Les 100 premiers jours donnent généralement le ton d’une législature. Mais la mise en application de l’accord de gouvernement est plus difficile qu’espéré. Si vous y ajoutez le manque d’enthousiasme d’un Premier ministre qui communique peu, mais qui promet “du sang et des larmes”, vous avez tous les ingrédients d’un démarrage poussif. Ce qui n’était pas forcément attendu. Pour le moment, l’accord intervenu cette nuit au sein du kern sur la loi-programme qui entérine l’accord de Pâques est un bilan plutôt maigre.
L’Arizona ? “C’est un gouvernement qui a l’ambition de mettre en œuvre les réformes que l’Europe nous demande depuis 20 ans”, a résumé le Premier ministre, en amont des 100 jours du gouvernement fédéral. Pour l’occasion, Bart De Wever a fait le tour des chaînes de télévision, préférant éviter la presse papier. Le format permet, sans doute, une meilleure maîtrise de la communication.
Une communication qui est cadenassée jusqu’à présent. Aucune conférence de presse, pas même pour l’accord de Pâques, qui scellait les premières réalisations de l’accord de gouvernement. À bien des égards, le chef de l’exécutif veut positionner son gouvernement comme une anti-Vivaldi et se présenter lui-même comme l’exact opposé d’Alexander De Croo (Open Vld), qui avait tendance à sur-communiquer, même quand la montagne accouchait d’une souris.
Première impression de ce gouvernement
Mais sur le fond, comment juger l’action des 100 premiers jours de ce gouvernement ? Jean Faniel, directeur général du Crisp, le Centre de recherche et d’information socio-politiques, met au crédit de l’Arizona une volonté d’avancer sur des réformes structurelles. “Contrairement à la fin de la Vivaldi, où tout semblait bloqué, ici on sent une direction, même si elle est évidemment contestée. Cela n’efface pas les tensions internes. Les positionnements divergents demeurent, et Bart De Wever doit jongler avec ces sensibilités, mais le gouvernement fédéral maintient un cap”, juge le politologue.
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Étienne de Callataÿ, chief economist chez Orcadia Asset Management, éprouve, lui, un sentiment partagé. “D’un côté, c’est différent : on voit une volonté de réforme, notamment avec la limitation à deux ans des allocations de chômage. C’est une mesure en partie symbolique, mais elle envoie un signal clair. D’un autre côté, rien ne change fondamentalement. En fiscalité, il n’y a aucune avancée significative. La tentative de réforme de Vincent Van Peteghem, très bien conçue à l’époque, reste sans suite. Et ce qu’on voit aujourd’hui – comme la taxe sur les plus-values – est tout sauf de la simplification.”
De son côté, Charlotte de Montpellier, senior economist chez ING Belgium, constate “un début de législature difficile” pour le gouvernement, mais ne se dit pas surprise. “L’accord de gouvernement est ambitieux, mais une fois confronté à la réalité – à savoir un contexte budgétaire extrêmement tendu – la mise en œuvre devient très compliquée.”
Bruno Colmant, économiste et membre de l’Académie royale de Belgique, est le plus sévère dans sa première impression : “Le gouvernement camoufle l’absence de projet sociétal derrière l’obsession du déficit. Il n’y a rien pour la jeunesse, l’éducation ou l’avenir. On est passé d’un discours de croissance par la baisse d’impôts à une rhétorique alarmiste autour du déficit et de la faillite de l’État belge.”
Une promesse budgétaire inatteignable
Justifiée ou pas, cette orthodoxie budgétaire reste un marqueur de l’Arizona et surtout une promesse. Mais dès le premier projet du budget, que constate-t-on ? Que les comptes ne sont pas bons : 25,5 milliards de dérapages budgétaires, soit 4% du PIB, soit 5 milliards de plus que les prévisions du Comité de monitoring. Lundi, la Commission européenne prévoyait même un déficit de 5,4% pour cette année. La Belgique va reprendre sa place parmi les pires élèves de la classe européenne.
Si Bart De Wever a déjà annoncé que d’autres “larmes” devraient être versées, il n’y a pas grand monde pour croire au retour au carcan budgétaire de 3% en 2029. “Dès le démarrage, beaucoup d’économistes ont souligné que les projections étaient optimistes. Les sceptiques ne feront que le rester, voire l’être encore plus vu la tournure des choses”, commente Jean Faniel.
“Sans compter que le contexte économique s’est depuis détérioré, abonde Charlotte de Montpellier. La croissance ralentit, les dépenses militaires explosent… Cela complique encore plus la trajectoire. Le gouvernement devra aller bien plus loin en matière de réduction des dépenses ou d’augmentation des impôts s’il veut atteindre ses objectifs.”
Le problème, ajoute Étienne de Callataÿ, c’est que certains membres du gouvernement restent coincés dans leur logique. “Je constate un assainissement structurel dans certains postes de dépenses – chômage, pensions, organisation de la fonction publique. En revanche, là où il y a tétanie, c’est du côté de la fiscalité. À cet égard, le MR ne se caractérise pas par le sérieux budgétaire. On ne peut pas vouloir une orthodoxie budgétaire tout en bloquant des impôts compensatoires.”
