Le coup de barre énergétique des entreprises wallonnes: la faute aux GRD?

En ce qui concerne les frais de réseau, la géographie wallonne est moins accessible et la densité de population et d’entreprises y est moins forte, ce qui fait grimper les coûts. © Getty Images/iStockphoto
Baptiste Lambert

Les entreprises wallonnes payent leur énergie plus cher que leurs consœurs flamandes. Un écart qui semble se creuser. Une pierre de plus dans le jardin wallon de la compétitivité et de l’attractivité. La fusion des gestionnaires de réseau (GRD) que l’on évoque souvent pourrait-elle tout arranger?

En novembre, l’inflation belge a été la plus élevée de toute la zone euro pour le huitième mois consécutif en atteignant les 5%. Les entreprises redoutent déjà la prochaine indexation des salaires qui interviendra en janvier prochain. Un mois de janvier qui s’accompagnera d’une autre mauvaise nouvelle : les tarifs de transmission de l’électricité vont quasiment doubler.

Le doublement des tarifs est le fruit de la dernière négociation des prix entre la Creg, le régulateur fédéral des prix de l’électricité et du gaz, et Elia, le gestionnaire de réseau. Ce dernier doit investir massivement dans ses lignes à haute tension pour les projets de la Boucle du Hainaut, Ventilus et pour la fameuse île énergétique en mer du Nord. Son dérapage budgétaire devrait d’ailleurs amener une nouvelle augmentation des prix à l’horizon 2030. Ce n’est pas vraiment une surprise : la transition énergétique coûtera cher aux ménages et aux entreprises.

Des entreprises wallonnes pénalisées

C’est dans ce contexte que plusieurs organisations patronales wallonnes ont tiré la sonnette d’alarme dans une opinion publiée dans L’Écho. Le poids des factures d’énergie les inquiète. Elles ne sont certes plus au niveau de 2022, au cœur de la crise énergétique, mais on assiste ces derniers mois à une nouvelle augmentation du prix du gaz et de l’électricité. Avec cette particularité : les entreprises wallonnes sont pénalisées par rapport aux entreprises flamandes.

Un constat qu’a pu confirmer le journal économique sur base du dernier rapport de la Creg. Au premier semestre 2024, une PME wallonne qui consomme 100.000 kWh/an de gaz paye en moyenne 15% de plus qu’une PME flamande. Et pour une PME qui consomme 50.000 kWh d’électricité par an, l’écart monte même à 21%.

Au premier semestre 2024, une PME wallonne qui consomme 100.000 kWh/an de gaz paye en moyenne 15% plus cher qu’une PME flamande.

Ce n’est pas le coût de la molécule ou de l’électron – commodity – qui explique cette différence. Les deux entités s’approvisionnent sur le même marché. Il faut plutôt jeter un œil sur la répartition des factures d’énergie en Wallonie et en Flandre. Pour l’électricité, ce sont les coûts de réseau qui expliquent cette différence. Ils sont de 16% en Flandre contre 31% en Wallonie, soit le double. Pour le gaz, la différence se trouve surtout au niveau des surcharges (taxes) qui sont de 4% en Flandre et de 11% en Wallonie.

Les surcoûts

La Cwape, le régulateur wallon, conteste quelque peu l’ampleur de ces chiffres. Car la Creg choisit de calculer le montant de la facture sur base du nombre de kWh consommés, alors que des entreprises d’une certaine taille peuvent bénéficier de tarifs préférentiels, sur base de la puissance consommée. “On parle dans ce cas de tarif capacitaire”, précise Anne-Elisabeth Sprimont, porte-parole de la Cwape. “La différence de coût entre la Wallonie et la Flandre n’est toutefois pas neuve“, reconnait-elle.

Comment l’expliquer concrètement ? Pour ce qui est des surcharges, il y a effectivement des taxes qui existent en Wallonie et pas en Flandre. “Il y a par exemple la redevance de voirie, énumère Anne-Elisabeth Sprimont, aussi bien pour le gaz que l’électricité. Elle trouve son origine dans les pertes de revenus des intercommunales qui ont perdu leur compétence dans la distribution d’énergie.”

