Comment réveiller l’emploi wallon ?
Le gouvernement wallon a fait sa rentrée. Après plusieurs semaines à constituer les équipes, il doit mettre en œuvre le message-choc envoyé par le MR et Les Engagés. Concernant l’emploi, il est notamment prévu de revoir entièrement le paysage de la formation et de l’insertion professionnelle, dont le ministre Pierre-Yves Jeholet (MR) est responsable.
Rationaliser. S’il est un mot qui symbolise la Déclaration de politique générale (DPR), c’est bien celui-là. Un beau mot sur papier. Un mot-valise, aussi, qui peut se heurter à la complexité de la réalité wallonne. Surtout quand on se penche sur le labyrinthe de la formation et de l’insertion professionnelle en Wallonie. MR et Engagés déclarent vouloir donner un grand coup de balais dans un paysage morcelé et illisible. Il reste à voir comment procéder sans tout jeter par-dessus bord.
Peu de retour sur investissement
En tout cas, le premier constat de la DPR s’appuie sur des chiffres bien réels : “La Wallonie vit une situation paradoxale. Notre région se distingue, par rapport aux autres régions européennes, à la fois par un taux élevé d’emplois vacants (39.000) nous plaçant dans le top 3 au niveau continental avec le taux de postes non pourvus le plus élevé (3,6%), corrélé à un taux d’emploi (66,2% au 1er trimestre 2024) parmi les plus bas d’Europe et toujours éloigné de l’objectif fédéral de 80% fixé pour 2030.”
Et sans doute plus inquiétant : la situation évolue peu. Selon une étude de l’économiste Stijn Baert, publiée la semaine dernière, le taux d’emploi a seulement gagné 2,7% dans le Hainaut (66,1%) entre 2018 et 2023, et 1,4% à Namur (71,8%), pour à peine 0,6% à Liège (66,8%). La province de Luxembourg (73%) a même vu son taux d’emploi se dégrader de 1,8%. Seule la province du Brabant wallon tire son épingle du jeu, avec une progression de 4,1%, pour atteindre les 79,2%, à deux pas de l’objectif fixé.
Pourtant, on ne peut pas dire que le sud du pays n’y met pas les moyens. La Région wallonne consacre un budget de plus de 3 milliards d’euros par an pour ses politiques d’emploi et de formation. Le retour sur investissement n’est pas terrible : entre le 30 juin 2021 et le 30 juin 2022, par exemple, 64.799 emplois ont été créés en Wallonie pour 47.672 perdus. Un solde positif de 17.127 unités. Dans le même laps de temps, la Région wallonne aura dépensé environ 3,7 milliards d’euros dans la colonne budgétaire qui regroupe “entreprises, emploi et recherche”, selon les chiffres de l’Iweps. Le Forem aura lui formé une vingtaine de milliers de personnes.
Le labyrinthe de la formation
La situation du marché de l’emploi en Wallonie ne surprendra personne. On sait depuis longtemps que les postes vacants ne rencontrent pas souvent les compétences des chercheurs d’emploi. Pourtant, en matière d’offres de formations, on sait y faire en Région wallonne.
L’offre est pléthorique. Gargantuesque, même. Au point qu’il devient impossible de s’y retrouver entre les nombreux acteurs de la formation et de l’insertion professionnelle. Toutes les personnes du secteur interrogées le reconnaissent volontiers. Il nous aura fallu plusieurs heures de recherche pour trouver notre chemin.
Par exemple, si je suis demandeur d’emploi en quête de formation, dois-je me diriger vers les centres de formation du Forem, les Maisons de l’emploi, les Centres de compétences, les Centres d’insertion socio-profesionnelle (CISP), les missions régionales pour l’emploi (Mire) ou les Centres IFAPME ? Ou bien dois-je plutôt opter pour les Agences pour l’emploi (ALE), les pôles de compétitivité ou les Structures d’accompagnement à l’autocréation d’emploi (SAACE) ?
