Le défi économique de la voiture électrique
Avec la sortie de la R5, le français Renault cherche à démontrer qu’il est possible de développer et de produire une voiture à piles à la fois attractive et rentable en Europe.
Elle est craquante, cette R5 lancée au Salon de Genève par Renault qui, avec son style ‘‘rétrofuturiste’’ mélangeant nostalgie et software, mise sur la séduction pour convaincre les clients de passer à l’électrique. Le CEO du groupe Renault, Luca de Meo, espère répéter le succès de la Fiat Cinquecento, qu’il avait lancée lorsqu’il dirigeait la marque italienne, en 2007.
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Cette R5 à piles est une étape sur la longue route vers l’électrification du secteur. Le constructeur français y œuvre depuis le lancement, en 2013, de la Renault Zoé, que la R5 remplace, puis de la Mégane en 2022 et enfin de la Scenic, qui arrive dans les show-rooms et a été nommée Car of the Year 2024. Le constructeur promet de devenir 100% électrique à partir de 2030.
La R5 mise sur une tarification plus accessible : son prix démarrera autour de 25.000 euros, avec une batterie promettant une autonomie de 300 km (WLTP). Elle pourra être équipée pour atteindre les 400 km, mais à un tarif un peu plus élevé. Ces prix constituent une nette progression : la Renault Zoé, en fin de carrière, se facture encore à partir de 36.375 euros. C’est un pas de plus vers l’automobile électrique au prix de l’automobile à carburant, tout comme l’a récemment fait Citroën (groupe Stellantis) avec la ë-C3, au même format.
Vendre moins cher et gagner de l’argent
L’exercice ne fait que commencer. Jusqu’ici, Renault n’est pas vraiment parvenu à rentabiliser son offre à batteries, mais espère y arriver avec les nouveaux modèles. Objectif : vendre moins cher tout en gagnant de l’argent.
Beaucoup de constructeurs occidentaux sont confrontés à ce même défi. En s’efforçant d’égaler la marge des autos à carburant, Mercedes, BMW, Stellantis, paraissent en état de le relever, et Tesla excelle dans cet exercice. Mais beaucoup d’autres souffrent. Le groupe VW semble ne pas y arriver, qui tente de réaliser des économies. Ford annonce 4,7 milliards de dollars de pertes en 2023 avec cette motorisation. Quant à Renault, il reconnaît avoir passé 500 millions d’euros d’investissements par pertes et profits en 2023 pour sa Mégane E-Tech, symbole du retour de la marque dans l’électrique.
Des coûts trop élevés et une concurrence féroce (Tesla, les MG4 chinoises) ont compliqué la carrière de ce modèle vendu à partir de 40.250 euros. “Il s’est tout de même écoulé à 47.000 exemplaires en Europe en 2023, ce qui constitue 2,2% de part de marché de l’électrique, relève Fabrice Cambolive, directeur général de la marque Renault. Pour mesurer l’aboutissement du travail sur les coûts, il ne faut pas regarder la Mégane en soi, mais les trois véhicules qui rentrent en production dans notre usine de Douai : Mégane, Scenic et, demain, R5, continue-t-il. Il faut avoir une vision à moyen terme.”
Pour l’heure, chez Renault, la vente de voitures à carburant compense les pertes des électriques. Le succès de la Clio, des SUV Austral, Captur, hybrides ou non, et des modèles Dacia, a permis au groupe d’afficher une marge opérationnelle record de 7,9% sur les ventes (4,1 milliards d’euros) en 2023, et un bénéfice net de 2,315 milliards. Les ventes ont progressé de 13,1%, pour arriver à 52,4 milliards d’euros. C’est une belle performance, pour un groupe qui a connu des turbulences (voir le tableau) lors des dernières années du règne de Carlos Ghosn et de la vente quasi forcée des activités en Russie (Avtovaz / Lada).
“On joue sur le mode famille”
Comment Renault espère-t-il gagner de l’argent avec des voitures électriques ? Gilles Le Borgne, chief technology officer, arrivé en 2020 chez Renault après de nombreuses années passées chez PSA (Stellantis aujourd’hui), est l’artisan d’une stratégie de réduction des coûts, “à la fois sur le développement et la production”, explique-t-il. L’objectif général est de diminuer les charges de 40% d’ici 2027-2028. “Nous effectuons ce travail depuis quatre ans, et le modèle Scenic est le premier à en bénéficier. Pour le développement, nous ne voulons pas dépenser plus de 8% du chiffre d’affaires automobile, au lieu de 12%, soit environ 4 milliards d’euros de capex par an.”
“On avait trop dépensé pour la Mégane, mais on s’est soigné depuis.” – Gilles Le Borgne, CTO de Renault
Renault table aussi sur le partage d’éléments entre modèles. “On joue sur le mode ‘famille’, la première voiture étant la donneuse”, explique Gilles Le Borgne. Certains éléments développés pour la R5 vont passer à la future R4 et à la Micra (du partenaire Nissan, Ndlr). Ce partage peut atteindre les 75%, ‘‘jusqu’à 80%, entre la R5 et la Micra. Cette approche vaut aussi pour les modèles à carburant : les Austral, Rafale et Espace, vers la Dacia Duster et la future Dacia Bigster.
