Avec Donald Trump, c’est plein tarif : l’économie belge menacée
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
Après l’acier et l’aluminium, Donald Trump prépare des droits de douane réciproques. Désormais, la “méchante” Europe n’est plus épargnée. Un coup de bluff du président américain ? Peut-être. Un moyen de négocier ? Certainement. Retour sur une guerre commerciale qui pourrait ne faire que des perdants, y compris en Belgique.
Le bulldozer Donald Trump avance à un rythme effréné. Contrairement à son premier mandat, le républicain a un plan et il compte bien l’appliquer. Sans se soucier de ses anciens alliés. Et tant pis si ces derniers, contre toute logique, se montrent aujourd’hui surpris. Tout était sur la table depuis des mois, voire des années, tant sur le volet géopolitique que commercial.
Coup sur coup, le président américain a annoncé deux grandes mesures de rétorsion. Et cette fois, elles ne concernent plus uniquement le Canada, le Mexique et la Chine, les trois plus grands partenaires commerciaux des États-Unis. Non, tout le monde est logé à la même enseigne, en ce compris l’Europe.
Première salve, lundi dernier, avec la mise en place de droits de douane de 25% sur les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis, “sans exceptions ni exemptions”. Ensuite, un deuxième tir, trois jours plus tard, avec la préparation de droits de douane dits “réciproques”, pays par pays, fruits d’une sorte de loi du talion : “Œil pour œil, droit de douane pour droit de douane, exactement le même montant”, avait prévenu Donald Trump durant la campagne.
Depuis le Bureau ovale, il a confirmé ses intentions : “Dans presque tous les cas, ils nous font payer beaucoup plus que ce que nous leur faisons payer, mais cette époque est révolue.” Dans l’immensité de la mondialisation, les États-Unis ont été les seuls à jouer le jeu, selon le républicain. Ils ont ouvert leur marché alors que leurs partenaires commerciaux multipliaient les barrières à l’entrée, que ce soit sous la forme de droits de douane, de subventions, de restrictions et même de manipulation des taux de change. Cela a engendré des déficits commerciaux qu’il veut aujourd’hui rééquilibrer.
L’exposition européenne
On peut rire des outrances de Donald Trump, mais il a raison sur au moins un point. Le déficit de la balance commerciale des États-Unis sur les biens est considérable. Estimé à 156 milliards d’euros vis-à-vis de l’Union européenne, en 2023, selon les données d’Eurostat.
On ne se sait pas encore si Donald Trump va mettre ses menaces à exécution, mais l’exposition européenne ne peut être négligée. Ensemble, les pays de l’UE exportent pour 504 milliards d’euros de biens vers les États-Unis. Soit juste un peu moins que le Mexique (505 milliards, 2024), mais plus que la Chine (439) et le Canada (412). À elle seule, l’Allemagne exporte 157 milliards d’euros du total européen. Viennent ensuite l’Italie avec 67, l’Irlande avec 51 et la France avec 44.
Concernant l’acier et l’aluminium, l’impact global est relativement limité pour les pays de l’Union européenne. En tout, on parle de 7,8 milliards d’euros d’acier européen et de 1,6 milliard d’euros d’aluminium à destination des États-Unis, entre novembre 2023 et octobre 2024, selon les dernières données disponibles. “Pour le secteur, par contre, c’est un nouveau coup dur”, met en garde Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. “On sait que les acteurs de l’acier et de l’aluminium traversent une mauvaise passe en raison du ralentissement économique, notamment en Chine, mais aussi des prix de l’énergie qui sont trois à cinq fois plus élevés qu’aux États-Unis.” À titre indicatif, environ 25% des exportations européennes d’acier sont destinées aux États-Unis.