Il y a ensuite les surcoûts liés aux certificats verts. “Pour financer le système, les consommateurs payent un surcoût aux fournisseurs, mais aussi au transporteur. Car Elia se porte garant de ce système en permettant l’achat de certificats verts à un prix minimum”, poursuit Anne-Elisabeth Sprimont, sur un plan plus technique.

En ce qui concerne les frais de réseau, il y a d’abord une explication logique. La géographie wallonne est moins accessible et la densité de population et d’entreprises y est moins forte, ce qui fait grimper les coûts. Mais une grande partie des coûts de réseau concerne la distribution. À cet égard, il y a un usual suspect : le gestionnaire de réseau. Il en existe cinq en Wallonie pour un seul en Flandre. Et lors de chaque législature se pose la question de leur fusion au sud du pays.

Nouvelles augmentations

Du côté des entreprises wallonnes, on s’inquiète de la tendance haussière. “Ces derniers mois, le prix de l’électricité a bondi de 20%, celui du gaz de 40%. Si on y ajoute le doublement du tarif de transport d’Elia, ça commence à faire beaucoup”, explique Jérôme Rutté, expert énergie pour AKT (ex-Union wallonne des entreprises).

Le spécialiste porte également notre attention sur “l’augmentation des revenus autorisés des GRD” par la Cwape. Cela correspond à la somme maximale que les gestionnaires de réseaux sont autorisés à facturer à leurs clients. Et les négociations viennent d’aboutir : ces revenus vont augmenter en moyenne de 12% pour l’électricité et de 2% pour le gaz en 2025 pour les clients résidentiels et les PME. Pour les entreprises raccordées au réseau de moyenne tension, l’augmentation des tarifs est même de 31% (45% chez Ores).

Pour une PME industrielle (2 GWh/an), en tenant compte de l’augmentation des tarifs de transport (Elia), les frais de réseau pour l’électricité vont grimper jusqu’à 47%, ce qui représente environ 20.000 euros. Pour les gros industriels (50 GWh/an), la Cwape prévoit une augmentation de 62%, soit 456.000 euros en plus sur un an. Les GRD justifient ces augmentations par les nécessités d’investissements vers l’électrification et rappellent que ces augmentations restent en dessous de l’inflation de ces dernières années.

Faible lot de consolation, l’augmentation de ces frais autorisés est beaucoup plus importante en Flandre cette année, de sorte qu’on va assister à un rééquilibrage. Mais Jérôme Rutté tempère immédiatement : “Pour le financement des certificats verts, le coût pour une PME wallonne passera de 32 euros par MWh en 2024, à 31,9 euros en 2025, alors qu’en Flandre, ce coût passera de 20 euros par MWh à 14,5 euros par MWh.”

L’inquiétude

Du côté du Parlement wallon, l’ancien patron de l’Union wallonne des entreprises, Olivier de Wasseige (Les Engagés), se fait le porte-voix des PME. Le député s’inquiète de la différence de coût sur les factures énergétiques : “Il y a toujours eu un écart, mais jamais d’une telle ampleur, en tout cas sur l’électricité. Je suis remonté en arrière et l’écart n’était que de 10%, il y a six ans. On a donc multiplié l’écart par deux.”

“Cela déforce encore l’image de la Wallonie en termes de compétitivité pour les entreprises qui sont présentes, mais également en termes d’attractivité pour les entreprises qui voudraient s’installer chez nous”, déplore le député.

Olivier de Wasseige appelle la ministre de l’Énergie et ancienne de la maison, Cécile Neven (MR), à l’action : “Ce qui manque, c’est un plan à long terme. De la Wallonie par rapport à la Flandre. Mais aussi de l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine, où les coûts énergétiques sont deux à trois fois moins chers que chez nous. Dans certains cas jusqu’à cinq fois. Avec les risques de délocalisation que cela comporte.”

“Ce qui manque, c’est un plan à long terme. De la Wallonie par rapport à la Flandre. Mais aussi de l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine.” – Olivier de Wasseige (Les Engagés)

La ministre tempère

Du côté de la ministre, on tempère. L’augmentation de la facture est surtout liée à la commodity, sur laquelle la Belgique et la Wallonie n’ont pas d’emprise. La libérale reconnait “un renchérissement sur les marchés”, mais elle estime “qu’on ne peut néanmoins pas parler d’explosion des coûts à l’heure actuelle“.