“Nous avons aussi travaillé sur la sous-traitance. Nous avons tiré parti de nos centres de développement en best cost country. Quand je suis arrivé chez Renault, on atteignait moins de 40% d’activité dans des pays comme l’Inde ou la Roumanie. Aujourd’hui, on en est à 48%.’’
Une approche plus saine
Résultat, “la Scenic est moins chère à produire que la Mégane. Nous en avons d’ailleurs repris des éléments pour améliorer les coûts de production de ce dernier modèle. On avait trop dépensé pour la Mégane, mais on s’est soigné depuis.”
Pour Philippe Houchois, analyste à la banque d’investissement Jefferies, Denis Le Borgne est l’homme clef de la stratégie du groupe. “Il a appris à Renault comment bien dépenser. Avant, à l’époque de Carlos Ghosn puis de Thierry Bolloré, l’entreprise investissait beaucoup dans une croissance qui ne venait pas. Il fallait alors réduire les prix pour vendre, mais les coûts fixes, eux, augmentaient.”
Aujourd’hui, l’approche est plus saine. Et sa réussite est vitale car l’électrification pourrait avoir un impact structurel sur le secteur. Carlos Tavares, CEO de Stellantis, se montre par exemple ouvert à des fusions. Face à la pression chinoise, il estime que la course à la voiture électrique abordable pourrait mener à un “bain de sang” dans le secteur.
Luca de Meo mise plutôt sur des partenariats, des accords entre constructeurs pour partager les coûts d’une plateforme électrique. Une sorte d’Airbus de l’auto qui permettrait d’acheter, à plusieurs, batteries et matières premières. Des discussions sont par exemple en cours entre Renault et notamment VW pour une plateforme qui devrait servir à une future Twingo électrique à moins de 20.000 euros.
Chiffres consolidés, couvrant les activités sous le marques Renault, Dacia et Alpine. en milliards d’euros.
‘‘On s’est mariés avec Google’’
Renault a déjà commencé à multiplier les partenariats, pour limiter les investissements et capter de l’expertise. Voyez l’accord avec Google, qui fournira le système logiciel de base qui équipera de futures générations de voitures structurées autour de logiciels et de puces ultra-rapides, le CarOS. “On n’a pas voulu le faire tout seuls, dit Gilles Le Borgne. On s’est mariés avec Google, avec l’entreprise de télécommunications Qualcomm. On bénéficiera de tous les développements sous Android.”
Renault a aussi initié des changements structurels pour attirer investisseurs et partenaires. Le développement de moteurs à carburant est désormais logé dans une entreprise commune, Horse, créée en 2023 avec le chinois Geely, qui possède Volvo.
Majoritairement propriété de Renault, basée à Madrid, Horse fait travailler 9.000 salariés du groupe français et fournira plusieurs constructeurs partout dans le monde. Cette approche a aussi été utilisée pour les voitures électriques (plateforme et software) via la création d’Ampère, avec Nissan et Mitsubishi comme possibles actionnaires minoritaires et acheteurs de technologie.
La R5 est la première voiture à utiliser la plateforme Ampère. Renault espérait l’introduire en Bourse, mais a dû y renoncer car les marchés sont désormais plus frileux face à l’électrification du secteur. Le groupe estime néanmoins générer suffisamment de cash-flow pour financer les développements d’Ampère sans l’aide de la Bourse.
‘‘Il y a un potentiel d’amélioration’’
“Les chiffres de Renault en 2023 sont bons, mais la marge citée de 7,9% contient pas mal d’éléments extérieurs. Celle de l’automobile stricto sensu atteint environ 4,5%, quand Stellantis pointe à 9% sur l’Europe, note Philippe Houchois. Il y a donc un potentiel d’amélioration assez significatif qui pourrait se réaliser à mesure que les produits se lanceront et que les électriques commenceront à gagner de l’argent.”
Le phénomène Dacia Spring
PG
L’électrique la plus vendue du groupe Renault est une Dacia, modèle Spring, dont une nouvelle version a été présentée à Genève. Elle s’est écoulée à près de 60.000 exemplaires en Europe l’an passé, et est la quatrième automobile électrique la plus vendue aux particuliers en Belgique.
Cette petite voiture est tarifée à partir de 18.990 euros. En Flandre, avec la prime de 5.000 euros, elle ne coûte plus grand-chose. Elle est menue et propose une autonomie de 227 km (cycle mixte WLTP).
‘‘Son public est 50% urbain, 50% rural, explique Matthieu Baron, responsable du programme Nouvelle Spring. Elle est utilisée plutôt comme seconde voiture, mais à 15% comme première voiture.’’
La Spring consomme peu car elle est légère, moins d’une tonne. Elle est rentable, estime Philippe Houchois, de la banque d’investissement Jefferies, mais a perdu en France le bénéfice de la prime à l’achat, parce qu’elle est fabriquée en Chine.
Dacia avait récupéré un projet de Renault, le modèle City K-ZE, construit par une co-entreprise chinoise entre Renault, Nissan et Dong Feng. Le nouveau modèle est moins rustique que celui de la première génération. Il reste produit en Chine. “Ce serait économiquement du non-sens de déménager la fabrication de la Spring au milieu de sa vie, surtout qu’il y a des centaines de fournisseurs autour de l’usine”, avance Denis Le Vot, CEO de Dacia.
Voitures électriques
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