Concernant les droits de douane réciproques, on pouvait penser, a priori, que l’UE n’était pas la principale concernée. Après tout, les droits de douane imposés par l’Union aux produits américains sont relativement cléments, à 4,5% en moyenne, et 0,9% en moyenne pondérée, selon l’OMC, contrairement à ceux de l’Inde qui flirtent avec une moyenne de 18%. Sauf que, dans le mémorandum qui entoure l’introduction de ces droits réciproques, l’administration américaine veut aller beaucoup plus loin que ces simples droits de douane et vise tous types de restrictions. Y compris cette “fichue taxe de 20%” sur la valeur ajoutée, s’est indigné le président. Aux États-Unis, la taxe à la consommation n’est pas généralisée et est en moyenne trois fois plus faible.
Dans une note, Eric Dor montre à quoi pourrait ressembler cet ajustement et prend l’exemple d’une voiture française. “Le droit de douane réciproque additionnel sur les automobiles importées de France pourrait cumuler 7,5% au titre de la différence entre les droits de douane européen et américain, 15% au titre de la différence entre la TVA européenne et la taxe moyenne américaine, 10% pour compenser les subventions publiques octroyées aux producteurs nationaux, 5% pour compenser une prétendue sous-évaluation de l’euro… Le droit de douane réciproque additionnel sur les automobiles importées de France pourrait ainsi atteindre au moins 37,5% !” Voilà qui ne ferait plus rire personne.
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En tout cas, ça n’amuse pas beaucoup l’Union européenne. Ursula von der Leyen annonce que la Commission européenne prendra des contre-mesures “fermes et proportionnées”. Il faudra effectivement aller un peu plus loin que les simples Harley-Davidson et les quelques bouteilles de bourbon, sanctionnées lors de la première présidence de Trump. Au moins, l’UE élève la voix, à l’instar du Canada, et au contraire d’autres pays comme l’Inde, le Brésil, le Royaume-Uni ou encore le Japon, qui préfèrent amadouer le milliardaire.
Les prochaines semaines seront décisives. Si l’on en croit Donald Trump, les 25% de taxes sur l’acier et l’aluminium entreront en application au 1er mars. Pour ce qui est des droits de douane réciproques, le président américain vise le 1er avril. Chaque acteur devra se positionner d’ici là. Côté européen, “on pourrait aussi répondre en important davantage de GNL, estime Johan Geeroms, director risk Benelux, chez Allianz Trade. L’UE peut aussi s’engager à acheter américain pour renforcer la défense européenne”.
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L’exposition belge
Avec 33 milliards d’euros, la Belgique est le sixième pays de l’Union européenne qui exporte le plus vers les États-Unis au niveau des biens, selon les données d’Eurostat. En 2023, cela représentait même 5,58% de son PIB, soit le deuxième plus gros impact après l’Irlande.
Mais ce n’est qu’une partie du tableau. “La Belgique, en tant que petite économie ouverte, serait impactée deux fois, met en garde Bernard Keppenne, chief economist à la CBC. D’abord, via ses exportations vers les États-Unis, mais aussi indirectement via ses partenaires européens.” C’est la double peine. L’énorme impact des droits de douane sur l’Allemagne, par exemple, ricocherait sur ses sous-traitants dont fait partie la Belgique.
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“Ces effets indirects seraient très importants pour notre pays”, abonde Eric Dor. “En outre, si les exportations diminuaient, la perte de revenus qui en résulterait entraînerait une baisse du revenu des ménages et une diminution de la consommation. Par conséquent, la perte globale de PIB de la Belgique serait plus élevée que la diminution initiale des exportations.”
“Si les exportations diminuaient, la perte de revenus qui en résulterait entrainerait une baisse du revenu des ménages belges et une diminution de la consommation.” – Eric Dor, IESEG School of Management
Au niveau de l’acier et de l’aluminium, “l’exposition n’est pas négligeable, alerte l’économiste. Selon le périmètre, on va de 500 à 800 millions d’euros par an.”
