est une demande et un réel succès qui permet de faire face à des pénuries. Mais Dermagne a amputé une partie de la flexibilité dans l’horeca. Aujourd’hui, le “Jobs deal” signifie pour eux des pertes d’emplois.

Dans les faits, les bons chiffres du taux d’emploi sont surtout le fruit des départs à la pension des babyboomeurs. Le Jobs deal doit aller plus loin. Il faut rendre le travail plus rémunérateur par une réforme fiscale qui diminue les cotisations. On doit aussi contraindre les travailleurs qui n’ont toujours pas trouvé d’emploi après deux ans, alors qu’il y a 200.000 emplois vacants dans notre pays. Un chômeur qui travaille, c’est 28.000 euros pour la sécurité sociale. C’est comme ça qu’on équilibre la sécu.

Même chose pour les malades de longue durée. Il faut une politique plus contraignante. Les préavis coûtent trop cher, et on voit grossir le nombre de malades de longue durée. Il y a trop de certificats de complaisance qui permettent à des travailleurs de prolonger la durée de leur maladie.

J’ai empêché des dizaines ­d’horreurs qui étaient sur la table du gouvernement. Des attaques contre tous les secteurs ­entrepreneuriaux.

Il y a tout de même 500.000 malades de longue durée…

Oui, attention, il y a de vrais malades. Mais je peux vous assurer que dans certaines situations, il y a des personnes qui sont trop facilement à charge de la sécurité sociale. On doit avoir une politique plus dynamique en termes de réactivation.

En Wallonie, on voit qu’on a beaucoup d’emplois publics. L’emploi privé fait défaut. Récemment, la venue du Puy du Fou a été remise en cause par Thomas Dermine (PS). Willy Borsus a parlé “d’électoralisme à deux sous”.

Je soutiens totalement Willy Borsus. Comment peut-on se priver d’investisseurs étrangers à notre époque ? Ils veulent créer de l’activité en Wallonie. Je me suis rendu au Puy-du-Fou avec mes enfants et c’était magnifique. Je suis un passionné d’Histoire et je connais bien l’histoire de la Vendée et surtout de la Révolution française. Je connais les critiques ridicules de la gauche qui qualifient le parc d’extrême droite. Vous savez que pendant la guerre, Walt Disney n’a pas toujours eu un comportement adéquat. Est-ce qu’on va empêcher Disneyland d’investir en Wallonie ? Allez, c’est une blague ? En attendant, la région des lacs de l’Eau d’Heure aurait eu bien besoin d’emplois. Et ce ne sera pas le cas. Ce dossier est le symbole de la gauche au pouvoir. Regardez les communes socialistes. Regardez la situation dans laquelle elles sont.

Revenons maintenant sur cette crise agricole. Vous avez été en première ligne. La réforme de la PAC n’est-elle pas une forme de pause environnementale ?

J’ai plaidé pour le retour du bon sens. On impose des contraintes environnementales très strictes à nos agriculteurs. C’est bien. Je suis en faveur d’une nourriture la plus propre et la plus durable possible. Mais on doit veiller à ce qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale. Si l’on empêche l’utilisation des hormones, des pesticides et des antibiotiques, les coûts de production sont évidemment supérieurs. Mais de l’autre côté, on va importer de la viande argentine issue de terres déboisées et du poulet égyptien. On crée ainsi des conditions de prix totalement déloyales. Donc, on va poser des clauses miroirs dans tous les accords de libre-échange pour les produits ­agricoles.

La Belgique a-t-elle assez de poids pour l’imposer ?

La France est sur cette ligne-là aussi. Il faut travailler comme on l’a fait avec le commissaire européen Janusz Wojciechowski. Nous avons réussi, à deux, à réformer la politique agricole commune en deux mois. J’en suis très fier. Même le ministre espagnol de l’Agriculture m’a dit : “David, dans l’histoire de la PAC, on se demandera ce qu’il s’est passé en avril 2024”. Bien sûr, on a eu le soutien d’Ursula von der Leyen et des autres Etats membres, et la pression des agriculteurs a joué un grand rôle. Finalement, seuls les Allemands se sont abstenus.

La réforme de la PAC n’est pas une pause environnementale. On considère seulement les agriculteurs comme des acteurs responsables à qui l’on peut faire confiance, pas comme des enfants que l’on veut punir. On récompense, on incite, on finance ceux qui fournissent des efforts dans le bon sens. On arrête cette écologie punitive.

On ne finance pas l’Etat en taxant plus. On est dans le pays le plus taxé de l’OCDE.

Quelle cote donneriez-vous au gouvernement fédéral ?

Je suis d’un naturel optimiste. Donc je vois la bouteille à moitié pleine. Et quand je vois ce qu’on a fait, seul contre tous, on l’a bien fait. Sans nous, c’était un gouvernement de gauche radicale. Je donnerais donc 6 sur 10 à la Vivaldi.

Et vous, personnellement ?

C’est difficile de se coter. Mais je vais me mettre 7 sur 10. En général, ce sont les points que j’avais à l’université (rire). On peut toujours faire mieux.

Où vous voyez-vous après les élections ?

Je suis un municipaliste. Je dis toujours : “On ne fait pas le collège avant d’avoir fait son conseil.” Il faut d’abord que les électeurs votent et soutiennent massivement le MR. Je n’ai jamais eu de plan de carrière, mais je peux me voir partout. Si l’on entre dans une coalition et que le président estime que je suis un atout pour le parti et pour le pays, je suis à disposition.

Justement, il y a ce risque d’exclusion du MR, en tout cas au sud du pays. Les Engagés détiennent-ils la clé ?

D’abord, je suis content de voir que Les Engagés ont changé leur état d’esprit. Ils étaient dans un parti de gauche, maintenant, on voit qu’ils sentent le vent tourner. Ils se présentent comme des libéraux. Je me réjouis de voir un autre parti de centre-droit à la table. Mais la crainte que j’ai, c’est que ça ne soit qu’un miroir aux alouettes, on connaît l’historique du parti, où le PSC s’alliait systématiquement avec la gauche. J’ai peur que voter Engagés, ça revienne à voter PS.

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