Et si je veux par exemple une formation dans le secteur porteur des nouvelles technologies, dois-je me porter vers Technifutur, Technofutur TIC, Technobel ou Technocité ? Dois-je me rendre sur le Technocampus ou bien chez A6K ?
Et il ne s’agit là que d’un échantillon. Le nombre d’acteurs publics et privés qui se partagent le marché de la formation et de l’insertion professionnelle est innombrable en Wallonie. Sans parler de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région bruxelloise. La DPR en fait spécialement mention, estimant que “cette dispersion des ressources est peu efficiente”.
Des acteurs interrogatifs
Pourtant, un cadastre et un diagnostic de la formation en Wallonie existent déjà. En 2022, un Comité de pilotage, composé de 18 représentants des ministres-présidents et des ministres compétents, s’y est penché. Il a remis un rapport de plusieurs centaines de pages qui fait l’état des lieux complet de l’enseignement qualifiant et de la formation professionnelle. On y découvre par exemple que l’alternance, qui est vue comme une priorité depuis des années par les pouvoirs publics, ne décolle pas.
Du côté des opérateurs, on s’interroge. On se demande un peu à quelle sauce on va être mangé. “Dès les consultations, le message de Georges-Louis Bouchez a été très clair, se remémore Thierry Dock, président d’InterMire. Il nous a demandé ce qu’on pouvait faire de mieux, avec les moyens disponibles. Tout ce qui demandait des moyens supplémentaires, nous pouvions l’oublier”, explique celui qui est également enseignant à l’UCLouvain. “Maxime Prévot était lui plus modéré et à l’écoute : il voulait impliquer les acteurs”, détaille-t-il. Bref, les deux formateurs étaient parfaitement alignés sur leur rôle de bad cop & good cop.
Mais concrètement, se dirige-t-on vers des fusions, voire des suppressions de certaines structures ? “On ne sait pas si les coupes budgétaires impacteront l’emploi. Forcément, on espère que non, ajoute Thierry Dock. Mais la rencontre a été intéressante. Il y a certainement un travail de lisibilité et d’efficacité à produire. Il reste à voir si les acteurs seront impliqués. Je pense qu’une co-construction est possible. Pierre-Yves Jeholet pourrait essayer d’impliquer des acteurs dans un premier temps”, conclut le président d’InterMire.
Une réforme sans fin ?
Du côté de chez A6K-E6K, qui deviendra bientôt, à Charleroi, le plus grand hub de la formation technologique du pays, Abd-Samad Habbach constate lui aussi un manque de lisibilité de la formation wallonne. Par ailleurs, des économies d’échelle pourraient être réalisées. Mais il prévient : attention de ne pas tomber dans le piège de la rationalisation qui pourrait prendre des années. “Avant de rationaliser, il faudrait augmenter la collaboration inter-opérateurs, suggère-t-il. Faisons collaborer les acteurs, et ensuite, analysons ce qui peut être amélioré.”
Le CEO d’A6K prend un exemple : “Aujourd’hui, chaque acteur a ses propres plans d’investissement. Le partage d’équipement n’est pas du tout facilité et coordonné, et c’est principalement dû à des obstacles régulateurs.”
Plus globalement, il manque un grand acteur régisseur de la formation en Wallonie. “Il y a autant de gouvernances que d’ASBL. Il y a clairement la nécessité d’une structure faîtière qui connait les besoins du marché, estime Abd-Samad Habbach. Une voix unique qui rassemblerait les besoins des fédérations et de l’UCM. Avec par exemple, un grand baromètre des besoins actuels et futurs.”
La réforme du Forem
Pour jouer le rôle de régisseur, les yeux se tournent naturellement vers le Forem. C’est l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Il a fait l’objet de vives critiques de la part de Georges-Louis Bouchez et subira une “réforme profonde”, a-t-il annoncé d’emblée.
