Les Etats-Unis sont-ils devenus une oligarchie ou une ploutocratie ?
Les deux concepts montrent une concentration du pouvoir dans les mains d’une minorité, mais les critères qui les définissent diffèrent. Et plus important: que peut-on y faire ?
Maintenant que Donald Trump est devenu le meilleur ami de la plupart des milliardaires de la Tech, les termes oligarchie et ploutocratie sont sur toutes les lèvres. Mais est-ce la même chose ? Pas tout à fait.
L’oligarchie désigne un système où le pouvoir est concentré entre les mains d’un petit groupe d’individus et où les institutions (parlement, gouvernement, etc.) ne sont plus que des coquilles vides. Des façades derrière lesquelles se cache le véritable pouvoir. Les décisions sont donc prises dans l’intérêt des dominants par une minorité et sans consultation réelle de la majorité. Ce petit groupe peut être composé d’aristocrates ou d’une élite dirigeante, de militaires, de bureaucrates ou encore de leaders religieux. Soit une toute petite fraction de la société.
Ainsi l’oligarchie aristocratique a dominé les monarchies médiévales européennes et on a observé une oligarchie militaire dans certaines dictatures plus modernes. La République de Venise était elle aussi dirigée par une élite marchande pendant plusieurs siècles. Il existe aussi ce qu’on appelle l’oligarchie technocratique ou une technocratie. Dans ce cas le pouvoir est exercé par une élite d’experts ou de techniciens, supposés compétents pour gouverner selon des critères rationnels. Dans toutes ces formes d’oligarchie, le pouvoir est acquis indépendamment de la richesse.
Le règne des riches
Ce n’est que quand la richesse est l’unique critère d’ascension au pouvoir qu’on parle de ploutocratie. La ploutocratie est donc une sous-catégorie d’oligarchie. Plus précisément, la ploutocratie est un système où la richesse est la principale source de pouvoir politique, économique et social. Elle repose sur une concentration des richesses entre les mains d’une élite déjà très riche. Une élite de milliardaires qui utilise cette position pour influencer les décisions collectives dans son propre intérêt au détriment de l’intérêt général. C’est, plus concrètement, le règne des très riches.
Le terme ploutocratie vient de “ploutos” (la richesse) et “cratos” (le pouvoir), en grec ancien. Mais son utilisation moderne date de 1838 sous la plume de John Neal pour désigner, déjà, les Rockefeller, JP Morgan et consorts. Ceux qu’on appelait la bande des barons voleur au 19e siècle avaient des intérêts dans les chemins de fer, la finance ou encore le pétrole. Ils étaient du même acabit que les nouveaux empereurs de la Silicon Valley. Ils avaient eux aussi une influence sur les gouvernements. Pour beaucoup, on assiste au retour d’une ploutocratie aux USA. A la différence que celle-ci ne s’intéresse guère à la gouvernance au quotidien. Eux, ce qu’ils veulent, ce n’est plus d’Etat du tout.
Selon Christine Kerdellant auteur du livre Milliardaires plus forts que les Etats (éditions de l’Observatoire, 2024) « ce n’est pas la fortune des milliardaires qui fait leur puissance, mais leur puissance qui fait leur fortune ». Car ce qui compte aujourd’hui “ce sont ces capacités que les États n’ont pas non plus, ou n’ont jamais eues”, dit-elle encore. « Dans certains domaines, ils remplacent les États qui n’ont plus les budgets ou leur tiennent tête. Contrairement à un Rockefeller qui ne voulait faire que de l’argent, Musk ce qui l’intéresse vraiment ce n’est pas forcément d’augmenter sa fortune, mais « bien l’immortalité et l’espace. Soit là où les humains normaux ne peuvent pas aller »
Comment en est-on arrivé là ?
Comme le précise l‘OECD, sans argent, il est même impossible de se porter candidat aux élections présidentielles aux États-Unis. Par exemple, à eux deux, Donald Trump et Kamala Harris ont levé près de 2,75 milliards de dollars lors de la dernière course à la présidence, selon les données de l’ONG Open Secrets.
Ça ne surprendra plus personne, les mécanismes démocratiques peuvent être manipulés par l’argent. Via les financements de campagnes électorales, lobbying, corruption, contrôle des médias, etc. Leur immense fortune, leur a donc servi de levier pour s’immiscer au plus près du pouvoir. Cette trop grande proximité de la classe dirigeante avec le monde de l’argent avait déjà atteint un pic avec le système Bush-Cheney. Et elle va encore monté d’un cran avec Trump. D’autant plus que ces milliardaires avec les réseaux sociaux ont aussi « contribué à hystériser le débat et à faire monter les extrêmes.”, dit encore Christine Kerdellant. “C’est un déplacement de la fenêtre d’Overton : on rend audible et tolérable quelque chose qui ne l’était pas.” selon Nicolas Van Zeebroeck, professeur d’économie numérique à la Solvay Brussels School of Economics.
