Bruxelles arrivera-t-elle à faire coexister taxis et Uber?

Manifestation de chauffeurs Uber devant le palais de justice de Bruxelles, en janvier dernier. Sur le territoire de la Région, il seraient 2.000 à exercer cette activité. © PHOTO NEWS
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

En réaffirmant l’interdiction aux chauffeurs Uber d’utiliser leur smarpthone pour prendre des courses, la Région bruxelloise ne fait qu’appliquer un arrêt de la cour d’appel rendu en janvier. Mais elle relance les tensions entre taxis et Uber. Tout en assurant préparer une réglementation qui permette à chacun d’enfin coexister.

Dans la capitale, le microcosme du transport est en émoi depuis une dizaine de jours. Via une note, la Région bruxelloise vient en effet de réaffirmer les principes d’une ordonnance qui, techniquement, empêche les chauffeurs Uber ou travaillant pour des plateformes concurrentes (Heetch, notamment) d’utiliser leur smartphone pour prendre des courses. Ce qui revient, dans les faits, à bannir ce type de service de notre capitale.

Cette mesure ne semble toutefois pas actuellement trouver réellement écho dans la réalité puisque malgré la menace de sanctions (amendes, puis immobilisation du véhicule des contrevenants), il semble que les 10 contrôleurs de l’administration ne dressent à ce stade que des avertissements. Uber, d’ailleurs, n’a pas décidé d’arrêter ses activités. Au contraire, elle a plutôt rassuré ses chauffeurs (ils seraient environ 2.000 à Bruxelles) en réaffirmant qu’ils pouvaient toujours rouler…

Application stricte

Très critiquée même au sein de la majorité régionale, cette “interdiction” d’utiliser son smartphone puise sa justification dans une ordonnance de 1995 qui distingue les services de taxis de ceux de “voiture de location avec chauffeurs” (LVC), statut sur lequel se base Uber pour opérer chez nous. Au moment de son entrée en vigueur, cette réglementation permettait en effet aux autorités de laisser aux taxis le monopole de la réservation instantanée de courses, par téléphone ou via le dispatching, et du “maraudage” (autorisation de prendre des clients à la volée). Soit la contrepartie à la licence qu’ils paient aux autorités pour pouvoir exercer leur métier et qui limite le nombre de taxis dans la ville.

Les défenseurs d’Uber évoquent une insistance supplémentaire du secteur des taxis auprès du monde politique socialiste en réaction à la crise du coronavirus.

Un service à bien différencier de celui de location de limousine avec chauffeur qui prévoit, entre autres règles, que les chauffeurs disposent d’un contrat de trois heures (ou d’une valeur de 90 euros) avec leur client et qu’il n’existe à bord de leur véhicule aucun appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication… Adaptée aux technologies d’aujourd’hui, cette dernière clause revient évidemment à considérer que les chauffeurs de type Uber ne peuvent disposer de smartphone pour recevoir des courses. Or, depuis le lancement d’UberX dans notre capitale en 2015, la firme américaine fondée par Travis Kalanick justifie son service par le truchement de cette législation relative aux LVC…

Point mort depuis 2015

Depuis le début de leur guerre contre Uber à Bruxelles, les responsables du secteur des taxis pointent donc du doigt un “problème de statut” et le fait que, selon eux, “Uber fait du taxi déguisé en limousine”. Mais beaucoup pensaient que les politiques allaient régler la situation en mettant en place une nouvelle réglementation encadrant la cohabitation entres les uns et les autres. C’est que, dès 2015, le ministre de la Mobilité de l’époque, Pascal Smet, déclarait son intention de mettre en place un “plan taxi” aussi vite que possible… sans que cela ne se soit concrétisé, plus de cinq ans après.

Qu’est-ce qui, dès lors, a poussé la Région bruxelloise à réagir avec une telle fermeté alors que ni la réglementation ni le système Uber n’ont été modifiés? “Le changement vient du contexte, indique un acteur du secteur du taxi. A son arrivée, Uber avait annoncé vouloir révolutionner le transport dans les villes. Mais cet argument ne tient plus: comme nous le disons depuis des années, les autorités constatent que ce que font les chauffeurs Uber, c’est simplement du taxi mais en détournant la législation et donc, en ne respectant pas les mêmes règles restrictives qui nous sont appliquées en termes de contrôles et d’obligation de service public. Et puis, le masque tombe aussi devant les tribunaux de nombreux pays concernant la légalité d’Uber, les problèmes du statut des chauffeurs, etc.”

Du côté des défenseurs de la plateforme, on évoque une insistance supplémentaire, pour ne pas dire un lobby, du secteur des taxis auprès du monde politique socialiste à Bruxelles en réaction à la crise du coronavirus. Car depuis mars, les taxis rencontrent sans surprise une baisse importante de l’activité. Un responsable dans le secteur le confirme: “Lors du premier confinement, nous avons été littéralement à l’arrêt. Et depuis, l’activité n’a pas vraiment repris. Aujourd’hui, qui vient encore à Bruxelles? Il n’y a plus de touristes, beaucoup moins d’hommes d’affaires. On enregistre une baisse d’activité en trajets d’environ 50%. Un certain nombre de chauffeurs rendent les armes”.

Disposant de la tutelle pour ces compétences, Rudi Vervoort, ministre-président (PS) de la Région, rétorque qu’il n’est “le lobbyeur de personne”. Sa note semble plutôt faire suite à un récent arrêt de la cour d’appel de Bruxelles rendu en janvier. Dans cet arrêt, il est clairement indiqué qu’Uber enfreint la réglementation en utilisant le smartphone: “Il s’agit de la violation d’un des principes qui gouvernent les conditions d’un service LVC autorisé, fait passible de sanctions pénales”, indique la cour.

Promesse d’un plan taxi

En réalité, Rudi Vervoort a été poussé dans le dos par un courrier d’avocat faisant suite à cet arrêt. Ce courrier “nous expliquait que nous étions tenus – peut-être pas juridiquement mais politiquement et moralement – de faire respecter l’arrêt dans la mesure où l’on sait que ça va arriver”, répondait récemment le ministre à La Libre. Et même si le dossier judiciaire se trouve actuellement entre les mains de la Cour constitutionnelle, la Région aurait décidé d’agir. D’abord en réaffirmant la règle comme elle l’a fait la semaine passée – même si, dans les faits, la Région semble ne pas réellement sanctionner les contrevenants. Ensuite, comme l’a promis Rudi Vervoort après avoir essuyé une volée de critiques dans sa gestion du dossier, en réglant une fois pour toute la question de la cohabitation entre taxis et Uber dès cet été via un “plan taxi”. On ignore encore les termes de cette nouvelle réglementation, mais il se dit qu’elle passerait par une limitation du nombre total de chauffeurs actifs dans ce secteur… Cet angle d’attaque permettra-t-il de mettre tout le monde autour de la table?

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