Donald Trump prépare-t-il aussi un coup d’État monétaire ?

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le programme du principal conseiller économique de la Maison Blanche, Stephen Miran, vise à organiser un vaste transfert de richesses des pays créanciers vers les États-Unis.

Dans le monde des devises, le dollar est roi. Le billet vert est, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la monnaie de référence du système financier mondial. Il est utilisé dans 68% des factures commerciales et 48% des paiements transnationaux, on le retrouve dans près de la moitié des transactions de change, et 60% de la dette internationale est libellée en billets verts. Face à ce monopole, la deuxième réserve internationale, l’euro, ne peut rivaliser. La devise européenne doit se contenter d’une part de marché de grosso modo 20%.

Mais le roi est-il nu ? Depuis plusieurs années, Bruno Colmant, économiste, professeur (Vlerick School, ULB, UCLouvain) et membre de l’Académie royale de Belgique, avertit de l’imminence d’un choc majeur sur le dollar. Et la nouvelle présidence américaine le conforte dans cette conviction.

Le paradoxe de Triffin

Le système financier mondial repose donc sur le billet vert, ce qui implique, observe-t-il, que “le dollar doit être une devise faible pour être abondant. Car si le dollar était une devise forte, il deviendrait un instrument de thésaurisation contraire à sa diffusion dans l’économie”.

C’est là le paradoxe de la devise américaine, mis en exergue dès 1960 par l’économiste belge Robert Triffin : d’un côté, pour soutenir la croissance économique et le commerce mondial, les États-Unis doivent émettre suffisamment de dollars. Mais de l’autre, pour que système reste stable, le dollar doit conserver une certaine crédibilité et une certaine force (Triffin écrivait à un moment où le dollar était encore convertible en or, mais son paradoxe reste valable). Et donc, pour garantir cette crédibilité du dollar, les États-Unis doivent, normalement, surveiller leur dette publique, leur balance commerciale et leur balance des paiements.

Stabilité monétaire mondiale

Toutefois, à Washington, on a souvent souligné que si le dollar devenait trop faible par rapport aux devises des autres partenaires commerciaux, ce n’était pas vraiment un souci. John Connally, le secrétaire au Trésor sous Richard Nixon, avait eu à l’égard des partenaires commerciaux américains cette petite phrase restée célèbre : “le dollar c’est notre devise, mais c’est votre problème”.

Donald Trump ne va donc certainement pas se soucier de la stabilité monétaire mondiale. Il s’intéresse en revanche bien davantage à l’endettement public (qui dépasse les 100% du PIB) et au déficit commercial américain (de 918 milliards de dollars en 2024).

“Si vraiment il devait y avoir une crise ou un krach, Donald Trump fera pression sur la Fed pour faire baisser fortement les taux d’intérêt, ce qui se traduira par une perte de valeur du dollar”, avance Bruno Colmant, qui observe que c’est d’ailleurs le plan avancé par le principal conseiller économique de la Maison Blanche, le méconnu et redoutable Stephen Miran.

L’accord de Mar-a-Lago

Car l’objectif de Stephen Miran, docteur en économie, fondateur d’une société de gestion d’actifs et membre du think tank conservateur Manhattan Institute, est de réorganiser le système financier mondial dans le seul intérêt des États-Unis. Avec une dette publique atteignant des niveaux records (environ 35.000 millions de dollars cette année, soit un tiers du PIB mondial), les États-Unis doivent placer chaque année des milliers de milliards de dollars en obligations. Ces titres sont achetés, entre autres, par les investisseurs d’Asie, du Moyen-Orient et d’Europe. Mais comment les attirer, alors que les États-Unis ont besoin d’un dollar faible pour stimuler leurs exportations et qu’ils doivent avoir des taux d’intérêt bas pour éviter de payer trop d’intérêt sur leur dette ?

L’idée de Stephen Miran est de négocier un nouvel accord de dépréciation du dollar – que certains appellent déjà “l’accord de Mar-a-Lago”, en référence à la propriété floridienne de Donald Trump. “Les tarifs douaniers seraient modulés en fonction de la volonté des pays partenaires commerciaux des États-Unis à acheter des obligations américaines à très long terme (un siècle), voire perpétuelles, comme condition pour éviter les guerres commerciales de Donald Trump et le retrait de la protection militaire américaine”, explique Bruno Colmant.

Un formidable “coup monétaire”

La valeur de ces obligations tendrait rapidement vers zéro, en raison de l’inflation et de la dépréciation du dollar. Ainsi, les pays commerçant avec les États-Unis ou dépendant de leur protection militaire se retrouveraient contraints de financer gratuitement les États-Unis. Cela aurait pour conséquence évidente d’affaiblir le dollar.

“Mais Stephen Miran va encore plus loin, ajoute Bruno Colmant. Il propose que la Maison Blanche utilise des pouvoirs spéciaux pour réduire les coupons d’intérêt sur les obligations américaines détenues par les banques centrales étrangères qui refuseraient de réévaluer leur monnaie par rapport au dollar.”

Les États-Unis prépareraient donc un formidable “coup monétaire”, en obligeant leurs créanciers étrangers à financer “gratuitement” la dette américaine. Le paradoxe de Triffin serait résolu : les États-Unis continueraient à fournir de la liquidité à l’économie mondiale, ils maintiendraient leur déficit, mais forceraient les autres pays à absorber cette dette via des mécanismes coercitifs.

“Si le dollar devait chuter, le risque serait systémique.” – Bruno Colmant, économiste

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Une spirale inflationniste incontrôlable

Si un tel accord n’était pas possible, une autre solution serait “simplement une mise sous tutelle de la Réserve fédérale, pour aligner la politique monétaire sur les besoins immédiats du gouvernement américain, poursuit Bruno Colmant. Concrètement, cela signifierait que la Fed serait contrainte de refinancer la dette publique à un taux d’intérêt nul, voire négatif, supprimant ainsi le coût du service de la dette pour les États-Unis”.

Une telle mesure aurait pour effet immédiat d’inonder les marchés de liquidités bon marché, facilitant le remboursement des engagements publics, mais en alimentant aussi un excès monétaire dont les effets secondaires pourraient être catastrophiques. “Si une telle politique venait à être appliquée, elle engendrerait une spirale inflationniste incontrôlable, ajoute l’économiste. La masse monétaire en circulation augmenterait à un rythme effréné, sans aucune régulation par les taux d’intérêt, puisque ceux-ci seraient artificiellement maintenus à des niveaux extrêmement bas.”

On imagine le scénario : un dollar qui ne rapporte plus rien, qui perd de sa valeur, qui enclenche des fuites de capitaux vers d’autres devises ou d’autres actifs refuges… “Il y a mille raisons pour lesquelles le dollar pourrait s’effondrer, ajoute Bruno Colmant : perte de confiance en raison d’un endettement hors de contrôle, schisme au sein de la Réserve fédérale, etc. Mais si le dollar devait chuter, le risque serait systémique, puisqu’aucune devise ne peut le remplacer. On rentrerait dans une logique où toutes les devises dévisseraient les unes par rapport aux autres, comme dans les années 1970. Ce serait la course à l’échalote de la dévaluation.”

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