Tanguy Struye : « Il faut prendre le revanchisme de Trump au sérieux »

Donal Trump, le 13 juin 2023.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Malgré ses ennuis judiciaires, le candidat républicain est toujours soutenu par les siens et pourrait revenir à la Maison-Blanche en 2024, dit le professeur de relation internationales. Son retour marquerait un tournant majeur.

Tanguy Struye, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, décode la lame de fond qui pourrait aider Donald Trump à prendre sa revanche sur Joe Biden, l’année prochaine, en dépit de ses nombreuses casseroles judiciaires. Cela changerait la face du monde.

Que risque Donald Trump avec ce dossier concernant la détention de documents confidentiels ?

Au niveau juridique, il est clair que sa situation est bien plus grave que dans le cas des procès pour ses affaires privées auxquels on a assisté ces derniers mois. Cela concerne la sécurité de l’Etat et il a enfreint toute une série de règles et de lois. Apparemment, même s’il faut bien sûr attendre le procès, le dossier est quand même solide. Cette fois-ci, il pourrait être condamné. J’ai pu voir, entre autres sur Fox News, l’ancien ministre américain de la Justice sous Donald Trump expliquer que le dossier étant quand même bien construit.

En même temps, les partisans de Trump sont présents à Miami, lui-même plaide non-coupable et présente cela comme un complot. Cela peut-il générer une dérive violente ?

Il ne faut pas oublier que Trump est un populiste autoritaire, un autocrate. Il n‘est pas mieux que quelqu’un comme Poutine ou, dans une moindre mesure, Erdogan en Turquie ou Modi en Inde. Ce sont des gens qui veulent un pouvoir fort et qui n’ont pas hésité, ces dernières années, à affaiblir les institutions. Quand Trump était président, on a bien vu ses attaques contre le deep state : tout le monde serait contre lui, alors qu’au finale c’est simplement la bonne gouvernance.

Et le fonctionnement normal des institutions.

Exactement. On se retrouve aujourd’hui face à un homme qui est prêt à tout et qui a une base incroyablement solide. Il n’y a pas un seul de ses supporters hardcore au sein du mouvement Make America Great Again qui doute. Il peut tout se permettre. Je me rappellerai toujours de cette phrase de sa campagne électorale de 2016 : « Je pourrais encore tirer sur quelqu’un sur la Ve avenue à New York, je resterais intouchable.

C’est exactement ce qui s’est passé ces sept dernières années avec, il faut le dire, une grosse complicité du Parti républicain. Déjà, ce dernier n’a plus rien avoir avec ce que l’on a connu pendant des décennies, c’est devenu un parti extrêmement populiste, à la limite de l’extrême droite pour certains mandataires. Alors que les preuves sont là, dans ce dossier judiciaire concernant les documents confidentiels, la plupart se focalisent sur Joe Biden qui aurait fait la même chose, alors que ce n’est pas comparable. Ils ne le lâchent pas, alors qu’ils ont eu un nombre incalculable d’opportunités de le faire. C’est très inquiétant de voir cette évolution.

Ce qui se passe le renforce-t-il ? Trump est bien placé pour les primaires républicaines, d’autant plus qu’il y a un grand nombre de candidats, non ?

Exactement. Le problème auquel nous sommes confrontés avec ces primaires, c’est que son rival, le gouverneur de Floride De Santis, est entré dans une logique consistant à faire pire que Trump. Il perd beaucoup de crédibilité, d’autant que les électeurs préfèrent l’original à la copie. A côté de cela, il y a des candidats plus classiques du parti républicain comme Nikky Hailey ou Mike Pence, mais ils sont tous sur le même positionnement : ils seront une dizaine à toucher une petite partie du parti. On risque d’assister à un duo De Santis – Trump, mais De Santis a intérêt à se réveiller pour convaincre qu’il est une vraie alternative.

Pour être clair : les problèmes judiciaires de Trump ne l’empêcheront pas de se présenter ?

Non. La question est de savoir si les soutiens de Trump vont changer de point de vue par rapport à sa candidature. Après l’affaire actuelle, le dossier le plus sensible est celui concernant la Géorgie, quand il a clairement tenté d’influencer l’élection, enregistrements à la clé. L’establishement républicain pourrait décider de le lâcher, mais c’est loin d’être ce que l’on voit aujourd’hui.

