Bientôt 30 millions de voitures électriques, et toutes avec des batteries chinoises

Batterie en forme de lame produite par BYD.
Sebastien Marien Stagiair Data News 

“Retarder le passage à l’électrique est une option” pour ne plus dépendre des batteries chinoises.

La Cour des comptes européenne avertit : il n’est pas envisageable de devenir aussi dépendants des batteries automobiles étrangères comme nous le sommes déjà du gaz naturel étranger. D’ici à 2035, 30 millions de voitures électriques devront circuler sur les routes européennes. Bientôt, nous serons confrontés au choix suivant : soit repousser cet objectif ou mettre en péril notre souveraineté économique.

Avec la guerre en Ukraine, notre dépendance au gaz naturel en provenance de l’étranger est devenue un évidence. Mais le gaz naturel et tous les autres combustibles fossiles perdront de leur importance dans les années à venir, car l’Union européenne vise la neutralité carbone d’ici à 2050. Le passage à la voiture électrique est d’ailleurs l’un des fers de lance de cet objectif: d’ici à 2035, aucune voiture, roulant au diesel ou à l’essence, ne pourra plus être vendue dans l’Union européenne.

Une bonne idée en soi, mais qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour notre souveraineté économique, estime la Cour des comptes européenne, car 76 % de la production des batteries est actuellement entre les mains de la Chine. Et tout indique que la tentative de rattrapage européenne est trop lente : les producteurs quittent l’UE et se tournent de plus en plus vers d’autres pays, comme les États-Unis, qui subventionnent la production de minerais et de batteries.

D’autre part, l’Europe peine à se procurer les matières premières dont elle a besoin. Nous les importons d’un petit groupe de pays, avec lesquels nous n’avons pas d’accord commercial. En conséquence, les producteurs doivent supporter des prix élevés des matières premières. Alors que nous avons ces matières premières, ici en Europe, mais il faut 12 à 16 ans pour ouvrir une nouvelle mine et la faire contribuer à la production de batteries. Les contrats en cours d’élaboration permettent aux pays européens de produire des matières premières pendant trois ans au maximum.

“Il ne faut pas sous-estimer l’importance stratégique des batteries”, estime le professeur Rudy Aernoudt (UGent), spécialisé dans la finance d’entreprise et la politique entrepreneuriale  européenne. Pour lui, il est trop simple de se dire : “les batteries viennent de Chine, mais nous continuons à construire les voitures en Europe”. D’une part, cela va au-delà des marques de voitures neuves, ensuite la batterie représente 40 % du coût de la voiture. Sans oublier que les batteries ont de nombreuses autres implications dans notre avenir électrifié. Prenons l’exemple des panneaux solaires ou des turbines éoliennes.

Quelle serait, selon vous, la bonne stratégie à adopter pour contrer les grands producteurs que sont la Chine et les États-Unis, qui attirent les entreprises grâce à leurs subventions ?

RUDY AERNOUDT. “Je crois en une stratégie à deux volets. En 2020, l’Europe a enfin osé prononcer à nouveau le mot “industrie”, qui était presque devenu tabou. Une nouvelle stratégie industrielle a alors été élaborée et la production de batteries s’inscrit dans ce cadre. Il est regrettable qu’il faille 12 à 16 ans pour extraire des matières premières essentielles présentes en Europe. Ce processus devrait être accéléré en assouplissant les réglementations européennes. Pendant la crise énergétique, les pays ont rouvert leurs mines de charbon, mais l’extraction des matières premières critiques est apparemment beaucoup plus lente. Soyons honnête : nous n’y arriverons pas tout seuls avec notre propre industrie.”

“Le second volet se trouve dans la loi sur les matières premières de l’UE. Nous devons non seulement exploiter nos propres mines, mais aussi conclure des accords commerciaux intéressants avec les pays en provenance desquels nous importons déjà des matières premières. Pensez à l’Australie et aux pays africains. La Chine mène une opération de charme en investissant stratégiquement dans les infrastructures en Afrique, entre autres. En retour, elle a accès aux matières premières nécessaires pour la production de batteries. Nous devons réagir à cette situation.

