Décidément, la SNCB connait toutes les difficultés du monde à conclure le “contrat du siècle”. Voilà maintenant que quatre ONG, soutenue par Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour la Palestine, s’en prennent à la décision de l’entreprise publique en faveur de CAF. L’entreprise ferroviaire espagnole est accusée d’opérer dans les territoires occupés. Un nouveau report de la décision engendrerait des coûts très importants et remettrait sérieusement en cause les objectifs de la SNCB.
L’histoire du “contrat du siècle” est désormais une véritable saga. Jusqu’ici, la SNCB a résisté aux pressions politiques et aux recours. Le dernier en date a été déposé par Alstom et Siemens, débarqués du marché public au bénéfice de l’entreprise ferroviaire CAF, choisie, par deux fois, comme “soumissionnaire préférentiel” par la SNCB. Dans le jargon des marchés publics, cela veut dire que la SNCB aurait dû entrer en négociation exclusive avec l’entreprise espagnole.
L’enjeu est colossal. On parle d’un contrat au potentiel de 600 voitures automotrices “AM 30”, ce qui équivaut à 170.000 places, pour un montant qui dépasse les 3 milliards d’euros. La SNCB a choisi CAF au printemps dernier, comme le révélait Trends-Tendances, puis a confirmé son choix à l’été. Désormais, la décision est à nouveau suspendue à une audience du Conseil d’État, qui se réunit ce vendredi 29 août.
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Le conflit israélo-palestinien s’invite dans le contrat du siècle
Lundi, Le Soir révélait que quatre ONG – Globalize Solidarity-Intal, Vrede, Al Haq Europe et 11.11.11 – se sont associées au recours introduit par les deux entreprises concurrentes. Leur objectif ? Contraindre l’État et son entreprise publique à ne pas être complices de la situation dramatique qui se joue en Palestine. En ligne de mire : la collaboration entre CAF et l’État d’Israël dans plusieurs projets d’envergure, dont une ligne ferroviaire reliant Jérusalem-Ouest aux colonies israéliennes jugées illégales en Cisjordanie.
Francesca Albanese, qui soutient les quatre ONG dans leur initiative, n’y va pas par quatre chemins. “Face à ce qui se passe, on ne peut pas considérer qu’on continue business as usual. CAF est un acteur majeur en Israël, elle fait partie d’un consortium avec l’Etat, ils ne sont pas neutres, ils sont déterminés et savent qu’ils violent le droit international. C’est comme si on collaborait avec l’Afrique du Sud pendant l’apartheid envers lequel un boycott plus général avait été adopté. On ne fait pas des affaires avec des génocidaires.”
Le fait que Siemens et Alstom fassent également du business avec Israël montre qu’il s’agit avant tout d’une alliance de circonstance. Siemens pose toujours problème, reconnaissent les ONG, mais estiment que la pression contre Alstom a porté ses fruits, puisque la multinationale française aurait arrêté ses développements dans l’État hébreux. Le Conseil d’État, lui, doit trancher pour les 2 et 3 septembre.
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Des retards aux coûts considérables
En attendant, c’est tout un pan de la politique de mobilité belge qui reste en suspens. La livraison des premières rames de train était initialement prévue pour 2029. Il est d’ores et déjà acté qu’il y aura un retard de six mois.
Cela pourrait devenir bien pire si le marché public devait être revu. Pour rappel, celui-ci a été lancé en 2022. En relancer un autre peut donc engendrer un retard de plusieurs années, selon la SNCB. Mi-juillet, le ministre de la Mobilité, Jean-Luc Crucke (LE), en avait précisé les conséquences très concrètes : “Un retard de deux ans entraînerait 170 à 200 millions d’euros supplémentaires, avec des pannes, des soucis de ponctualité, une perte de près de 14 000 places, un moindre confort et une accessibilité réduite.” Un coût considérable dû à la maintenance d’un matériel roulant plus anciens et moins fiables. Sans compter le montant épargné sur la baisse de consommation d’énergie qu’aurait pu apporter le nouveau matériel.
En toile de fond, cela remettrait en cause les objectifs de la SNCB. Ils visent à renouveler la moitié du parc ferroviaire pour absorber une hausse estimée de 30% des voyageurs durant la période 2023-2032. Rappelons que 2032 signe la libéralisation du rail, qui s’ouvre à la concurrence. Un énorme défi pour l’entreprise publique, admettait Jean-Luc Crucke, dans une interview accordée à Trends-Tendances.
La SNCB répond
Face à la polémique, la SNCB insiste sur le respect strict du droit européen des marchés publics. Si elle dit “considérer avec effroi” la situation en Palestine, elle rappelle ne disposer d’aucune base légale pour exclure un opérateur économique qui n’est pas visé par des sanctions européennes. À ce jour, aucun instrument juridique contraignant n’interdit à une entreprise publique belge de travailler avec une société présente en Israël ou dans les territoires palestiniens. La SNCB précise qu’elle ne peut se substituer aux institutions belges ou européennes dans la définition de la politique étrangère, et rappelle que les autres concurrents (Siemens, Alstom) sont également actifs en Israël.
Dans une lettre adressée à la SNCB début août, CAF affirme respecter pleinement les normes internationales, y compris en matière de droits humains. L’entreprise promet un rapport sur ses engagements éthiques avant toute signature. Aussi, en vue de montrer patte blanche par rapport à l’emploi qui serait menacé en Belgique, chez Alstom, l’entreprise ferroviaire se dit prête à renforcer ses activités chez nous, voire à assembler localement sous certaines conditions. Une forme de sous-traitance que certaines sources avaient déjà évoquée au Trends-Tendances.