Trump, grand vainqueur de la com’ politique
Donald Trump n’a pas seulement remporté l’élection présidentielle, il a aussi gagné la bataille de la communication politique en jouant la carte du ‘‘trash talk’’. Explications avec Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’Ihecs, l’ULB et Sciences Po Paris.
La victoire de Trump est-elle d’abord celle de sa communication?
Nicolas Baygert: Oui. Avec Trump, on est entré dans un nouvel âge d’or de la communication politique. Ça a commencé en 2016, mais il y a vraiment eu une rupture avec cette nouvelle campagne et cet effort beaucoup plus décentralisé qui repose sur différents acteurs, notamment le rôle qu’a joué Elon Musk avec la caisse de résonance que le réseau X a offert à sa campagne. On est dans le paradigme du ‘‘trash talk’’ politique qu’on retrouve à la fois dans les véritables shows que Trump a organisés tout au long de sa campagne, qui mêlent stand-up et discours politique, et dans un style qui est vraiment devenu sa marque de fabrique et qui permet à chaque fois d’authentifier son statut anti-système. C’est une communication politique qui rebondit sur chaque événement de campagne et sur chaque attaque avec une ironie grinçante et qui, finalement, fonctionne assez bien. C’était le cas avec le camion poubelle, avec son apparition au McDo, etc. Donc il y a presque un côté judoka chez Trump qui réussit à capitaliser sur chaque pique de l’adversaire.
Cet art de la mise en scène a-t-il pu faire basculer des indécis?
Je pense que Trump s’est d’abord adressé à sa base. Ensuite, il a ciblé les jeunes en particulier. Donc là, ça a été plutôt une bonne stratégie puisqu’on voit, dans les premières analyses, qu’il y a aussi un vote jeune qui est assez important pour Trump. En fait, je dirais qu’il a réussi à ‘‘mèmifier’’ la communication politique à coups de ‘‘mèmes’’ sur les réseaux sociaux là où Joe Biden l’avait en quelque sorte momifié. Il y a eu des performances médiatiques qui étaient divertissantes, mais surtout il y a eu des choix qui ont été faits, notamment le fait de miser les podcasteurs et les humoristes qui ne sont pas forcément connus par un électorat plus âgé, mais qui plaisent un public jeune. Ces jeunes sont souvent centrés sur cette culture internet, la culture du ‘‘lol’’, et qui valorise aussi cet humour provocateur et ce côté anti-système. Donc c’est clair qu’il y a aujourd’hui une sorte de césure, de rupture avec la médiatisation traditionnelle du politique. Et ça, c’est quelque chose que l’équipe de Trump a su saisir tout au long de cette campagne.
Cela veut-il dire que c’est définitivement la victoire de l’outrance?
Oui et c’était déjà le cas en 2016. Il y a eu plusieurs articles scientifiques qui portaient à l’époque sur ce sujet-là, la stratégie de l’outrance, où la véracité paraît finalement secondaire face à l’effet de scène. C’est quelque chose qui est totalement assumé, notamment par son colistier J.D. Vance qui apparaît pourtant comme quelqu’un d’un peu plus sérieux et d’un peu plus sobre dans sa manière de s’exprimer. Il faut quand même comprendre qu’il y a aussi une dimension ironique, un humour qui est parfois incompris du côté des analystes et observateurs plus sérieux de la vie politique. C’est un humour qui fonctionne très bien dans les cercles de ce qu’on appelle ‘‘l’alt-right’’ et qui dépasse les bornes de manière tout à fait assumée en ciblant les minorités, avec une sorte de tropisme masculiniste qui est totalement décomplexé. Et tout ça fait rire ! Donc, il divertit tout autant qu’il ‘‘réinforme’’ politiquement face aux récits dominants dans les médias traditionnels.
Vat-on vivre cela en Europe ? Les politiciens doivent-ils ‘‘trumpiser’’ leur communication pour se faire élire?
Je pense qu’il y a effectivement une normalisation de ce que j’appelle le ‘‘trash talk’’ politique et qui bien sûr pose question. Il y a une transformation des normes de la communication politique qui est en cours et qu’on peut observer depuis une petite dizaine d’années. En réalité, Trump a été une sorte de précurseur et cela a un impact sur la culture politique, y compris côté européen. Les partis populistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont le vent en poupe depuis des années et remportent des victoires en utilisant aussi ce registre de discours plus offensif, voire outrancier. En quelque sorte, Trump a fait non pas évoluer mais totalement exploser ce qu’on appelle parfois le champ du dicible. Ce qu’on reprochait avant à Trump, à savoir une extravagance communicationnelle va, je pense, se normaliser.
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