Mais ce serait une toute autre affaire si les produits pharmaceutiques venaient à être sanctionnés par des barrières à l’entrée. “Oui, ils représentent la moitié de nos exportations vers les États-Unis et un quart de toutes nos exportations”, confirme Eric Dor. Soit 18 milliards d’euros, de novembre 2023 à octobre 2024. Mardi soir, le président américain a brandi la menace de s’y attaquer, peu lui importe si les Américains venaient à manquer de médicaments.
La Belgique pourrait être très impactée en termes d’emplois. Parce qu’il se fait que, justement, le secteur pharma belge est composé de nombreuses filiales américaines avec Johnson & Johnson, Pfizer, Baxter, Merck ou encore Zoetis. Ces dernières pourraient décider de rentrer au bercail.
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L’inflation
Pour le moment, tout le monde voit Donald Trump et les États-Unis en position de force. Mais cette logique de négociation pourrait rapidement s’inverser. Et ce face aux effets dévastateurs d’une guerre commerciale qui “ferait souffrir tout le monde, à commencer par les États-Unis eux-mêmes”, analyse l’économiste de l’IESEG Lille.
Premièrement, il faut avoir en tête que “le temps où un bien était produit dans un seul pays est révolu. Oui, une bouteille de Bordeaux s’achète en France, mais ce n’est pas représentatif. L’essentiel des biens sont un assemblage de plusieurs composants provenant de pays différents. Parfois, un même bien passe les frontières à plusieurs reprises pour être assemblé et retravaillé.”
Ensuite, ces chaînes d’approvisionnement ne se changent pas en un claquement de doigts. Cela peut prendre des années. En attendant, ce sont les entreprises américaines qui en payeraient le prix. Après tout, ce sont elles qui payeront les excédents facturés aux entreprises extérieures. “C’est ce que le discours simpliste et infantile de Trump ne dit pas aux électeurs américains. La réalité est beaucoup plus complexe”, poursuit l’économiste. Avec comme conséquence un retour de l’inflation.
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Un comble pour celui qui n’a cessé de hurler contre le “Bidenflation” durant quatre ans. Dans les faits, les consommateurs américains en sont déjà bien conscients. “Les indicateurs de confiance des ménages américains sont à la baisse depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche. Les consommateurs se rendent bien compte que ces mesures seront inflationnistes”, note Bernard Keppenne.
“Les consommateurs américains se rendent bien compte que les mesures de Donald Trump seront inflationnistes” – Bernard Keppenne, chief economist (CBC)
Le dernier contre-pouvoir
Cette crainte de l’inflation fait dire à certains analystes que les entreprises américaines pourraient être le dernier contre-pouvoir aux États-Unis. En particulier les grosses entreprises cotées à Wall Street, qui déchantent depuis le début de l’année, après l’euphorie de la victoire du républicain.
“Il faut nuancer, poursuit l’économiste de chez CBC. Pour les entreprises dans l’acier, par exemple, ces tarifs douaniers sont une bonne chose. Parce que c’est une industrie qui a toujours connu un problème de compétitivité, surtout vis-à-vis de l’Asie. Par contre, pour le secteur automobile, c’est tout autre chose. Il est très imbriqué avec le Canada et le Mexique. On sait que ce secteur a exercé une énorme pression sur l’administration Trump pour éviter ces fameux 25% de tarifs douaniers.”
Le bluff de Donald Trump a ses limites. Le président américain a d’ailleurs déjà fait marche arrière. Et il a suspendu pour un mois les tarifs douaniers exercés sur ses deux voisins. Il s’est aussi rendu compte que les États-Unis étaient encore partiellement dépendants du pétrole canadien pour maintenir le prix du gallon suffisamment bas.
Rappelons que le républicain jouera sa liberté d’action dans deux ans lors des midterms. Or, comme le souligne Bernard Keppenne, “l’histoire montre, de la crise de 1929 à aujourd’hui, que l’instauration de tarifs douaniers a été négative pour tout le monde et en particulier pour les États-Unis, qui en étaient les initiateurs. À chaque fois, cela s’est soldé par une victoire des démocrates.”
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