Leur montée en puissance ne date d’ailleurs pas des derniers mois et de l’arrivée spectaculaire de Musk à côté de Trump.
En réalité les conditions de la ploutocratie remontent à une dizaine d’années. Et durant cette décennie, les USA et l’Europe les ont laissés croître, au point qu’ils sont aujourd’hui “to big, to fail” et qu’on n’ose plus s’attaquer à eux. La responsabilité est donc presque générale.
Aujourd’hui, ils sont “planétaires”, “hors d’atteinte des collecteurs d’impôts et des régulateurs”, préciseChristine Kerdellant. “Ils sont partout dans nos vies. Ils décident de l’avenir du monde, ils nous imposent leur modèle de société.” Et si Trump n’est plus tout jeune, Musk lui l’est encore et peut rester jusqu’à 80 ans (si Trump ne l’ejecte pas avant). Autant dire que son règne peut s’éterniser. Littéralement, s’il parvient à décrocher l’immortalité.
Que peut-on y faire ?
La bonne nouvelle c’est qu’il est possible de tenter de les ramener à leur place. La Chine, par exemple, semble y être parvenue. Certes de façon peu démocratique et brutale, mais, dans ce pays, les milliardaires de la Tech ont été mis au pas. Sentant leur souffle dans sa nuque, Xi Jinping s’est énervé. Et Jack Ma, à la tête d’Alibaba (l’équivalent d’Amazon) a eu droit à la “torture blanche“. Pendant trois mois, il a été enfermé dans un hôtel et on lui a nettoyé le cerveau. De telles mesures ne sont bien entendu pas applicables en Europe et aux États-Unis. Mais rien n’empêche de contrecarrer ces ploutocrates et de protéger la démocratie par d’autres moyens.
Le premier front pourrait venir des milliardaires eux-mêmes. Près des deux tiers des millionnaires, dont le Belge Bruno Fierens, estiment que l’influence des ultra-riches sur la présidence de Trump représente une menace pour la stabilité mondiale, précise Oxfam. Plus de 370 millionnaires et milliardaires viennent de signer aujourd’hui We Must Draw The Line » (« Nous devons fixer une limite ») une lettre ouverte adressée aux leaders mondiaux présents à Davos leur demandant de fixer une limite à la richesse extrême en taxant les ultra-riches.
On peut également y lire qu’«il est facile de considérer l’élection d’un personnage tel que Donald Trump comme une aberration, mais ce n’est pas le cas. Donald Trump, ainsi que son soi-disant « premier pote », Elon Musk, incarne la conséquence ultime et inévitable de décennies d’inaction de la part des dirigeants mondiaux pour freiner l’inégalité extrême. Si les représentants officiels veulent faire quelque chose pour assurer la stabilité de nos démocraties, ils n’ont qu’à trouver la volonté politique de taxer une fois pour toutes les personnes riches. »
On pourrait aussi les limiter économiquement. En les empêchant, par exemple, de racheter toutes les start-up qui menacent leur puissance. Jusqu’à présent, 5 de ces géants de la Tech ont racheté pas moins de 900 entreprises pour tuer toutes concurrences. Il devrait aussi être possible de mieuxrépartir les recettes de ces entreprises entre les pays où elles font de l’activité et pas seulement dans le pays où elles ont leur siège. Mais rien n’est vraiment possible tant que les États-Unis bloqueront toutes les mesures permettant de diminuer leur pouvoir. Et avec le nouveau mandat de Trump, les milliardaires de la Tech se sont offert au minimum quatre années de coudées franches.
Citoyens réveillez-vous !
On a tendance à l’oublier, mais le citoyen a également un rôle à jouer. Il y a bien sûr le boycott, mais ce n’est pas toujours si simple. Il peut aussi tout simplement reprendre sa position de citoyen dans une société. Ces dernières décennies, ce rôle a été délaissé pour ne plus que se concentrer sur sa bulle, oubliant que l’on vit dans un ensemble interconnecté. Voter ne suffit pas, il faut s’investir davantage pour que notre société reste qualitative. Il faut se battre pour préserver les droits civils, une presse libre ou encore d’une justice indépendante. Sous peine d’un avenir bien sombre, car rien n’est définitivement acquis.
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