“Nous sommes face à une impossibilité mathématique, tranche Bruno Colmant. On ne peut pas assainir un budget avec des dépenses sociales qui explosent, suite au vieillissement, et le refus de nouveaux impôts.” Et Jean Faniel, de conclure sur ce point : “Il y a une impression forte, martelée par Bart De Wever et son gouvernement, qu’il n’y aurait aucune alternative possible. C’est une rhétorique de type TINA (There Is No Alternative), qui occulte volontairement d’autres pistes. Pourtant, et c’est contradictoire, l’Arizona fait des choix en réduisant par exemple les cotisations patronales pour 1 milliard d’euros.”
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Des effets retour surestimés
Dans ses tableaux budgétaires, l’Arizona espère que ses politiques mèneront à 8 milliards d’effets retour. L’exécutif fédéral mise principalement sur ses politiques de retour à l’emploi – sur les chômeurs et les malades de longue durée. Vendredi dernier, un rapport de la Cour des comptes est venu alimenter les craintes de l’opposition, qui jugeait ces retours comme totalement “irréalistes”.
Le rapport étrille les estimations de l’Arizona qui espère créer 300.000 emplois supplémentaires d’ici 2029, pour se diriger vers le fameux objectif de 80% de taux d’emploi. Outre des “approximations” dans la méthode de calcul, la Cour des comptes pointe du doigt des ambitions trop optimistes. En effet, l’Arizona vise une croissance de 5% du taux d’emploi, ce qui est deux fois plus élevé que la croissance observée sous la Suédoise, qui se caractérisait par une baisse des charges et une croissance économique de quasiment 2% chaque année. Or, les prévisions pour cette législature ne dépassent jamais les 1,5%, au maximum.
“Atteindre 80% de taux d’emploi dans le contexte actuel me paraît très difficile, confirme Charlotte de Montpellier. Depuis l’accord de gouvernement, le contexte macroéconomique s’est détérioré, avec la guerre commerciale de Donald Trump. Un ralentissement économique, c’est moins de recettes fiscales, plus de faillites, plus de gens au chômage”, prévient-elle. L’économiste voit mal comment l’exécutif pourrait réitérer la performance de créer 100.000 emplois par an, comme en 2022 et 2023, sous la Vivaldi, quand le contexte de relance économique était beaucoup plus favorable.
Selon Bruno Colmant, “on surestime la capacité de rebond des personnes qui sont depuis longtemps au chômage. Il y a également une fiction à croire que, parce qu’il existe des métiers en pénurie, on pourra y réinsérer instantanément les chômeurs. Ce n’est pas possible”. Étienne de Callataÿ a un avis différent. Selon lui, “la réforme du chômage est structurellement importante. Si un tiers des personnes retrouve un emploi, un tiers se tourne vers les CPAS, et un tiers s’évapore dans la nature, comme le prévoit le ministre de l’Emploi, c’est déjà un bilan relativement équilibré”.
Réformes du chômage et des malades de longue durée
L’accord intervenu cette nuit, au sein du kern, entérine la réforme du chômage mais l’étale dans le temps. Face à la pression de l’ONEM, mais aussi des Régions, cette réforme s’établira en trois phases. Dès le 1er janvier, elle s’appliquera aux personnes en situation de chômage depuis plus de 20 ans. Le 1er mars, elle sera élargie aux demandeurs d’emploi inscrits depuis plus de 8 ans. Enfin, à partir du 1er avril, elle concernera également ceux qui sont sans emploi depuis plus de 2 ans. Cela concernera dans un premier temps 115.000 personnes, puis 60.000 chômeurs de longue durée supplémentaires à partir du 1er juillet. Mais sur le plan technique et sur l’accompagnement de ces personnes, tout reste à faire et est à charge des CPAS et des organismes régionaux pour l’emploi.
L’autre grande inconnue réside dans la politique de retour au travail des malades de longue durée. Le plan du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), en responsabilisant chaque maillon de la chaîne – employés, employeurs, médecins et mutualités – doit éviter que la Belgique prenne le mur des 600.000 malades de longue durée. Le problème, c’est que cette limitation du chômage et d’autres mesures risquent de gonfler leur nombre. À tort ou à raison, l’histoire économique récente montre que lorsqu’on touche aux allocations de chômage, que l’on durcit les conditions d’accès à la prépension ou à la pension, ou que l’on assouplit le travail de nuit/week-end, on augmente mécaniquement l’invalidité. “Toute réforme de ce type entraîne des effets induits, souvent difficiles à mesurer”, confirme Charlotte de Montpellier.

Une réforme fiscale à la petite semaine
Les partis qui composent l’Arizona voulaient créer un “bing bang fiscal”, qui ne s’est pas vraiment matérialisé dans l’accord de gouvernement. Exit la révision des tranches d’imposition, les ambitions ont été revues à la baisse et repoussées à plus tard. La baisse de l’impôt des personnes physiques – principalement via la baisse de la quotité exonérée d’impôts – se matérialisera en fin de législature, promet-on.