Mais il reste beaucoup d’inconnues. D’autant que les choses semblent évoluer dans le bon sens, depuis la nomination de Raymonde Yerna à la tête du Forem, fin 2023. “En très peu de temps, elle parvenue à lancer une nouvelle dynamique et à revitaliser la structure”, témoigne Thierry Dock, d’InterMire.
Depuis sa nomination à la tête du Forem, fin 2023, Raymonde Yerna est parvenue en très peu de temps à lancer une nouvelle dynamique et à revitaliser la structure.
Quel sort lui réservera le ministre Jeholet ? Raymonde Yerna est clairement du bord socialiste. Elle est passée par les cabinets Marcourt, Tillieux et Morreale, avant de rejoindre l’IFAPME, une structure plutôt bien appréciée par les libéraux. “Devant les deux formateurs wallons, elle a en tout cas réussi un examen brillant”, se remémore Thierry Dock, qui était présent à cette réunion.
Pierre-Frédéric Nyst, membre du Comité de gestion du Forem, soutient clairement la nouvelle venue : “J’ai une totale confiance en elle. Elle veut vraiment faire bouger les choses.” Mais celui qui est aussi à la tête de l’UCM constate qu’il faudra aller plus loin que les intentions : “Lorsqu’elle a quitté l’IFAPME, Yerna a été accueillie par un jour de grève. C’est vous dire l’état de la mentalité ici au Forem. Il y a de bonnes choses, mais comme c’est lourd, comme c’est lent ! Il manque une culture de l’évaluation et de l’efficacité.”
L’IFAPME, justement, est largement vu comme complémentaire aux missions de formation du Forem. Des bruits de couloir sont de plus en plus insistants pour regrouper les deux structures. Il semble acquis qu’un grand pôle de formation régional unique sera créé, mais il reste à voir quelle forme il prendra.
Par contre, le message lancé par la DPR est plus clair sur la responsabilisation des acteurs de la formation que l’insertion professionnelle : ce sera la culture des résultats et les financements en dépendront. Par ailleurs, une approche globale sera développée entre les CISP et les MIRE, et les ALE peuvent s’attendre à du gros changement.
Activation des chômeurs
Il reste à voir quelle place la formation prendra au sein du Forem, tant les deux formateurs ont insisté sur l’activation des chômeurs comme rôle central de l’institution. Lors de la présentation de la DPR, Bouchez avait déjà livré quelques mesures concrètes, comme l’obligation pour un demandeur d’emploi d’être reçu “dès le premier mois par le conseiller Forem” et de se voir proposer “dans les trois mois”, un plan de formation et de remise à l’emploi. L’activation sera priorisée sur les jeunes, entend-on.
“À l’UCM, nous avons un rêve : que le Forem puisse avancer au cas par cas, en individualisant la relation, avec des référents sectoriels, pour arriver à de véritables résultats.” – Pierre-Frédéric Nyst, membre du Comité de gestion du Forem
“Pour le moment, il y a des délais beaucoup trop longs, regrette Pierre-Frédéric Nyst. Celui qui joue avec les pieds de son référent peut facilement gagner deux ans en évitant les sanctions. À l’UCM, nous avons un rêve : que le Forem puisse avancer au cas par cas, en individualisant la relation, avec des référents sectoriels, pour arriver à de véritables résultats.”
Pour l’économiste Stijn Baert, le manque d’activation est l’un des éléments qui expliquent les différences nord-sud sur le nombre de chômeurs indemnisés : entre 1,7% et 2,4% des 25-64 ans dans les provinces flamandes, contre 4% à 5,9% en Wallonie. A cet égard, même si la formation d’un gouvernement fédéral est en difficulté, il est acquis que la toujours probable coalition fédérale Arizona mise sur la fin des allocations de chômage au bout de deux ans. Ce qui se dessinera ensuite est du ressort des Régions. En Wallonie, on évoque “un droit au travail” et “un droit à la formation”, qui pourrait prendre la forme d’une obligation. Même des travaux d’intérêt général sont évoqués.
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