L’art délicat de la communication en temps de crise

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Selon le spécialiste du deuil David Kessler, la crise que nous traversons s’apparente à un deuil collectif anticipé. Un point de vue particulièrement éclairant aux yeux de la conseillère en marketing Laurence Cordonnier : “En pareilles circonstances, nous sommes assaillis par un flot d’émotions qui se succèdent et complexifient notre communication.”

Doux et piquant à la fois, le marketing savamment assaisonné permet aux entreprises de délivrer le bon message, au bon moment et à la bonne cible. Mais quand une activité est chamboulée ou un établissement fermé, ou encore lorsqu’un secteur est en première ligne – on pense notamment au médical, au maraîchage ou à la logistique en ce moment -, il n’est pas évident de trouver les mots justes pour toucher son public. Tenaillées par l’urgence, et parfois la peur au ventre, les entreprises courent le risque d’accumuler les maladresses.

La crise du coronavirus est un bad buzz à l’échelle planétaire

Communiquer ou pas

“Dans ces moments d’incertitude, impliquant des enjeux sanitaires, sociaux et économiques de taille dans le monde entier, il est difficile pour une marque de savoir quelle attitude adopter”, souligne Carole Haine, spécialiste en branding. Se posent alors les questions de savoir comment communiquer et, plus fondamentalement, de savoir s’il faut communiquer. Et pour cette passionnée du monde digital, la réponse est oui, à la seule condition que la stratégie de communication soit pensée intelligemment et réponde à une démarche authentique. “Les actions qui auront été mises en place resteront gravées dans la mémoire des consommateurs une fois cette crise derrière nous – et elle le sera un jour. Le moment est peut-être venu pour les entreprises d’établir un climat de confiance et de renforcer la relation client.”

Pour Laurence Cordonnier, l’objectif est d'”inspirer”, un verbe qu’elle préfère nettement à “convaincre”. Spécialisée en marketing et comportement humain, elle cherche à optimiser l’impact des actions commerciales de ses clients, qu’il s’agisse du lancement d’un nouveau produit ou projet, d’une opération de communication stratégique, ou encore d’une situation délicate de type bad buzz.

“La crise du coronavirus est un bad buzz à l’échelle planétaire. Jamais encore notre génération d’actifs n’avait été sommée de rester cloîtrée chez elle”, affirme Laurence Cordonnier. “Le spécialiste du chagrin et du deuil David Kessler a déclaré le mois dernier lors d’une interview accordée à la Harvard Business Review que nous étions en deuil. De manière collective et anticipée. Le monde a changé et nous réalisons que les choses seront différentes à l’avenir.”

Dans ce contexte, chacun passe par les émotions classiques liées au deuil : déni, colère, négociation, tristesse et, finalement, acceptation. Une fois ces différentes phases achevées, l’enjeu pour chaque entreprise (ou entrepreneur) est de se concentrer sur les portes qui s’ouvrent plutôt que sur celles qui se ferment. Les opportunités de participer à un monde meilleur sont nombreuses, pour autant que l’on soit ouvert au changement et que l’on accepte de se réinventer.

Carole Haine
Carole Haine© Idrisse Hidara

Trois questions

Alors comment communiquer efficacement sans avoir l’air de tirer parti de la situation ? “En se posant trois questions essentielles”, répond Laurence Cordonnier. “Premièrement, il s’agit de s’interroger sur ses valeurs et de respecter la raison d’être de son entreprise (pourquoi faites-vous ce que vous faites ?).” Une idée que défend également Carole Haine. “En effet, les entreprises fidèles à leurs principes s’assureront que le message envoyé trouve un écho auprès de leur cible. Les opportunistes ou celles qui ne joueront pas leur rôle vis-à-vis des consommateurs subiront le contrecoup.”

Ensuite, il y a lieu de se demander comment se rendre utile. “Par la nature même de leurs activités, des ateliers de couture se sont reconvertis dans la confection de masques et de blouses opératoires”, rappelle Laurence Cordonnier. Et si un virage s’opère, il doit se faire dans le respect de la philosophie de la marque, ajoute Carole Haine. “Forte d’un ADN marqué par l’artisanat, la distillerie de Biercée a par exemple décidé de céder son alcool à des pharmacies pour aider à la production de gel hydroalcoolique.”

Toutefois, pour contribuer à l’effort commun, ces actions ne doivent pas obligatoirement être bénévoles ou en lien direct avec l’urgence sanitaire. Un des clients restaurateurs de Laurence Cordonnier partage des recettes sur les réseaux sociaux dans le simple but d’égayer le quotidien des personnes confinées. Un autre livre ses oeufs de Pâques puisque sa boutique est fermée. Et bien sûr il les vend.

Enfin la troisième question est de savoir ce que nous ferions si nous n’avions pas peur. Car lorsque nous sommes guidés par notre anxiété et nos angoisses primaires, nous agissons différemment. “En situation de danger, nous adoptons inconsciemment l’une des trois réactions suivantes : la fuite qui peut être assimilée à une forme de déni, le combat susceptible de se traduire par un message commercial agressif, et l’immobilisme ou l’absence de communication”, détaille Laurence Cordonnier. L’enjeu est donc de se détacher de cette peur et de se poser la question suivante : comment ai-je envie de communiquer, avec simplicité et sincérité, ici et maintenant ?

Laurence Cordonnier
Laurence Cordonnier© Anthony Dehez

Après la tempête

Laurence Cordonnier est persuadée que le défi en termes de communication, aussi bien interne qu’externe à l’entreprise, sera humain à l’issue de cette crise : “Le monde est insécurisé, et les entreprises auront tout intérêt à montrer ce qu’elles ont dans le ventre, tant à leurs clients qu’aux talents qu’elles souhaitent recruter ou conserver au sein de leurs équipes. Les travailleurs auront également eu le temps de se poser des questions, notamment au sujet de leurs méthodes de (télé)travail mais aussi du sens de leur métier.”

Ce shoot d’humanité représente une opportunité de faire le point

Mais ces remises en question liées à la crise actuelle ne sont-elles pas un phénomène de mode qui risque de s’essouffler lorsque la tempête sera passée ? N’aurons-nous pas grand besoin de futilités après la crise ? “Certaines personnes en auront peut-être envie, le monde n’est pas noir ou blanc. Mais pour certains, un barbecue entre amis deviendra le luxe ultime, en lieu et place d’une paire de chaussures de marque. La crise sanitaire et économique que nous traversons entraîne des changements profonds qui affectent notre quotidien, sans doute plus que le terrorisme qui a sévi au cours de la dernière décennie. Et cela va laisser des traces dans le comportement de chacun”, assure Laurence Cordonnier.

Ce shoot d’humanité représente également une opportunité de faire le point. “C’est l’occasion pour les marques de démarrer une phase pivot au cours de laquelle elles peuvent revoir leur identité sous un angle bienveillant et porteur de sens”, souligne Carole Haine. D’autres ont été stoppés dans leur élan. Ces entrepreneurs peuvent profiter de ce “break” pour se demander si la forme qu’ils donnaient à leur activité leur correspondait réellement. S’ils ne sont pas laissé emporter par un élan, exaltant certes, mais peut-être contraire à leurs réels besoins, envies ou valeurs. “Pour répondre à ces questions, une promenade en forêt s’avère souvent bénéfique”, conclut Laurence Cordonnier avec le sourire.

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