À terme, le but est toujours de créer un différentiel de 500 euros entre le travail et l’inactivité. “Mais il y a un flou persistant, observe Jean Faniel. S’agit-il de brut ? De net ? Mensuel ? Annuel ? S’il s’agit de 500 euros brut annuels, cela ne représente que 30 euros net par mois. Ce flou n’est pas anodin”, juge le politologue, qui y voit une autre pomme de discorde potentielle. D’autant que cela pourrait être encore moins, puisque le gouvernement fédéral compte également plafonner certaines aides. “Le gouvernement prouvera sans doute par a+b que la promesse est tenue. Mais dans la réalité, les gens risquent de ne rien percevoir de tangible, voire de perdre du pouvoir d’achat, avec l’inflation”, ajoute Jean Faniel. En fin de législature, c’est la déception qui pourrait primer.
La faute à la faible marge de manœuvre que s’est donnée l’Arizona du côté des nouvelles recettes, avec la seule taxe sur les plus-values. Et encore, si les partis autour de la table parviennent à s’entendre, ce qui n’est pas encore acté. “Le gouvernement s’est lancé dans un cauchemar administratif avec cette taxe, regrette Bruno Colmant. Même Febelfin, la fédération des banques, dit qu’elle ne sera pas prête pour 2026. Pour un impôt qui rapportera peu, c’est beaucoup de bruit pour rien.”
Étienne de Callataÿ juge que ce qui est possible ailleurs, y compris aux États-Unis, doit être possible en Belgique. Mais, selon lui, l’important est ailleurs : “Une réforme fiscale digne de ce nom devrait rebalancer l’impôt en allégeant les cotisations sociales et en taxant davantage d’autres revenus.” En attendant, l’Arizona doit trouver une issue à cette taxe sur les plus-values cet été.
“Une réforme fiscale digne de ce nom devrait rebalancer l’impôt en allégeant les cotisations sociales et en taxant davantage d’autres revenus.” – Étienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management)
Une logique de confrontation
Un autre grand marqueur de l’Arizona se situe au niveau de la réforme des pensions. À cet égard, l’accord de Pâques a commencé à débroussailler le terrain en s’attaquant aux plus hautes pensions. Mais l’exécutif a récolté une levée de boucliers des magistrats et des professeurs d’université. Il faut dire que l’Arizona semble s’accommoder d’une logique de confrontation. La concertation entre la magistrature et le ministre des Pensions, Jan Jambon (N-VA), n’a donné aucun résultat.
“Il aurait fallu faire une réforme des pensions plus lente, mais plus globale, avance Bruno Colmant. Au lieu de cela, on touche de manière désordonnée à certains régimes sans vision d’ensemble.” De sorte que l’Arizona se confronte à chaque secteur. Étienne de Callataÿ abonde : “Ce qu’il manque, c’est une approche englobante sur les pensions.” D’autant que ce n’est que le début, prévient Charlotte de Montpellier : “Il est illusoire de penser qu’on pourra maintenir ce système avec le vieillissement démographique actuel.” Là encore, cet accord est attendu pour l’été.
De manière générale, c’est toute la fonction publique qui se sent visée. Cela a déjà conduit à un certain nombre de manifestations qui entretiennent cette logique de confrontation. “Comparée au gouvernement Michel, la mobilisation est moins massive, mais plus constante, analyse Jean Faniel. Il n’y a pas encore de résignation.”
Un test d’homogénéité
Cette intransigeance du gouvernement fédéral et la manière de communiquer commencent à irriter au sein de la coalition. Le week-end dernier, le président des Engagés, Yvan Verougstraete, a haussé le ton dans La Libre. Il ne remet pas en cause la nécessité de réformer, mais “pour y arriver, il faut pouvoir rassurer, fixer des limites pour que l’effort soit proportionné, et mieux communiquer”, estime-t-il. La communication autour “du sang et des larmes” de Bart De Wever ? “Je pense que c’est une erreur. Le dogmatisme des mesures ne peut pas primer sur le résultat”, ajoutant “qu’on ne peut pas critiquer un dogmatisme de gauche en instaurant potentiellement un dogmatisme de droite”. Il résume : “On doit veiller à convaincre tout le monde.”
Si on est loin des discordes de la Vivaldi, l’Arizona n’est pas encore parvenue à concrétiser ses promesses.
Les résultats des élections, clairs, devaient mener à une coalition homogène tirant sur la même corde. Si on est loin des discordes de la Vivaldi, l’Arizona n’est pas vraiment parvenue à concrétiser ses promesses, ne profitant pas de son “moment de grâce” de début de législature. Dans les faits, le gouvernement fédéral doit encore parvenir à s’entendre sur tous les dossiers chauds, avec un premier test d’homogénéité cet été. Ensuite, il lui restera à prouver que ses méthodes churchiliennes apportent des lendemains qui chantent. Sans quoi le retour de bâton pourrait faire très mal à cette Arizona. Et la volonté de Bart De Wever de construire “un travail de 10 ans”, sur deux législatures, sera brisée.