En ce qui concerne les autres coûts sur la facture, le cabinet de la ministre rappelle que “la différence entre la Wallonie et la Flandre est une problématique structurelle et bien connue. Le choix a été fait de financer toute une série de politiques sociales et environnementales. On pense notamment aux financements du renouvelable via les certificats verts.”

La ministre entrevoit deux grandes solutions, précise son cabinet : “L’objectif de la déclaration de politique régioale (DPR) d’instituer un seul GRD compétent sur l’ensemble du territoire devrait permettre d’uniformiser les tarifs, ainsi que les politiques d’allocation tarifaire. Ainsi, chaque citoyen ou entreprise qui se trouve sur le territoire wallon fera l’objet d’un même traitement, que ce soit à Mouscron ou à Arlon.” La ministre estime que la fusion des GRD pourrait permettre des économies qui se répercuteront sur la facture d’énergie. “Mais ces éléments sont en cours d’analyse”, précise-t-on.

Ensuite, Cécile Neven appelle à l’extension de la norme énergétique en Wallonie. Cette norme a fleuri lors de la crise énergétique. Le gouvernement fédéral visait à remplacer tous les prélèvements fédéraux par un droit d’accise unique. Ce dernier présente l’avantage d’être plus flexible et d’agir comme un régulateur de la facture en évitant les augmentations automatiques. Il était alors prévu de se comparer aux pays voisins en s’adaptant le cas échéant. Désormais, l’idée est d’étendre ce système aux prélèvements wallons, mais aussi de l’appliquer à d’autres vecteurs énergétiques plus polluants, de sorte que la charge qui pèse sur l’électricité diminue. Ce qui encouragera aussi les comportements décarbonés.

La ministre devrait présenter un grand plan pour la fin janvier, nous indique-t-on. Tant AKT que la Cwape et le député sont tout ouïe.

La fusion des GRD

La fusion des GRD est un monstre du Loch Ness de la politique wallonne. Souvent évoquée, jamais réalisée. La dernière tentative remonte au gouvernement PS-MR, entre 2017 et 2019, lorsque Jean-Luc Crucke était ministre de l’Énergie. À l’époque, le gestionnaire liégeois Resa s’était opposé à la fusion avec Ores, qui détient 75% du marché. Le reste est aux mains des acteurs locaux AIEG, AIESH et au Réseau d’énergies de Wavre. Resa estimait que les coûts de distribution, moins importants que ceux d’Ores, allaient augmenter pour ses clients, en cas d’harmonisation des prix.

Cette fois associés aux Engagés, les libéraux ont remis le couvert pour cette coalition Azur. La mesure figure noir sur blanc dans la DPR wallonne. Il est question de mettre en place “un gestionnaire de réseaux de distribution unique compétent sur l’ensemble du territoire wallon.”

Peut-on s’attendre à un résultat différent ? La différence, cette fois, c’est que les prix de distribution de Resa sont plus chers que ceux d’Ores. Les partisans d’une telle fusion mettent en avant les synergies et les économies d’échelle qui pourraient être réalisées. On peut penser par exemple aux frais informatiques ou de gestion. Chaque GRD, c’est également un comité de direction à payer.

Du côté de la Cwape, on rappelle qu’une étude commandée au consultant Schwartz and co en janvier 2021 n’avait pas permis de conclure que la fusion des GRD conduirait à une meilleure “efficience économique”. Au contraire même, le consultant estimait qu’une fusion pouvait conduire “à moyen et long terme à une efficience globale moins bonne”, jugeant que “la diversité entraîne une émulation entre GRD ainsi qu’une concurrence entre eux qui peut être une incitation à l’optimisation des coûts et de la qualité des services.”

Anne-Elisabeth Sprimont estime que ce constat n’est pas figé pour autant et qu’une étude complémentaire pourrait être menée. “Mais nous n’avons pas encore été sollicités par le gouvernement wallon pour remettre un nouvel avis“, précise la porte-parole.

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