L’ère des locos volantes

Le train imaginé par Nevomo pourra emprunter des voies existantes. © PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les trains ont une bonne vitesse de croisière, mais ils sont handicapés par les rails qui les font patiner lorsqu’ils accélèrent ou freinent trop brusquement. De beaux projets futuristes, comme l’Hyperloop, ont vu le jour. Mais une start-up, Nevomo, propose d’utiliser des techniques de lévitation sur les voies existantes. La SNCF est intéressée.

“L’Hyperloop, c’est une promesse formidable mais elle suppose une infrastructure nouvelle très chère”, explique Przemek Paczek, cofondateur et CEO de Nevomo, une start-up polonaise qui cherche à améliorer l’efficacité des trains. L’Hyperloop cher à Elon Musk promet de voyager à plus de 1.000 km/h dans un tunnel sous vide mais il faudra effectivement des décennies et des milliards de dollars pour y arriver.

Nevomo, qui s’était intéressée à ce concept, a renversé le raisonnement: la start-up a étudié comment utiliser les technologies de l’Hyperloop, tels les moteurs linéaires et la sustentation passive, sur des voies ferroviaires normales. Le 9 mars dernier, elle a annoncé un accord avec la SNCF, qui va étudier le concept.

Prezmek Paczek
Prezmek Paczek

“Nous avons aussi des discussions dans le Benelux”, indique Przemek Paczek. Au moins un des actionnaires de Nevomo est connu des Belges. Il s’agit de Jacques Berrebi, un des fondateurs de Teleperformance, le premier groupe mondial de centres d’appels. L’homme s’est installé en Belgique où il possède notamment le magazine L’Eventail.

Le problème des convois actuels, c’est qu’ils sont limités par l’adhérence des roues sur les rails, poursuit le patron de Nevomo: “Les trains ont une très grande capacité de transport, permettent une bonne vitesse de croisière mais sont moins bons au freinage et à l’accélération. L’interface physique que sont les rails a ses limites: ça patine. Un train freine beaucoup moins bien qu’un véhicule routier”. Cela limite donc la capacité d’une ligne.

“Avec le Green Deal européen qui mise beaucoup sur le rail pour décarboner les transports, il faut pourtant aider les trains à devenir plus productifs et plus compétitifs, continue Przemek Paczek. Surtout que les transports routiers sont plus verts tous les ans, ce qui réduit l’avantage compétitif du rail… qui doit donc s’améliorer. Par exemple en changeant le mode de transmission de la propulsion et du freinage grâce à une technique sans contact, électromagnétique, à même d’augmenter la capacité et la flexibilité du réseau ferroviaire, et ainsi améliorer son offre par rapport à la route et à l’avion.”

La technique du rail central

Nevomo propose deux solutions pour utiliser les voies existantes: avec ou sans sustentation. La première consiste à installer un rail central sur la voie et des moteurs linéaires sous les wagons. Ces moteurs serviront de booster pour améliorer l’accélération, ainsi que de superfrein. Le dispositif, dans lequel il n’y a pas de sustentation, s’appelle MagRail.

La SNCF va étudier ce procédé afin de vérifier s’il peut aider les RER à augmenter leur capacité de transport sur des lignes saturées, par exemple celles passant par la station Châtelet-Les Halles à Paris. “Pour le moment, les intervalles entre les rames de RER intègrent les accélérations et freinages avec une marge de sécurité, précise Fabien Letourneaux, chef du département modélisation et expérience voyageur de la SNCF. Avec ce type de booster, on pourrait peut-être réduire les intervalles entre les rames et augmenter le nombre de voyageurs transportés par heure.”

Si les études sont concluantes, le transporteur ferroviaire français pourrait se lancer dans des essais. Outre le RER, l’opérateur s’intéresse aussi au système pour des lignes rurales, non électrifiées, avec des boosters qui utiliseraient de l’énergie embarquée sous forme de batteries.

Dans les ports et gares de triage

La SNCF va aussi évaluer le procédé pour les trains de marchandises. “Ils sont lents et doivent parfois monter des rampes, explique Fabien Letourneaux. Si quelques wagons sont équipés de ce booster à moteur linéaire, il y aurait peut-être moyen d’accélérer les convois et d’améliorer la capacité des lignes.” Nevomo imagine même pouvoir utiliser cette technique dans les gares de triage ou des zones portuaires. En équipant les wagons de moteurs linéaires dans leur soubassement et en installant un rail central, les convois pourraient se former et se diviser de manière automatisée, sans même devoir utiliser une locomotive de manœuvre.

La technologie MagRail pourrait aussi être utilisée de manière autonome dans les ports et gares de fret.
La technologie MagRail pourrait aussi être utilisée de manière autonome dans les ports et gares de fret. © PG

Envolée à 550 km/h

La deuxième solution, toujours basée sur l’infrastructure existante, améliore la vitesse du matériel grâce à la lévitation. Toujours sous l’appellation de MagRail, elle recourt également à un rail central mais aussi à des guides à poser des deux côtés de la voie afin de maintenir le train sur la ligne lorsqu’il est en sustentation.

