La crise démographique, autre difficulté majeure pour l’économie russe

Poutine
Poutine © Belga

La crise démographique qui frappe la Russie s’est empirée depuis le début du conflit. Beaucoup de jeunes ont été mobilisés ou ont fui. Et puis il y a tous ceux tués au combat qui ne reviendront jamais. Ce manque de main-d’œuvre représente une difficulté majeure pour une économie en pleine restructuration.

L’alerte a été donnée mi-avril par des experts de la Haute école de commerce (HSE) de Moscou: selon leurs scénarios, la Russie devra accueillir en moyenne entre 390.000 et plus d’un million de migrants chaque année jusqu’à la fin du siècle si elle ne veut pas voir sa population décliner irrémédiablement. Le constat est alarmant, mais il traduit “une situation démographique générale qui n’est vraiment pas très bonne”, déclare à l’AFP Arnaud Dubien, le directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou.

“Le problème est que la tendance va à une diminution du nombre de naissances, entraînée par le faible nombre de filles nées dans les années 1990, les pires en termes démographiques pour la Russie”, rappelle de son côté Alexeï Rakcha, un démographe russe indépendant. Or, c’est cette même génération – née durant la crise économique, sociale et morale après la chute de l’URSS -, qui est aujourd’hui en âge de faire des enfants.

A cette tendance de fond s’est ajoutée en 2020 la pandémie de Covid, qui a durement frappé la Russie, avec quelque 400.000 morts selon le bilan officiel, un chiffre largement sous-estimé selon des observateurs. “L’espérance de vie en Russie a diminué d’environ trois ans au cours des deux années de pandémie”, souligne un autre démographe reconnu, Igor Efremov, avant de retrouver son niveau à près de 73 ans en moyenne.

Signe de cette profonde crise démographique, le géant russe a perdu au total 600.000 habitants en 2022, 1,04 million l’année précédente et près de 688.700 en 2020.

Exode

Chantier prioritaire de Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir il y a plus de 20 ans, avec notamment l’introduction d’une prime à la naissance d’un second enfant, la question démographique semble aujourd’hui reléguée au second plan. Depuis plus d’un an, l’appareil d’État russe est tourné vers une mission principale: contribuer à l’effort de guerre en Ukraine, avec notamment une mobilisation “partielle” décrétée en septembre dernier. Depuis septembre, “plus de 2% des 20-40 ans ont été mobilisés et environ 3% en plus de cette génération a quitté la Russie à cause de la situation”, estime Alexeï Rakcha, aujourd’hui basé à l’étranger après avoir travaillé pour l’agence russe des statistiques, Rosstat.

Au total, “au moins un demi-million de personnes sont parties, peut-être plus, en majorité des hommes”, dont “beaucoup de gens très qualifiés”, estime-t-il. “Et probablement 100.000” autres dès février-mars 2022, lorsque le conflit a éclaté. Sans compter les nombreuses pertes – gardées confidentielles – en Ukraine. Cette saignée mine encore plus l’économie russe, au moment où une génération moins nombreuse entre sur le marché du travail. “La Russie manque de travailleurs. C’est un problème ancien, mais il a empiré à cause de la mobilisation et des départs massifs”, analyse ainsi M. Rakcha.

Pénuries

Dans ces conditions, le chômage, au niveau très bas de 3,5% en février, traduit non pas une situation enviable, mais une contraction de la force de travail qui laisse de nombreux secteurs en difficulté pour recruter. Publiée le 19 avril par la Banque centrale russe (BCR), une étude réalisée auprès de plus de 14.000 entreprises a confirmé ces tensions “aiguës” dans plusieurs secteurs, comme les transports. Et tous ne peuvent pas compenser ce déficit avec les travailleurs immigrés ou encore par une hausse des salaires. Natalia Zoubarevitch, économiste à l’Université d’Etat de Moscou, dit à l’AFP penser que parmi les Russes partis à l’étranger depuis plus d’un an, “certains reviendront”, permettant un rééquilibrage partiel. Igor Efremov juge, lui, “l’influence” de la fuite des cerveaux “exagérée”, alors que le débat sur le sort à réserver aux Russes qui ont quitté le pays agite depuis plusieurs mois les élites du pays.

Des milliers de Russes ayant fui continuent de travailler à distance pour des entreprises russes, faisant parfois des allers-retours. Mais ce lien économique pourrait s’effriter. Une récente loi restreint en effet les opportunités économiques de ceux qui chercheraient à esquiver une nouvelle vague de mobilisation. Ce qui pourrait inciter ceux qui ont fui à l’étranger à s’y installer définitivement, au risque d’accentuer encore plus les difficultés démographiques.

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