La Cour des comptes européenne ne mâche pas ses mots. Dans l’état actuel des choses, nous devrons bientôt repousser notre objectif d’interdire la vente de voitures thermique à partir de 2035. Ou nous renoncerons à notre souveraineté économique.

AERNOUDT. “Cela semble provocateur, mais il y a un fond de vérité là-dedans. C’est en effet comme choisir entre la peste et le choléra, mais je préférerais que nous reportions notre objectif de 2035 si nous pouvions renforcer notre industrie afin de pouvoir fabriquer nous-mêmes ces batteries.

“Ne vous méprenez pas, je suis favorable à une transition durable, mais il n’est pas sain que l’industrie, en Belgique, par exemple, ne contribue que pour 16 % à l’économie. C’est d’ailleurs aussi le cas dans d’autres pays européens. Il faut oser tirer les leçons du passé. Lors de la crise sanitaire, les masques buccaux ont d’abord été déconseillés en Belgique parce que nos entreprises textiles ne pouvaient tout simplement pas en produire suffisamment. C’est de la folie. Pour les biens stratégiques – et les batteries en font partie -, l’UE doit renforcer son indépendance.

Pensez-vous que le passage à la voiture électrique se fait trop rapidement ?

AERNOUDT. “Oui, je le pense. Je crois à la voiture électrique et je pense qu’il faut se préparer à adopter une position stratégique pour les batteries. Mais en attendant, il n’est pas inutile que l’Europe explore d’autres solutions. L’Allemagne a défendu, avec force, la survie du moteur thermique s’il peut fonctionner avec des carburants neutres en carbone. C’est certainement une possibilité qui mérite d’être explorée. Ne commettons pas la même erreur que lorsque nous avons voulu faire une croix sur les centrales nucléaires trop tôt”.

Mais cela ne freine-t-il pas aussi l’enthousiasme autour de la production de batteries en Europe ?

AERNOUDT. “L’un n’exclut pas l’autre. Quel est l’intérêt d’expédier en masse, de Shanghai à Anvers, des batteries dans des conteneurs? L’Europe a présenté sa stratégie de sécurité économique la semaine dernière. Cela signifie qu’il faut préserver l’ouverture du marché tout en renforçant notre industrie et nos technologies stratégiques. Il s’agit notamment de l’approvisionnement énergétique  des infrastructures de sécurité et de la cybersécurité. La production de batteries est également d’une grande importance stratégique. Produisons-en davantage nous-mêmes avant de les importer en masse de Chine”.

Cela semble protectionniste…

AERNOUDT. “Ce n’est pas la même chose que le protectionnisme, car les accords commerciaux font également partie de la stratégie pour notre sécurité économique. Par exemple, nous allons devoir discuter avec l’Australie et les pays africains pour obtenir les matières premières nécessaires à la fabrication des batteries. Je pense qu’il ne faut pas non plus sous-estimer notre position compte tenu du soutien que nous apportons encore aux pays africains. Je parlerais plutôt d’une “autonomie stratégique ouverte”.

“Automatiquement, la réalité dans laquelle nous nous retrouvons maintenant parle moins de mondialisation, nous mentionnons à nouveau – comme avant – des blocs de la Chine, de l’Amérique et de l’Europe. Chaque bloc est en quête d’indépendance stratégique et économique. Aux États-Unis, par exemple, la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) subventionne la production domestique. Les entreprises qui produisent des batteries peuvent bénéficier d’un soutien supplémentaire. L’Europe souhaite également se renforcer en accordant des subventions à l’ European Battery Alliance. On assiste ainsi à une sorte d’appel d’offres dans différents secteurs d’activité. C’est une répétition de l’histoire.

Quelle est, selon vous, la prochaine étape ?

AERNOUDT. “Nous devons passer du niveau de jeu égalitaire au niveau de jeu à la loyal. Tout le monde est invité à participer au marché européen, mais seulement s’il respecte les mêmes règles que nos entreprises. La Chine est le plus grand importateur de produits européens, nous pouvons donc frapper du poing sur la table. Ce pays se classe tout en haut de l’échelle du Regulatory Restrictiveness Index de l’OCDE. En d’autres termes, il impose les règles les plus strictes possibles pour limiter lui-même le marché. Il s’agit donc d’une relation asymétrique que nous devons rendre symétrique”.

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