Le système permet de faire évoluer à grande vitesse (en théorie jusqu’à 550 km/h) des trains sur des lignes “normales”. La lévitation intervient à partir de 50 à 75 km/h. Cependant, les progrès en vitesse dépendent de la ligne, reconnaît Przemek Paczek. Si les courbes sont serrées, la vitesse sera moins rapide. Mais même dans ce cas, des accélérations et des freinages plus performants permettent d’améliorer la vitesse moyenne. Ce procédé pourrait fonctionner tant pour le transport de passagers que pour le fret, éventuellement avec des rames très petites (des “pods”). Un bémol, toutefois: “les trains existants ne se prêtent pas à cette approche, qui suppose un matériel spécifique ferroviaire plus léger adapté à la lévitation”, explique le CEO.

Les ratés de l’Hyperloop

Pour tester en profondeur ces deux approches, Nevomo est en train d’équiper une ligne test de 750 mètres en Pologne. Plusieurs tests ont déjà été menés avec du matériel en format réduit. L’entreprise s’intéresse à cette problématique depuis plusieurs années.

“Il y a six ans, au début de nos activités, nous avions comme objectif d’amener l’Hyperloop en Pologne”, avoue Przemek Paczek. Ce fameux Hyperloop a été imaginé par Elon Musk en 2013 et promettait un système de transport utilisant un tunnel sous vide, dans de grandes capsules, se déplaçant à plus de 1.000 km/h. Il était question de relier Los Angeles à San Francisco en 30 minutes (six heures en voiture). Une bonne série de start-up sont nées un peu partout dans le monde pour se pencher sur le sujet, y compris Virgin qui a investi dans le projet Hyperloop et levé des centaines de millions de dollars ou d’euros.

Nevomo a fait partie de ce mouvement et s’est d’abord appelée Hyper Poland. La start-up a néanmoins vite compris qu’il s’agissait d’un projet à très, très long terme. “Après un an, nous avons estimé qu’il valait mieux chercher à adapter les lignes existantes avec les technologies de l’Hyperloop et du maglev (lire l’encadré, Ndlr), raconte Prezmek Paczek. L’Hyperloop est basé sur de nouvelles infrastructures: c’est cher et cela prend du temps, surtout que le terrain est cher. En plus, si on travaille sur les rails existants, on peut pénétrer jusqu’au centre des villes, ce qui est primordial en matière de mobilité.” D’ailleurs, si l’Hyperloop reste l’objectif ultime de la start-up, Virgin Hyperloop a officiellement réduit ses ambitions, renoncé à l’idée de transporter des passagers pour se concentrer sur le fret. Et aucun service du genre n’a été encore lancé nulle part.

Entretemps, la société Nevomo a pris contact avec beaucoup de gestionnaires d’infrastructure, de logisticiens, d’acteurs industriels, afin de leur vendre son idée. Avant la SNCF, elle a conclu un accord avec la Deutsche Bahn (DB) l’an dernier. En 2021, elle a également signé un accord avec Rete Ferroviaria Italiana (RFI), l’équivalent de notre Infrabel en Italie, pour mener une étude de faisabilité. Le port de Duisburg, en Allemagne, lui aussi, explore la technologie MagRail pour l’utiliser sur du matériel ferroviaire, même sur des lignes non électrifiées. La start-up a encore des discussions avec des partenaires industriels, comme Alstom ou Stadler.

La technologie en est au stade de l’évaluation et des premiers tests. Puis ce sera l’heure de l’implémentation et des certifications. Mais Nevomo a déjà attiré des fonds: en 2022, elle a obtenu 2,5 millions d’euros de l’accélérateur EIC (European Innovation Council) et espère obtenir de 7,5 à 15 millions d’euros supplémentaires en capital. Elle a aussi capté des fonds privés, comme ceux de Jacques Berrebi qui, de son aveu, a apprécié dans le projet de Nevomo ce qu’il a aimé dans Teleperformance: “l’alliance entre l’innovation et la globalisation”. L’homme d’affaires y voit une technologie applicable partout, dans les trains et les métros, tout comme les centres d’appels se sont répandus partout dans les entreprises afin de développer une nouvelle relation avec la clientèle.

Le rêve du maglev

Les trains à sustentation magnétique, ou maglev (pour magnetic levitation), ont longtemps été présentés comme le futur du ferroviaire. Une sustentation magnétique entre le train et les rails est induite par des aimants sous la rame et sur la voie. La propulsion est assurée par un moteur linéaire, promettant une vitesse presque comparable à celle d’un avion, soit plus de 500 km/h.

Plusieurs projets ont été développés en Europe, notamment le Transrapid en Allemagne. Ce projet avait été envisagé pour relier Munich à son aéroport mais a été abandonné à cause du coût de l’infrastructure. La technique se révèle aussi trop rigide. Une rame maglev ne peut en effet rouler sur d’autres voies, alors qu’un TGV qui se déplace sur des lignes adaptées à la grande vitesse peut aussi en emprunter d’autres. L’exploitation du TGV est donc plus flexible. Les seuls services maglev existants se trouvent en Chine: un Transrapid à Shanghai et une ligne du métro à Pékin. L’Hyperloop est une résurrection de cette technologie…

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