Bernard Keppenne (CBC): “La question n’est pas de savoir si la Chine va envahir Taïwan, mais quand ?”
Les problèmes structurels que connaît aujourd’hui l’économie chinoise n’éloignent pas le scénario catastrophe d’une invasion militaire de l’île par Pékin, selon l’économiste.
Alors que Taïwan poursuit son chemin vers la démocratie et la souveraineté avec l’élection à sa présidence de Lai Ching-te, l’économie chinoise a connu quant à elle, en 2023, sa plus faible croissance depuis trente ans (5,2 %). Certains parlent même d’une crise de confiance généralisée pour évoquer les difficultés économiques du pays, “frappées par plusieurs problèmes”, commente le chef économiste de la banque CBC Bernard Keppenne.
Quel est votre avis sur ce grand ralentissement de l’économie chinoise ?
Plusieurs maux affaiblissent structurellement le pays. Le principal problème, c’est un changement de paradigme qui n’a pas eu lieu, à savoir assurer la croissance par la consommation intérieure au lieu de dépendre des exportations. Mais cette croissance intérieure n’a pas pris le relais parce que le consommateur chinois a été touché de plein fouet par la crise immobilière, laquelle a affecté son pouvoir d’achat. La situation s’est ensuite aggravée dans un contexte où les autorités ont privilégié de soutenir l’économie par l’endettement en laissant se développer du shadow banking, ce qui aujourd’hui représente un risque d’effet de domino avec la faillite de grands promoteurs.
Il y a aussi le déclin du commerce mondial et le krach démographique, non ?
Au changement de modèle économique vient en effet s’ajouter le ralentissement du commerce mondial qui frappe de plein fouet l’industrie chinoise, affectée aussi par les mesures protectionnistes aux États-Unis et qui commencent aussi à voir le jour en Europe. Quant au vieillissement de la population, il va peser dans les années à venir, mais fragilise déjà l’économie.
En réalité, les enjeux rattachés au vieillissement de la population chinoise, et plus globalement mondiale sont de plus en plus visibles, surtout au niveau économique ?
Comme nous, la Chine va être confrontée à un fort vieillissement de sa population, ce qui signifie à terme une diminution de la productivité, mais surtout une hausse importante des dépenses de santé, d’équipement pour accueillir les personnes âgées, une diminution du pouvoir d’achat de cette population, sans oublier le nombre d’actifs qui se réduit chaque année.
L’Europe fait elle aussi face à une démographie en recul. Nous ne sommes guère mieux positionnés de ce point de vue là ?
L’Europe est en effet confrontée exactement au même problème. L’Allemagne aura besoin d’environ un million de travailleurs par an dans les prochaines années, et c’est le cas aussi en Hongrie. Avec des taux de natalité qui ne en effet cessent de chuter, en France entre autres.
Cette baisse de régime de l’économie chinoise n’est-elle pas aussi symptomatique du fait que, malgré la fragmentation du monde en blocs politiques opposés, l’économie mondiale reste malgré tout fort connectée et globalisée ?
L’économie mondiale se démondialise, mais demeure cependant interconnectée et globalisée, car inéluctablement nous ne pourrons pas nous replier sur nous-mêmes. Il est impossible de tout produire dans un seul endroit. Mais la Chine est trop dépendante du commerce mondial et n’a pas réussi à changer de paradigme comme je le signalais plus haut. Le ralentissement en Chine est aussi la conséquence des mesures de protection mises en place par Biden pour restreindre l’accès à l’intelligence artificielle, les microprocesseurs et limiter les investissements des entreprises américaines en Chine. C’est d’ailleurs un dernier point à souligner, par leurs attitudes et décisions, les autorités chinoises ont découragé les investissements étrangers pourtant essentiels à son développement.
Les difficultés actuelles du pays ne sont-elles pas quelque part une bonne nouvelle sur le plan géopolitique (Taïwan, Ukraine, etc.) ?
Il faut bien comprendre que Xi Jinping a vanté à plusieurs reprises la «prospérité commune», caractérisée par la limitation des revenus excessifs dans les secteurs du divertissement et des technologies et le soutien aux importantes entreprises d’État. Ce qui met l’idéologie à l’avant-plan au détriment de l’économie. Concernant Taïwan la question n’est pas de savoir si la Chine va l’envahir, mais quand ?
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