L’enjeu, c’est quand même qu’il pourrait faire face à un Joe Biden vieillissant en 2024. La chance d’une revanche est réelle pour lui ?

La chance d’une revanche est tout à fait réelle, je l’avais déjà dit dès le départ en 2021. Donald Trump est dans cette logique de revanche, c’est ce qui motive son fonctionnement. A côté de cela, on a un Joe Biden qui, en toute objectivité, a plutôt un bilan positif au niveau économique, politique étrangère, environnement, retour dans les institutions internationales… Mais, comme souvent, les gens ne s’intéressent pas vraiment au bilan, mais plutôt à l’image. Beaucoup, aux Etats-Unis, ont l’image d’un président vieillissant.

Sa récente chute l’a confirmé…

Voilà. Malheureusement, cela vaut pour tout le monde politique, chez nous aussi, on s’appuie davantage sur les perceptions que sur les faits. On retiendra surtout son image d’un homme de 82 ans, avec ses chutes. Face à lui, il y a un Trump, qui est âgé lui aussi mais qui essaie de monter qu’il est en meilleure forme.

Cette élection, c’est un enjeu considérable pour le monde, non, notamment pour la guerre en Ukraine ?

Si Trump devenait à nouveau président, cela aurait d’énormes conséquences. Sur la guerre en Ukraine, évidemment, mais aussi sur les relations transatlantiques. Il y aurait une volonté, probablement, de se rapprocher de la Russie et de la Chine, dans des logiques autoritaires.

Et de confrontation ou c’est plus ambigu ?

C’est plus ambigu. L’approche de Trump en matière de politique étrangère a toujours été : « vous nous foutez la paix, nous vous foutons la paix ». On l’avait vu pendant le premier mandat, c’était une politique beaucoup plus isolationniste : ne pas être dans des alliances ou des institutions internationales, mais investir un maximum dans le transactionnel, les sanctions, la puissance militaire, pour frapper et pratiquer le politique du marteau pilon si on les ennuie. C’est typique du courant qu’il représente, le jacksonisme, qui n’est pas patriote au sens où nous l’entendons, mais qui est vraiment dans une logique nationaliste, America First : c’est nous et on se moque du monde.

Il y a donc une vraie différence d’avec Biden, qui place lui aussi les intérêts américains avant tout ?

De toute façon, chaque Etat agit en fonction de son intérêt national. Cela m’amuse que les Européens osent critiquer les Américains de ce point de vue : nous faisons exactement la même chose. Nous devrions être moins hypocrites. On voit que Joe Biden a pris des mesures pour protéger l’économie américaine, mais nous y pensions aussi et nous avons fait de même. Quand Macron parle de « troisième voie », il va à l’encontre des relations transatlantiques.

Mais cela risque clairement de s’accentuer avec l’administration Trump.

Une certitude : il faut prendre la perspective Trump au sérieux ?

Trump est un candidat très sérieux et cela aura des conséquences pour les relations transatlantiques, c’est évident. Cela n’aura pas forcément des conséquences sur le système international parce que beaucoup de pays comme la Russie, la Chine, l’Inde ou d’autres pays du Sud sont dirigés par des régimes qui sont loin d’être démocratiques. On risque de se trouver dans un monde basé sur l’intérêt national au sens strict, où chacun va tenter d’accroître sa sphère d’influence.

Les coopérations seront plus compliquées, ce seront les logiques régionales qui vont s’imposer. Sous Trump, il est évident pour moi que les Américains mettront l’accent sur le Mexique, le Canada et le Pacifique, moins sur l’Europe. Mais cette évolution est déjà en cours : les blocs défendent leur économie, leurs secteurs stratégiques, leur sphère d’influence… L’Europe veut aussi reprendre le contrôle sur des secteurs stratégiques.

Cela va être passionnant à suivre…

Passionnant, mais dangereux. Comme toutes ces puissances sont dans une logique civilisationnelle, identitaire, cela ne laisse plus beaucoup de place pour la négociation. Concernant l’Ukraine, la logique d’un Trump serait d’être pragmatique. De forcer les Ukrainiens à négocier au sujet des territoires occupés par les Russes. Parce que même si ce n’est pas très juste, cela ramènerait de la stabilité. Ce serait une forme de reconnaissance qu’il s’agit de leur pré carré.

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