Avons-nous “sécurisé notre avenir énergétique” en échange du “plus grand hold-up de l’histoire de la Belgique” ?

Alexander De Croo, aux côtés de la ministre de l'Energie, Tinne Van der Straeten, et du CEO d'Engie Electrabel, Thierry Saegeman.
Alexander De Croo, aux côtés de la ministre de l'Energie, Tinne Van der Straeten, et du CEO d'Engie Electrabel, Thierry Saegeman. © getty

“Nous avons sécurisé notre avenir énergétique”, assure Alexander De Croo. Mais tout le monde n’est pas aussi enthousiaste. Certaines associations n’hésitant pas à traiter l’accord de “plus grand hold-up de l’histoire de la Belgique”. Le point sur les réactions.

L’accord conclu entre le gouvernement et le groupe énergétique français sur la prolongation de deux centrales nucléaires garantira au pays sa sécurité d’approvisionnement et une production d’énergie sans CO2, selon M. De Croo (Open Vld). La ministre écologiste a quant à elle insisté sur le principe du pollueur payeur et une facture d’électricité qui restera soutenable. Pour rappel, l’objectif des deux parties est de redémarrer Doel 4 et Tihange 3 à l’hiver 2025 pour une durée de dix ans. Le premier acte concret qui sera posé dans cette voie sera la commande du combustible nécessaire.

“Les équipes d’Engie vont tout faire pour y arriver en accordant toujours la priorité à la sécurité nucléaire. Cet accord ne signifie pas la fin pour nous. Nous resterons un acteur important dans la transition énergétique en Belgique”, a commenté M. Saegeman. “Pour Engie, cet accord offre visibilité et stabilité. C’est un accord équilibré et de haute qualité”, a ajouté le CEO. “Nous avions toujours dit que nous négocierions un accord bon pour tous les Belges, et nous avons cet accord”, a affirmé Mme Van der Straeten. Chacune des parties a qualifié l’accord de “l’une des clés de voûte” de la stratégie énergétique belge. Il est le fruit de tractations entamées le 18 mars 2022.

La Belgique devrait donc gagner un an par rapport au calendrier prévu. Un arrêté royal devra toutefois être modifié afin de permettre un étalement des travaux, a confié M. Saegeman. En tant que co-actionnaire de la nouvelle société, l’État belge aura accès à toutes les informations relatives aux coûts des opérations et devra approuver les budgets. Le directeur financier sera désigné par l’Etat. La conclusion définitive de la convention est attendue en avril ou mai 2024, après l’accord de la Commission européenne.

C’est le pollueur qui paiera, se réjouit Ecolo

“Suivant le principe du pollueur payeur, Engie réglera un montant minimal de 23 milliards d’euros dont 15 milliards iront directement sur les comptes de l’Etat belge”, a souligné le co-président, Jean-Marc Nollet qui a mis en avant le “combat avec Engie”. “Avec les Verts au gouvernement, nous avons enfin une certitude: c’est le pollueur qui paie, pas le contribuable”, a-t-il ajouté. Malgré cette prolongation du nucléaire, les Verts soutiennent toujours le recours massif au renouvelable pour réduire les factures énergétiques combiné au déploiement de batteries, au stockage de l’énergie, aux interconnexions, à la bonne gestion des pics de demande, à l’efficacité énergétique et à la lutte contre le gaspillage et la surconsommation. “La seule option durable, c’est le 100% renouvelable. C’est l’énergie la moins chère et la plus verte qui soit. C’est à la fois bon pour planète, les emplois localisés chez nous et pour les factures de nos citoyens et de nos entreprises”, a-t-il encore dit.

Un accord insuffisant pour la N-VA

La N-VA juge insuffisant l’accord conclu. “Une mini-prolongation qui envoie une facture énorme au contribuable”, ont affirmé les nationalistes flamands, dans l’opposition. Une prolongation réduite à deux réacteurs ne garantit pas la sécurité d’approvisionnement, selon le député Bert Wollants qui met également en avant l’incertitude du coût de l’enfouissement des déchets nucléaires.

Les entreprises soulagées

La Fédération des entreprises de Belgique (FEB) réagit avec satisfaction et soulagement. “Il est désormais possible de travailler concrètement à la prolongation de deux centrales nucléaires, dont on a grand besoin pour garantir la sécurité énergétique. C’est un signal important pour les entreprises dans cette situation économique fragile”, déclare le directeur général Pieter Timmermans.

Même son de cloche auprès de l’association patronale flamande Voka. “L’accord est primordial pour l’économie flamande”, déclare le directeur général Hans Maertens. Les entreprises ont en effet besoin d’une sécurité absolue en matière d’approvisionnement en électricité. Voka continue de plaider en faveur du maintien des centrales nucléaires pour 10 années supplémentaires, voire davantage.

Un accord “déséquilibré” selon plusieurs organisation environnementales

Plusieurs organisations environnementales dénoncent jeudi l’accord signé par Engie et le gouvernement fédéral pour prolonger de 10 ans les réacteurs nucléaires de Tihange 3 et Doel 4. Elles craignent que le contribuable paye très cher pour les déchets nucléaires et que l’affaire devienne “le plus grand hold-up de l’histoire de la Belgique”. Dans une réaction commune, Greenpeace, Canopea et Bond Beter Leefmilieu qualifient l’accord de déséquilibré. Les organisations soulignent que le gouvernement fédéral a fixé une facture maximale à Engie pour les déchets nucléaires détenus par le groupe industriel français alors qu’aucun site ni aucune technologie ne sont encore disponibles pour l’élimination des déchets et que le montant de cette gestion reste inconnu. “Le contribuable risque de payer très cher”, indiquent-elles. Elles considèrent que cet accord démontre que l’énergie nucléaire n’est pas rentable.

Les organisations environnementales ajoutent qu’Engie n’offre aucune garantie que les centrales seront disponibles pour les hivers 2025 et 2026. “Le gouvernement belge ne tire aucune leçon de la crise nucléaire française, où près de la moitié des centrales nucléaires ont été mises hors service l’année dernière, en partie à cause de problèmes de corrosion du système de refroidissement”, explique Jan Vande Putte, expert en énergie chez Greenpeace. “Ces problèmes persisteront au cours des prochaines années.” Le co-investissement du gouvernement dans le capital de la centrale nucléaire, via une structure juridique dédiée aux deux unités prolongées, représente par ailleurs un “conflit d’intérêts”, analysent les organisations. “On peut se demander si l’État ne sera pas tenté de freiner le développement renouvelable pour consolider son investissement nucléaire”, indique Arnaud Collignon, expert énergie chez Canopea.

Le mouvement Code Rouge partage également sa “consternation” et annonce “une action massive de désobéissance civile” contre Engie du 5 au 9 juillet. “Après avoir reçu une subvention pour construire une centrale au gaz fossile qui détruit le climat, l’entreprise se voit octroyer un cadeau d’un montant astronomique de 17 milliards d’euros par le même gouvernement. Il s’agit de l’une des plus grandes contributions demandées aux contribuables depuis la crise bancaire”, dénonce-t-il.

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